Philip English : « Le Togo est riche …mais mal géré » !

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D’après une étude conduite par Philip English, Economiste principal à la Banque mondiale en séjour à Lomé, « le Togo est un pays potentiellement riche mais mal géré ». Les indicateurs ayant conduits à cette « sévère » conclusion de l’expert de l’institution de Breton Wood sont de plusieurs ordres. Et ce constat porte sur les trente dernières années. Car dira l’auteur de ce constat, « la situation s’est quelque peu améliorée ces dernières années ».

« L’homme est connu pour son franc parlé ». « Il n’a jamais sa langue dans sa poche et ne connait pas la langue de bois ». Il est « véridique». Ces témoignages sont de hauts cadres de l’administration publique togolaise qui assurent avoir travaillé avec ce fonctionnaire «atypique » de la Banque mondiale. Au cours d’une présentation officielle à l’atelier de validation du « Mémorandum Economique du Togo et Etude Diagnostique pour l’Intégration du Commerce », Philip English a suscité la curiosité des participants habitués aux discours diplomatiques des experts des organisations internationales.

Selon l’étude susmentionnée dont la rédaction de Golfe Info a pu se procurer une copie, contrairement aux vingt premières années de son accession à l’indépendance, le Togo a connu les trente années suivantes une situation macroéconomique peu reluisante. La cause est, selon les experts de la Banque mondiale qui ont réalisé cette étude, la mauvaise gouvernance.

De la bombance à la catastrophe

« Entre 1960 et 1980, les exportations de phosphate ont atteint 3,3 millions de tonnes ; le revenu par habitant a doublé ; le pays est devenu une plaque tournante régionale du transport et de la finance et la croissance était basée sur une économie ouverte dans laquelle intervenait un secteur privé dynamique », rappelle l’étude qui ajoutera que c’est fort de cet environnement économique favorable, marqué par une stabilité sur le plan politique que «la CEDEAO et l’UEMOA ont établi leurs banques de développement à Lomé et l’UE a choisi la capitale togolaise pour signer sa fameuse convention sur le commerce et le développement avec les pays ACP ».

« Les perspectives d’avenir étaient prometteuses», avaient hâtivement conclu les «prophètes ». Malheureusement, constate l’étude, comme dans de nombreux pays africains, la situation s’est renversée dans les années 1980. La chute des cours mondiaux, la flambée des prix du pétrole et la crise du secteur financier n’ont pas fait cadeau au Togo qui trainait un fardeau de la dette qui ne cessait de s’alourdir du fait des éléphants blancs qui avaient été construits à la suite des années de prospérité.

Les soubresauts politiques des années 1990 n’ont pas non plus arranger la situation du Togo. La rupture de la coopération consécutive aux violents et sanglants évènements de « Fréau jardin » qui ont fait des dizaines de morts et de blessés sous les yeux d’émissaires de l’UE en séjour à Lomé n’ont fait qu’aggraver la situation.

Les tergiversations

D’après la Banque mondiale, « alors que bon nombre de pays africains récoltaient les fruits des réformes et tiraient profit de l’augmentation des prix des produits de base, le Togo a continué de faire les frais d’une piètre gouvernance économique et de l’instabilité politique ».

En 2002 poursuit l’étude, le pays a accumulé des arriérés envers la Banque mondiale qui était ainsi contrainte de lui suspendre son aide financière. « La gouvernance du secteur des phosphates s’est davantage détériorée et la production des principaux produits agricoles de base destinés à l’exportation a reculé », lit-on dans le rapport de cette étude.

Les pouvoirs publics conscients de la gestion approximative

Même si le député Ayitou Singo semble en désaccord avec les conclusions du fonctionnaire de la Banque mondiale (pour lui, il faut plutôt parler de richesses mal exploitées), il se trouve qu’à plusieurs reprises, les tenants actuels du pouvoir à Lomé ont admis, au travers de leurs discours et actes, qu’ils sont bien conscients de la situation de mal gouvernance qui a caractérisé la gestion de la chose publique au Togo.

Quelques exemples : Devant un parterre de juristes, d’invités et de représentants de la presse locale, le chef de l’Etat, Faure Essozimna Gnassingbé a pointé du doigt les maux qui minent l’appareil judiciaire national.

C’était à l’occasion du lancement du programme de modernisation de la justice togolaise en 2006. Deux ans plus tard, en avril 2008, Komlan Mally, alors premier ministre, laissera entendre à l’ouverture d’un séminaire sur la corruption au Togo que ce mal est réel sur la terre de nos aïeux et qu’il urge qu’il soit combattu.

Au cours du dernier trimestre 2008 et devant les députés à l’Assemblée nationale, Noupokou Dammipi, alors ministre togolais des Mines, de l’Energie et de l’Eau confessera que la société nationale des phosphates a fait l’objet ces dernières années de gestion catastrophique. « La gestion des dix dernières années n’était pas assortie de rapports annuels d’activités », avait-il déclaré devant des élus médusés et surpris.

Quelques mois plus tard, soit au cours du premier trimestre 2009, le conseil des ministres a rendu public un communiqué indiquant que la SOTOCO (Société Togolaise de Coton) a fait l’objet de mauvaise gestion ces dernières années. Ce qui avait alors conduit à la dissolution des organes de gestion et d’administration de la société, suivie d’un audit stratégique.

En 2010, suite à la révision à la hausse des prix des produits pétroliers, Léopold Messan Gnininvi, ministre des Mines et de l’Energie entre septembre 2006 et décembre 2007 a indiqué dans un communiqué de son parti politique, la CDPA (Convention démocratique des peuples africains), que les produits pétroliers font l’objet d’une «gestion opaque au Togo ».

En un mot, Philip English n’a fait que reprendre ce que tout le monde savait déjà. Son mérite, relève un juriste, c’est d’avoir rompu avec le discours traditionnel de ses collègues de la Banque mondiale ou du FMI.

Marc D. KOUAKANI-ASSI

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