Le franc CFA, une monnaie coloniale qui retarde l’Afrique

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« Il faut apprendre au nègre à trouver de la beauté en lui » Marcus Garvey

Le débat sur le franc CFA s’enfle, mobilise et inquiète la France. De plus en plus, les africains s’imprègnent des réalités monétaires et s’interrogent sur le bien-fondé du maintien du franc CFA, une monnaie coloniale. En fait, la guerre mondiale des monnaies a fini par ouvrir les yeux de ceux qui s’efforçaient encore de les fermer. Les Etats-Unis font marcher la planche à billet pour faire chuter le dollar. On se souvient que la banque centrale des Etats-Unis avait annoncé début novembre 2010, qu’elle allait racheter pour 600 milliards de dollars (443,5 milliards d’euros) de bons du Trésor. Le but, affirme-t-elle, est de maintenir les taux d’intérêt à de très bas niveaux afin de soutenir la reprise économique.

C’est dans ce contexte que la crise post-électorale en Côte d’Ivoire a réveillé le vieux débat sur le franc CFA. En effet, sept ministres des finances de l’UEMOA, ont demandé le jeudi 23 Décembre 2010 à la BCEAO, d’autoriser uniquement les représentants du Dr Alassane Ouattara, à gérer les comptes de la Côte d’Ivoire. En plus, le Conseil a décidé « que les représentants régulièrement désignés par le gouvernement légitime de Côte d’Ivoire sont les seuls habilités à prendre des mesures relatives au fonctionnement de l’UEMOA au nom de ce pays ». Ce même Conseil a renchéri pour décider « d’instruire la BCEAO de permettre aux seuls représentants régulièrement désignés par le gouvernement légitime de Côte d’Ivoire d’effectuer les mouvements sur les comptes en son nom ».

Face à cette imposture de la BCEAO et de l’UEMOA, certains économistes ivoiriens versent au débat leurs contributions. Mais là n’est pas le problème, car il est inacceptable que cinquante années après les indépendances, les pays africains de la zone franc (PAZF) n’arrivent pas à accéder à la souveraineté monétaire, préalable à la souveraineté tout court. Si le combat est louable, il arrive parfois que des contributeurs, par leurs écrits et argumentations, galvaudent le combat. Ne comprenant pas eux-mêmes les phénomènes monétaires, ils s’invitent dans un débat où seuls les initiés ont voix aux chapitres.

L’objectif de ce papier est justement de démontrer pourquoi le franc CFA doit disparaitre pour faire place à une monnaie africaine au service du développement. Cela suppose en premier lieu de montrer l’importance de la monnaie : il s’agit de définir correctement la monnaie (I).Faisant suite à cette démarche définitoire de la monnaie, il sera utile en deuxième lieu, de présenter l’historique de la zone franc (II).Une telle présentation permettra en troisième lieu de dire pourquoi sortir de la zone franc (III).

UNE DEMARCHE DEFINITOIRE DE LA MONNAIE

C’est faute d’avoir compris que la monnaie n’est pas banale, que le développement des pays africains de la zone franc (PAZF) se trouve aujourd’hui à la limite du paradoxe. Dans les lignes qui suivent, nous allons donner les fonctions et la nature de la monnaie.

I.1. LES FONCTIONS DE LA MONNAIE

Charles Rist se refusait à définir la monnaie parce qu’elle recouvrait un domaine très vaste. En effet, la monnaie est l’un des concepts les plus difficiles à définir de la théorie économique. La monnaie est de plus en plus présente à tous les niveaux de la vie quotidienne des agents économiques et, parallèlement, ses formes sont de plus en plus complexes et multiples. Depuis Aristote, la monnaie est définie par les trois fonctions qu’elle est supposée exercer : la monnaie comme intermédiaire des échanges, la monnaie comme réserve de valeurs et, enfin, la monnaie comme unité de compte.

Considérée comme intermédiaire des échanges (unité de paiement), la monnaie est un instrument qui permet d’échanger deux biens, en évitant les contraintes du troc. Il s’agit de surmonter la contrainte de la double coïncidence exacte des besoins du vendeur et de l’acheteur en qualité et en quantité, sur un même lieu, contrainte propre au troc. En considérant une économie de troc, l’absence de double coïncidence limite les possibilités d’échanges et l’apparition d’un élément tiers, la monnaie, règle cette contrainte, elle ’lubrifie’ les transactions. La médiation monétaire serait une condition nécessaire au développement des échanges de biens et de services selon Jevons [1]. Cette fonction suppose que la monnaie a un pouvoir libératoire, c’est-à-dire qu’elle garantie la possibilité d’effectuer des règlements et également d’éteindre des dettes. Or il est possible d’avoir des monnaies en circulation sans pouvoir libératoire. Le paiement renvoie, selon B. Courbis, E. Froment et J.-M Servet, à « l’appartenance à une communauté de paiement dans laquelle les moyens de s’acquitter sont établis » [2]. Ainsi donc, l’unité de paiement peut différer de celle de compte.

La monnaie exerce également une fonction de réserve de valeur pour deux raisons : la non-synchronisation entre les recettes et les dépenses d’une part et l’incertitude sur les réserves futures d’autre part. Elles constituent deux motifs de « demande de monnaie ». Elle a une fonction de réserve de valeur parce qu’elle est acceptée par tous et surtout parce qu’elle est unité de compte. Cette fonction n’est pas spécifique à la monnaie car les agents économiques disposent d’autres moyens pour conserver de la valeur, c’est-à-dire détenir de la richesse. Cette dernière a d’ailleurs plusieurs composantes :

– la richesse non financière, qui est constituée des biens matériels (or, maison, bijou, usine…) et immatériels (comme, par exemple, un fonds de commerce, une qualification) ;

– la richesse financière, qui est constituée des titres qui peuvent s’échanger directement contre des biens matériels ou qui, en général, doivent d’abord se transformer en monnaie pour s’échanger contre des biens matériels (actifs monétaires, actifs financiers).

La monnaie a une troisième fonction : celle d’unité de compte. Sans monnaie, dans une économie marchande, il y a autant de prix que de paires de biens, de types d’échanges entre deux biens. S’il y a n biens, il y a n(n-1)/2 prix relatifs. Pour opérer ses arbitrages dans un système de troc, chaque consommateur doit avoir en tête tous ces prix. Si un de ces biens est utilisé comme étalon des valeurs, alors le système des prix est profondément simplifié. Il suffit alors de connaître les n-1 expressions de la valeur des autres biens dans le bien choisi comme monnaie pour connaître l’ensemble des rapports de valeurs des n biens. La monnaie permet donc d’établir une échelle de prix simple et unique, exprimée en unités monétaires.

Mais une « vraie » unité de compte ne peut avoir de valeur par elle-même sauf à varier. Or, c’est bien ce que les hommes ont fait en utilisant, pendant de brèves périodes historiques, comme valeur monétaire, des biens ayant eux-mêmes un certain prix. Toutefois, durant la majeure partie du Moyen-Âge, le Prince demeurait le « maître des mesures » : il imprimait son sceau et fixait les valeurs monétaires qui différaient, la plupart du temps, de celles du métal incorporé.

Finalement, la définition fonctionnelle de la monnaie ne nous aide pas dans la poursuite de notre objectif, celui de justifier la disparition du franc CFA. On ne peut pas se satisfaire de cette définition. Il nous faut approfondir la question monétaire en disant ce qu’elle est et non ce qu’elle fait.

I.2. LA QUESTION DE LA NATURE DE LA MONNAIE

Qu’est-ce que la monnaie ? Cette question par laquelle il fallait bien commencer, n’admet pas de réponse simple, acceptée par l’ensemble des économistes, ni sous l’angle empirique, ni sous l’angle théorique. Notre préoccupation à ce stade de notre réflexion, est de dissiper le « nuage épais » qui enveloppe les contributions sur la nature de la monnaie.

La monnaie, rassurons-nous n’est pas un bien industriel comme le pain. Elle n’est pas une marchandise. La monnaie a plusieurs dimensions.

La monnaie est une créance à vue des agents économiques sur le système bancaire et une dette de celui-ci. De ce point de vue, il est impossible de dissocier la monnaie du système monétaire d’où d’ailleurs l’importance des banques dans une économie monétaire de production.

Cette définition est complétée par l’approche institutionnelle de la monnaie : la monnaie est certes une technique mais c’est aussi un phénomène social qui met en jeu des relations humaines et pas simplement une technique. L’enjeu principal de la monnaie est toujours l’appartenance à une communauté de valeurs. Or, cette appartenance s’inscrit dans des formes relativement différentes selon les époques et les sociétés. La monnaie est une institution qui exprime et conforte les valeurs globales de la société où elle existe.

La monnaie a également une dimension conventionnaliste. Elle est générée par une convention marchande : j’accepte la monnaie car autrui l’accepte. La qualité d’une monnaie se mesurera, dès lors, à l’aune de son aptitude à conserver sa valeur d’une période à l’autre et de sa capacité à inspirer confiance à ses utilisateurs. Ce minimum de cohésion sociale et de confiance, qui est au fondement même de toute monnaie, émane soit d’un acte de foi (acceptation générale du numéraire par la communauté), soit d’un édit des autorités qui l’établit comme cours légal dans un territoire donné.

Dans le premier cas, la monnaie peut provenir soit d’une coutume immémoriale, soit d’une convention émergeante ou librement négociée, ou encore être le résultat d’une concurrence entre monnaies privées où une a fini par s’imposer dans un vaste réseau d’échange.

Dans le second cas, la monnaie est la production d’un monopole d’État qui impose le médium d’échange et tente de le contrôler. La puissance publique tire profit de cette situation à divers échelons : la monnaie sert, à la fois, de source d’unité symbolique du pays, de source de revenu pour l’État et de moyen d’indépendance politique, le pays ayant sa propre devise.

Georges Simmel met pour sa part en avant que si la monnaie ne doit rien dans sa genèse, à l’Etat, un fonctionnement viable ne peut cependant être garanti par celui-ci. C’est dans cette filiation que se situe l’approche étatique de Knapp (1973) [3] à laquelle fait référence J.M. Keynes dans le « treatise on money ». Cette approche peut être résumée ainsi : « la monnaie est une créature de la loi », c’est-à-dire du droit. En fait, selon Knapp, l’État sélectionne et impose une forme-monnaie en choisissant une certaine unité et en lui donnant une validité sur un territoire qui correspond à son espace national. Ainsi, l’acceptation inconditionnelle de la monnaie par les individus est garantie par l’État.

Il s’agit de dire que c’est l’autorité politique représentative qui, dans un espace national donné, fait battre monnaie et lui donne cours légal, un principe repris, après bien des vicissitudes, du droit romain.

Bien qu’elle soit un enjeu entre les classes sociales et un instrument de domination des uns sur les autres, la monnaie est aussi un bien public. Elle ne peut exister que par la légitimation politique qui lui donne la capacité d’être un pouvoir d’achat immédiat ou futur, garantissant son rôle de réserve à travers le temps.

La monnaie a également une dimension politique : les nations se sont construites autour de la monnaie et autour d’un roi qui avait le pouvoir de battre monnaie. Au 19ème siècle, l’unification progressive de l’Allemagne s’est faite à partir du Zollverein, mais aussi par une monnaie commune : le Thaler (1857). A l’heure actuelle, le pouvoir monétaire est perçu comme un élément de la souveraineté nationale : ses capacités régulatrices lui viennent de son aptitude à représenter les valeurs qui sont au fondement de la communauté d’échanges. Pour Charles Loyseau  [4] dans son « Traité des seigneuries » (1669) : « …la souveraineté est du tout inséparable de l’Etat, auquel, si elle était ôtée ne serait plus un Etat. Car, enfin, la souveraineté est la forme qui donne l’être à l’Etat, voire même l’Etat et la souveraineté prise in concreto sont synonymes et l’Etat est ainsi appelé, pour ce que la souveraineté est le comble et période de puissance où il faut que l’Etat s’arrête et s’établisse ». La souveraineté s’affirme ad externa. Concrètement, elle s’exerce sur un territoire délimité – la première fonction du roi étant de tracer la ligne qui situe le domaine de la couronne dans l’espace, et qui marque sa libre existence face à toute autre puissance extérieure contre quoi le moyen militaire peut être requis.

L’HISTORIQUE DE LA ZONE FRANC

Il n’est pas possible d’asservir des hommes sans logiquement les inférioriser de part en part. La zone franc demeure un maillon de l’impérialisme français.

II.1. EVOLUTION HISTORIQUE DE LA ZONE FRANC ET SES PRINCIPES

II.1.1. EVOLUTION HISTORIQUE DE LA ZONE FRANC

Philippe Hugon (1999) dans son livre intitulé « La zone franc à l’heure de l’euro », s’interroge sur le statut de la zone franc : est-elle une zone monétaire ou une survivance néocoloniale ? Dans tous les cas, la zone franc lato sensu, regroupe 26 entités territoriales ; elle comprend, outre 15 pays africains, la France, les DOM-TOM, la principauté de Monaco et Mayotte ; elle est depuis le 1er janvier 1999 liée à l’Union monétaire européenne puisque les francs de la zone sont arrimés à l’euro.

Historiquement, même s’il est difficile de donner une datation exacte de la zone franc avant son officialisation, il est possible de lui trouver un ancrage.La dislocation progressive de l’espace monétaire et commercial international dans les années trente, la montée en puissance généralisée du protectionnisme et l’enchainement des dévaluations compétitives provoquèrent de la part des puissances coloniales une réaction de repli sur leurs empires. Après l’échec de la conférence de Londres en 1933, les zones monétaires firent leur apparition. C’est ainsi que prit naissance la « zone sterling ». Un grand nombre de pays d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud vont rattacher leur monnaie au dollar pour former la « zone dollar ». La formation d’une zone économique impériale, protégée de la concurrence extérieure et fondée sur la complémentarité des productions coloniales et métropolitaines, passait par la création d’un espace monétaire commun. Avec le déclenchement de la seconde guerre mondiale, naissait l’instauration d’une réglementation des changes, valable pour l’ensemble des résidents de l’empire et la centralisation des réserves en devises au profit de la métropole. La zone franc est donc née de la volonté initiale d’isoler l’empire colonial du marché international et de créer un espace préférentiel après la crise de 1929. Elle a été institutionnalisée le 9 septembre 1939, lorsque dans le cadre de mesures liées à la déclaration de guerre, un décret instaura une législation commune des changes pour l’ensemble des territoires appartenant à l’empire colonial français. En fait le début de la seconde guerre mondiale va s’accompagner d’un dirigisme monétaire avec la mise en place du contrôle des changes à cette date.

La zone Franc, en tant que zone monétaire caractérisée par une liberté des changes, est formellement créée.

Officiellement, le franc CFA est né le 26 décembre 1945, jour où la France ratifie les accords de Bretton Woods et procède à sa première déclaration de parité au Fonds monétaire international (FMI). Il signifie alors « franc des colonies françaises d’Afrique ».

Mais cette définition de la parité du Franc se fait avec une différenciation selon les secteurs géographiques. Nous avons alors trois unités distinctes avec le Franc des Colonies Françaises du Pacifique (FCFP), un Franc des Colonies Françaises d’Afrique (FCFA) et un Franc de la métropole valable également pour l’Afrique du Nord et les Antilles (FF). Le FCFP valait 2,40 FF et le FCFA 1,70 FF. C’est aussi l’occasion d’affirmer l’unité car le communiqué du ministre des Finances parle de « Constitution de la zone franc » et ce sera la première fois que le terme est utilisé officiellement.

Certains pays ont choisi, lors de l’indépendance ou après, de quitter la zone franc coloniale : Algérie (1963), Maroc (1959), Tunisie (1958), Mauritanie(1973), Madagascar(1973), Guinée (1958), l’ex- Indochine (Cambodge, Laos, Viêtnam) en 1954. Le Mali l’a quittée en 1962 pour la réintégrer en 1984.

II.1.2. LES PRINCIPES DE LA ZONE FRANC

Les principes de la coopération monétaire ont été rappelés dans la convention de coopération entre les pays membres de l’Union monétaire ouest-africaine et la République française du 4 décembre 1973. Les principes fondamentaux sont au nombre de quatre :

1) La fixité des parités avec la monnaie ancre : la parité des monnaies de la Zone avec l’euro est fixe et définie pour chaque sous-zone. Les monnaies de la Zone sont convertibles entre elles, à des parités fixes, sans limitation de montants.

2) La garantie de convertibilité illimitée du Trésor français : la convertibilité des monnaies émises par les différents instituts d’émission de la Zone franc est garantie sans limite par le Trésor français.

3) La libre transférabilité : les transferts sont, en principe, libres à l’intérieur de la Zone. À l’intérieur de chaque sous-zone, et entre chaque sous-zone et la France, les transferts de capitaux sont en principe libres.

4) La centralisation des réserves de change : elle apparaît à deux niveaux puisque les États centralisent leurs réserves de change dans chacune des deux Banques centrales tandis qu’en contrepartie de la convertibilité illimitée garantie par la France, les banques centrales africaines sont tenues de déposer, auprès du Trésor français sur le compte d’opérations ouvert au nom de chacune d’elles, une fraction de leurs réserves de change (50 % pour les avoirs extérieurs nets de la BCEAO et 60% jusqu’au 30 juin 2008, 55 % jusqu’au 30 juin 2009 et ensuite 50% pour la BEAC). Depuis 1975, ces avoirs bénéficient d’une garantie de change vis-à-vis du DTS.

II.2. BREVE HISTOIRE DE LA BCEAO

L’exploitation des colonies s’accéléra au tournant du XXe siècle, les cultures destinées à l’exportation firent leur apparition, et les grandes firmes commerciales, la CFAO, la SCOA, s’en assurèrent le monopole côté français, comme du côté anglais, la firme anglo-hollandaise Unilever. Et la gestion monétaire des colonies était assurée par des banques privées bénéficiant dans leurs zones respectives de privilèges d’émission. Tout commence le 27 avril 1848, date de l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises. De nombreux propriétaires d’esclaves sont ruinés, tant dans les Caraïbes que dans les possessions françaises d’Afrique. Le 30 avril 1849, une loi portant indemnisation des colons par suite de l’abolition de l’esclavage est votée. Le 21 décembre 1853, le décret portant création de la Banque du Sénégal est signé par Louis Napoléon BONAPARTE. Son capital, fixé à 230.000F est formé du prélèvement du 8ème des indemnités accordées aux colons, par suite de l’abolition de l’esclavage, et des arrérages échus de l’inscription de rente représentative de ce prélèvement. Cette Banque du Sénégal, fondée en 1853, avait ses locaux à Saint-Louis. Elle était spécialisée dans le crédit à court terme. Cependant, elle n’a jamais pu servir à une réelle politique de mise en valeur de la colonie.

Le 29 juin 1899, un décret est pris portant création de la Banque de l’Afrique Occidentale (BAO). Le siège de la BAO est fixé à Paris (78, rue de Provence) et Henri NOUVION fut nommé premier Directeur du nouvel établissement. La même année, débutèrent les activités de la BAO à Dakar, tandis qu’une agence était créée à Conakry.

A l’origine, le rôle de la « Banque du Sénégal » qui deviendra l’Institut d’Émission de l’Afrique Occidentale Française et du Togo (de 1955 à 1959) et, enfin, la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (à partir de 1959), est d’organiser la paupérisation du corps social africain, pour empêcher l’érection d’une bourgeoisie nationale du commerce, en refusant le crédit aux populations locales en Afrique noire. Et cette politique criminelle continue encore, contre le développement de l’Afrique. En effet, jusqu’aujourd’hui, les banques françaises en Afrique, n’accordent aucun crédit de développement aux particuliers. Elles n’accordent aucune ligne de crédit à la consommation aux ménages les plus démunis. Son rôle colonial, c’est d’encaisser le maximum d’argent liquide pour la métropole sans investir localement, ni dans les entreprises africaines ni dans le développement.

Depuis cette date, la BCEAO a toujours été dirigée par un directeur général français. Le dernier français en est Robert Julienne qui occupa le poste de gouverneur depuis le 28 septembre 1962 jusqu’en 1973. Le siège de la banque était à Paris. Avant de passer le flambeau aux africains pour la direction et le siège de la banque, la France exigea la signature le 4 Décembre 1973, d’un nouvel Accord de Coopération et de la nouvelle Convention de Compte d’opérations entre la République Française et l’UMOA. C’est finalement le 15 décembre 1974 que M. Abdoulaye FADIGA sera nommé aux fonctions de Gouverneur de la BCEAO. Ce dernier va œuvrer pour le transfert du siège de la BCEAO de Paris à Dakar en Juin 1978 et l’inaugurer le 26 mai 1979.

Avant de clore ce chapitre sur la BCEAO, disons un mot sur la fonction d’une banque centrale. La BCEAO, rebaptisée par nous, sous le nom de « Banque Centrale Européenne en Afrique de l’Ouest », ne fait qu’appliquer les directives de la BCE.

A l’occasion de l’entrée en vigueur de la reforme institutionnelle de l’UMOA et de la BCEAO (1er Avril 2010), M. Philippe-Henri Dacoury Tabley, gouverneur de la BCEAO donnait dans une interview, l’objectif de cette reforme en ces termes : « la mise en œuvre de la réforme devrait, en assignant à la BCEAO un objectif prioritaire de stabilité des prix, permettre, de garantir le pouvoir d’achat de notre monnaie et apporter une réponse adéquate au défi du financement des économies ». Le constat est frappant, sans aucun doute humiliant. Pour revenir à notre sujet, la BCEAO poursuit prioritairement un objectif de stabilité des prix au sein de l’Union Monétaire Ouest Africaine au détriment de notre développement économique. Cette banque est contre les africains. La lutte contre l’inflation ne doit pas être l’objectif principal de la BCEAO, ni avoir une cible d’inflation de 2% comme la BCE car les populations ouest-africaines ne vivent pas les mêmes conditions économiques que les européens.

L’acceptation d’une souveraineté nominale et le refus absolu d’une indépendance réelle, telle est la réaction type des nations colonialistes à l’égard de leurs anciennes colonies. Le franc CFA est une monnaie coloniale qu’il faut faire disparaître.

IV. POURQUOI SORTIR DE LA ZONE FRANC

La question à laquelle nous répondons ici est celle de savoir pourquoi les pays africains de la zone franc doivent-ils sortir de cette zone ou du moins décoloniser le franc CFA sinon la remplacer par une monnaie purement africaine. Notre thèse se justifie pour au moins trois raisons.Premièrement, le franc CFA et ses mécanismes sont des leviers du pillage des économies africaines.Deuxièmement, le franc CFA est un instrument de domination de la France en Afrique.Troisièmement, le franc CFA entame la souveraineté des pays membres.

IV.1. Le franc CFA et ses mécanismes sont des leviers du pillage des économies africaines

* Les principes de la zone franc posent problème. Précisons ici rapidement ce point.

– Au niveau de la parité fixe, selon les enseignements de la théorie standard, elle se justifie d’autant plus que l’économie est petite, peu ouverte, faiblement diversifiée, polarisée sur le pays de monnaie d’ancrage, qu’il y a à l’intérieur des zones une mobilité forte du travail et faible mobilité du capital. La fixité du change peut également se justifier pour des motifs d’ordre microéconomiques (réduction des incertitudes sur des taux de change réels) et macroéconomiques (stabilité des prix, gestion saine des finances publiques). Et ceci d’autant plus que les petites économies africaines sont fortement ouvertes et qu’elles sont fortement intégrées au niveau des importations et des capitaux à l’Europe. Cependant, ces arguments favorables à la fixité du change sont contrecarrés par l’existence de chocs réels et nominaux, intérieurs et extérieurs. Des économies fortement exposées à des chocs comme les pays de la zone franc, ont intérêt à stabiliser l’économie par la flexibilité de change. Dans le cas de chocs externes, le taux de change flexible neutralise les effets des chocs. Dans le cas de chocs interne réels (comme la sécheresse), il permet de stabiliser le produit national réel. Le taux de change flottant permet théoriquement une autonomie de la politique monétaire et joue un rôle de stabilisation automatique. Le régime de change fixe a pour conséquence de ne pas s’adapter aux réalités économiques.

– Au sujet de la libre transférabilité, cette disposition favorise la fuite des capitaux. Selon la CNUCED, la fuite des capitaux en 30 ans des pays africains depuis les indépendances dépasse 400 milliards de dollars américains. Selon Hugon (1999, p.99) [5], on estime l’hémorragie des capitaux hors UEMOA à 3 milliards de francs en 1991, à 4,6 milliards en 1992 et à 5 milliards de francs durant les 6 premiers mois de l’année 1993. Les placements spéculatifs effectués en francs Cfa en France entre janvier 1990 et juin 1993 s’étaient élevés à 928,75 milliards de francs Cfa, soit environ 1,416 milliards d’euros. Le montant des transferts sans contrepartie des ménages non africains sortis des PAZF en direction de la France et le RDM est passé de 89 millions de dollars (en 1970) à 434 millions de dollars (en 1993). Le montant cumulé de ces transferts est estimé à 3783,6 millions de dollars (soit 2200 milliards de franc CFA).

En 2004, l’Afrique noire (sans l’Afrique du Sud) a reçu 0,4% des IDE dont la moitié a été au bénéfice de l’Angola et du Nigeria.

– Quant à la convertibilité illimitée, elle est virtuelle. La convertibilité revient à dire simplement que tout étranger détenteur de cette monnaie doit avoir la possibilité, à tout instant, de l’échanger librement contre d’autres monnaies ou contre de l’or. La convertibilité revêt plusieurs formes et on en distingue le plus souvent les degrés de convertibilité par rapport aux opérations, aux pays, et aux agents. Pour les petites économies que sont les pays africains de la zone franc, il n’est pas bon d’avoir des monnaies convertibles. Dans la remuante histoire du franc français, l’échange de francs contre des devises n’était pas libre, mais réglementé. Cette convertibilité externe du franc, rétablie en 1958 pour les non-résidents, n’était pas totale pour les résidents. Par exemple, ceux-ci ne pouvaient pas sortir des capitaux hors des frontières sans autorisation administrative. La Tunisie par exemple a une politique qui s’appuie sur le maintien de contrôles des capitaux, c’est-à-dire sur une « convertibilité » partielle de la monnaie, certaines opérations sur les mouvements des capitaux avec l’extérieur restant soumises à restrictions. Cela permet à la Banque centrale de conserver une certaine marge de manœuvre sur sa politique intérieure. Quant au géant chinois, la grande fragilité de son système bancaire étatique (créances douteuses) ne l’autorise pas aujourd’hui à libéraliser son marché des changes et à rendre sa monnaie librement convertible sous peine de faire peser des risques importants sur la croissance économique chinoise. Le Naira n’est pas une monnaie convertible pourtant le Nigeria est un géant économique ; la Roupie également n’est pas convertible pourtant l’Inde est une puissance économique.

La convertibilité du franc CFA est d’autant plus virtuelle que les francs CFA de la BCEAO et ceux de la BEAC ne sont pas convertibles entre eux, ce qui n’encourage pas le développement des échanges entre les deux zones. Au contraire, les mécanismes de la zone franc facilitent les relations financières et commerciales entre la métropole et les territoires, tout en supprimant le risque de change entre les deux monnaies (Euro et franc CFA).

* Le franc CFA n’a pas apporté le développement mais la pauvreté

Déjà, parmi les 49 pays moins avancés (PMA), 35 sont en Afrique subsaharienne (ASS). La zone franc, elle, représente 12% de la population africaine, 12% du PIB et 1,5% des exportations.

Avec une population de 25% supérieure à celle de la France, les PAZF représentent 4,5% du PIB français ou 1,5% de masse monétaire.

La zone franc n’a pas apporté le développement aux pays membres mais le développement du sous-développement.

Pour atténuer cette pauvreté, l’aide française est venue comme une bouée de sauvetage. En effet, les pays de la zone Franc sont des principaux bénéficiaires de l’aide publique au développement française. En 1997, ils ont reçu environ la moitié de l’APD bilatérale française aux pays d’Afrique sub-saharienne, ce qui représente 23 % des apports bilatéraux de la France aux pays en développement (6,5 MdF sur 27,8 MdF d’aide bilatérale en 1997). Dans le cadre du traitement de dette au sein du Club de Paris, 10 pays de la Zone franc [6] ont bénéficié d’annulations pour un montant total rééchelonné de 23 MdF. La France a apporté près de 50 % de l’effort ainsi consenti par les créanciers. En plus des accords conclus dans le cadre du Club de Paris, la France a pris des mesures bilatérales exceptionnelles de réduction de dettes, en annulant en 1989, les crédits d’aide publique au développement (Dakar I), puis en procédant à une nouvelle annulation en 1994 (Dakar II), soit une annulation de dette de 55 MdF au profit des pays de la zone Franc. Entre 1993 et 1996, l’effort de réduction de dettes a représenté en moyenne une contribution annuelle de la France de 3,2 MdF, soit plus du tiers de l’aide bilatérale française à la zone Franc.

En tout état de cause, les pays de la zone franc ne sont pas mieux lotis en termes de performances macroéconomiques à comparer aux pays africains hors zone franc. Une synthèse de nombreux travaux comparant les performances est présentée chez Hadjimichael et al. (1995) [7].

Lorsqu’on compare les taux de croissance du PIB des pays africains de la zone franc et des pays hors zone, il apparait que les années 60 et 70 sont marquées par des résultats supérieurs pour les pays de la zone franc (5% contre 4,4%) alors qu’il y a inversion au cours de la décennie 80, plus précisément entre 1985 et 1991(1% contre 3,7%), sur l’ensemble des trois décennies, les résultats sont, en revanche, comparables [8]. On note également une plus grande instabilité des taux de croissance au sein de la zone. L’écart-type du taux de croissance a été entre 1971 et 1987 de 7% contre 4,5% pour les pays voisins. De 1980 à 1994, les écarts du PIB réel par rapport à sa tendance à long terme ont été supérieurs.

En 2010, la situation n’est guère reluisante pour les pays de la zone franc. La Côte d’Ivoire demeure en dépit de la crise militaro-politique qu’elle traverse depuis 2002, le premier pays africains de la zone franc en termes de PIB réel. Pourtant, le franc CFA n’a pas permis à ce pays de faire mieux que les pays hors zone franc (Tableau 1).

Les pays comme l’Algérie, l’Angola, l’Ethiopie, le Kenya, le Maroc, le Nigeria, le Soudan, la Tanzanie, la Tunisie, pour ne citer que ces pays, ont chacun un PIB réel supérieur à celui de la Côte d’Ivoire (le premier en termes de PIB réel en 2010 de la zone franc), comme l’indique le tableau 3 ci-dessous. Certains de ces pays font mieux en matière d’espérance de vie. Au sein des PAZF, le Togo (63), le Benin (62) et le Gabon (61) occupent le peloton de tête en termes d’espérance de vie. Les pays qui ont accédé très tôt à leur souveraineté monétaire ont des espérances de vie plus élevées que les trois pays cités ci-dessus. Il s’agit par exemple de la Tunisie (74), de l’Algérie (73), du Maroc (72), de Maurice (72) et du Cap-Vert (72).

Tableau 1 : Le classement des pays africains de la zone franc en termes de PIB réel en 2010.

Rang Pays  PIB réel (en milliards de dollars)
1er  Côte d’ivoire 22,4
2e  Cameroun 21,9
3e  Guinée-Equatoriale 14,5
4e  Sénégal 12,7
5e  Gabon  12,6
6e  Congo 11,9
7e  Mali 9,1
8e  Burkina-Faso 8,7
9e  Tchad 7,6
10e  Benin  6,5
11e  Niger  5,6
12e  Togo 3,1
13e  Centrafrique 2,1
14e  Guinée-Bissau 0,8

Source : Le Monde : bilan du monde, la situation économique internationale, 2011, p. 91.

Tableau 2 : Le classement des pays africains de la zone franc en termes de PIB réel/ habitants en 2010.

Rang Pays PIB réel/habitants (dollars)
1er  Guinée-Equatoriale  11081
2e  Gabon 8395
3e  Congo 3075
4e  Cameroun 1071
5e  Côte d’Ivoire 1016
6e  Sénégal 964
7e  Tchad 743
8e  Bénin 673
9e  Mali 649
10e  Burkina-Faso 590
11e  Guinée-Bissau 498
12e  Centrafrique 469
13e  Togo 441
14e  Niger 383

Source : Le Monde : bilan du monde, la situation économique internationale, 2011, p. 91.

Tableau 3 : Le PIB réel et le PIB réel/habitants de quelques pays hors zone franc.

Pays  PIB réel (milliards de dollars) PIB réel/Habitants(dollars)
Algérie  159  4478
Angola 85,8 4812
Botswana  12,5 6796
Ethiopie 30,9 365
Ghana  15,3 646
Kenya 32,4 888
Maroc  91,7 2868
Maurice  9,4 7303
Mozambique 10,2 473
Namibie 11,5 5454
Nigeria  206,7 1324
Ouganda 17,1 504
Soudan 65,9 1643
Tanzanie 22,4 543
Tunisie 43,9 4160
Zambie  15,7 1286

Source : Le Monde : bilan du monde, la situation économique internationale, 2011, p. 91.

IV.2. Le franc CFA est un instrument de domination de la France en Afrique

Sur ce point, commençons d’abord par dire que les pièces de monnaie et les billets de banque sont fabriqués en France ; les premières dans l’usine de Pessac en Gironde et les deuxièmes dans le Puy de Dôme, (papeterie de Vic-le-Comte, imprimerie et centre de recherche à Chamalières). Pour ceux qui pensent que l’intérêt économique pour la France est peu significatif, ils ne doivent cependant pas perdre de vue qu’en réalité, l’enjeu principal de la zone franc pour la France n’est pas seulement de nature matérielle, économique ou comptable, mais réside également dans la reproduction continue d’un ensemble de relations qui, en effaçant la « perte » survenue en 1960, préserve son statut de puissance internationale. Le dispositif de la zone franc, conservateur dans son essence, entretient en Afrique l’ossature des Etats et leur survie dans un système économique et social figé.

Ensuite la zone franc développe l’extraversion de nos économies.Avec le franc CFA, les PAZF sont des réservoirs de Matières premières et des déversoirs de produits manufacturés.

L’empire colonial français, qui absorbait 10% des exportations françaises à la fin du 19e siècle et 17% à la veille de la crise de 1929, devint dans les années trente, et jusqu’à la constitution de la communauté économique européenne, un débouché majeur pour les entreprises métropolitaines. Elles y écoulaient 42% de leurs exportations en 1952 [9].

Selon la commission européenne (2002), en 1999, 40% des exportations de l’espace UEMOA étaient destinées à l’Europe. Les importations en provenance de l’UE et en direction de l’UEMOA la même année se situent à 43%.

Les exportations de la zone UEMOA en direction de cette zone représentent 12% et 10% pour les importations. Les avantages présentés aux Africains sont quant à eux des plus artificiels : outre l’attrait des investissements directs à l’étranger (IDE), le franc CFA est censé épargner les risques de change avec la zone euro et donc faciliter l’accès au marché unique européen. Les monnaies coloniales encourageaient l’intégration économique avec la puissance de tutelle, et, dans une moindre mesure, avec le reste du monde.

La domination française est également visible avec la présence des français dans le Conseil d’administration de la BCEAO : 16 dont 2 français. Dans le cadre des directives données par le Conseil des Ministres, le Conseil d’Administration :

*précise les opérations de la Banque Centrale et fixe leurs taux et conditions d’exécution

*arrête les règles qui s’imposent aux Comités Nationaux du Crédit, dans l’exercice de leur compétence

*détermine le montant global des concours que la Banque Centrale peut accorder au financement de l’activité économique dans chacun des Etats

*autorise les opérations affectant le patrimoine de la Banque Centrale et arrête les comptes de cette dernière détermine les modifications aux Statuts de la Banque devant être soumises à ratification par le Conseil des Ministres de l’Union.

Selon l’Article 52, du statut de la BCEAO, la politique monétaire est confiée au Conseil d’administration. La présence des français peut empêcher l’adoption de politique favorisant notre développement. Avec la présence des français dans ce conseil, il apparait que la France décide en dernier ressort qui entre et sort de la zone franc.

Enfin la zone franc et ses mécanismes engendrent un système bancaire oligopolistique dominé par les banques françaises. Les banques sont des maillons importants du système financier. Elles remplissent un double rôle. D’une part, elles sont des entités privées qui recherchent le profit ; d’autre part, elles constituent des réseaux qui fournissent à l’économie globale un bien collectif : les systèmes de paiement et de règlement. Or les systèmes financiers africains en général et ceux de l’UEMOA en particulier, sont peu profonds, étroits, peu diversifiés et n’assument pas leur rôle dans le financement du développement (Popiel ,1995) [10]. La création d’un embryon de système financier au sein des pays de la zone franc pendant la période coloniale avait pour seul dessein de répondre aux besoins de financement des sociétés d’import-export et d’exploitation des produits primaires agricoles (Benin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Mali), miniers (Niger, République centrafricaine, Sénégal, Togo) et pétroliers (les pays de la CEMAC aujourd’hui).

Les banques ne trouvaient pour ainsi dire aucun intérêt à développer un réseau d’agences à l’intérieur de ces pays ou à établir des contacts avec les populations locales. Le taux de bancarisation dans l’UEMOA est très faible (moyenne de 4%). Ce taux était en 2001 de 99% en France.

Les banques commerciales proposaient surtout des crédits à court terme permettant de s’adapter au caractère cyclique de la production et de la commercialisation des produits tropicaux et aux délais d’acheminement des produits manufacturés entre la métropole et l’Afrique. Le crédit bancaire ne facilite pas la formation du capital car il finance plutôt les affaires commerciales et d’import-export. Le financement bancaire en Côte d’Ivoire est de l’ordre de 16% contre environ 70% en Tunisie.

Il est d’ailleurs lié au système commercial mis en place par l’économie de traite et non au système de production. La stratégie bancaire postindépendance est restée identique à celle de la période coloniale. Le maintien, après les indépendances, des schémas d’organisation spatiale et sectorielle de l’activité économique (spécialisation sur le commerce et l’exportation de matières premières brutes) cumulé à l’échec des politiques de diversification industrielle expliquent aujourd’hui encore la perpétuation des structures économiques héritées de la période coloniale et les caractéristiques financières qui en découlent.

Par ailleurs, les centres de décision de ces grandes firmes bancaires sont situés à l’étranger. Autant de facteurs qui réduisent leur impact sur les pays où elles sont installées : elles paient des impôts, sans pour autant s’embrayer sur l’économie nationale. Au total, sur le plan bancaire, le système bancaire postcolonial ne tranche guère avec la logique coloniale, celle qui consistait à financer l’échange et la production de matières premières exportées.Finalement, avec le franc CFA, la France nous domine économiquement, commercialement et politiquement.

IV.3. Le franc CFA entame notre souveraineté

Nous avons dit que la monnaie était un pouvoir, et partant un attribut de la souveraineté d’un pays. Avant de dire quelques mots sur ce point, revenons sur cette monnaie rhizome qui prétend normer une société à laquelle elle est étrangère.

L’organisation monétaire hiérarchique de la zone franc était le reflet d’un système politique de domination coloniale s’opposant aux structures anciennes. Une des principales caractéristiques du colonialisme fut de remplacer les monnaies primitives par les monnaies européennes en les imposant pour le paiement des impôts. Or ces liens sociopolitiques ont eu historiquement tendance à se distendre alors que la superstructure monétaire demeurait. La monnaie « franc CFA » s’est imposée historiquement par la violence. Elle s’est étendue au sein de la société notamment par la traite négrière, par le commerce import-export et par l’impôt (Assidon, 1989) [11]. La monnaie, signe CFA, issue de cette histoire, apparaît souvent comme extérieure à la société qu’elle veut normer. Si la valeur d’une monnaie est liée aux fondamentaux de cette économie alors elle doit avoir un lien sociologique avec le pays. Ce qui n’est pas le cas des pays de la zone franc. D’ailleurs la zone franc a deux dimensions. Une dimension verticale du fait des liens monétaires et sociopolitiques entre la France et les pays africains, et une dimension horizontale compte tenu des relations d’intégration que nouent les pays africains de la zone entre eux. Cette orthogonalité de la zone l’éloigne d’une zone monétaire optimale. A partir de là, la monnaie franc CFA devient une monnaie rhizome.

Résumons les caractères principaux d’un rhizome : à la différence des arbres ou de leurs racines, le rhizome connecte un point quelconque avec un autre point quelconque, et chacun de ses traits ne renvoie pas nécessairement à des traits de même nature, il met en jeu des régimes de signes très différents et même des états de non-signes. Le rhizome est une antigénéalogie.

Cette monnaie rhizome qu’est le franc CFA a des racines en occident et en Afrique : c’est une monnaie qui dépayse les africains.

Un autre argument peut-être développé : le franc est historiquement étranger aux africains.

La naissance du « franc » français remonte au 5 décembre 1360, à Compiègne. Le roi Jean II le Bon (c’est-à-dire le brave) est fait prisonnier à la bataille de Poitiers. Il subi une très longue captivité en Angleterre et son geôlier, le roi anglais Edouard III lui a réclamé une rançon d’environ trois millions de livres tournois (12,5 tonnes d’or). Jean II le Bon est obligé de « vendre » sa fille à un riche duc de Milan, Galéas Visconti, contre 600 000 livres. Avec cette somme, il est libéré avec 400 000 livres et s’engage à payer le reste. Et c’est sur le chemin de retour à Compiègne qu’il prend des ordonnances dont celle de la création du « franc » pour commémorer sa libération car dans le vieux français, être franc de quelque chose, ça veut dire être libérer de quelque chose.

Le dernier point à élucider est celui du lien entre la monnaie et la souveraineté. La souveraineté est le droit exclusif d’exercer l’autorité politique sur une zone géographique ou un groupe de peuples.

La souveraineté est la qualité de l’Etat de n’être obligé ou déterminé que par sa propre volonté dans les limites du principe supérieur du droit et conformément au but collectif qu’il est appelé à réaliser. Dans presque tous les Etats, la souveraineté s’exerce au minimum dans les domaines suivants :

La sécurité extérieure : la diplomatie et la défense nationale
La sécurité intérieure : la police, la loi
La justice
Les finances : la monnaie, la collecte des impôts et le contrôle des marchés financiers.
La monnaie est envisagée comme un attribut de la puissance publique et un instrument de propagande au service de cette dernière. Le principe de la souveraineté mis en lumière par Jean Bodin a permis de dégager une souveraineté de l’Etat dont la souveraineté monétaire semblait être partie intégrante. L’époque romaine montre bien que la monnaie faisait partie des symboles qui exprimaient la personnalité, la puissance et permettait de situer le romain et tout ce qui n’était pas romain. En 70, après la destruction du temple, la Judée était devenue une colonie romaine et sa monnaie fut intégrée dans le système provincial de l’empire. En clair, les monnaies frappées en Israël représentaient les symboles romains.

A l’origine le « souverain » est une monnaie anglaise (pas un roi). Le « souverain » est une monnaie d’or anglaise qui a été frappée pour la première fois en 1489 par Henry VII d’Angleterre. Bien que la pièce ait une valeur nominale d’une livre sterling ou 20 shillings, le souverain était à l’origine une monnaie sur laquelle ne figurait aucune marque de valeur. La souveraineté est le pouvoir de battre (frapper) « le souverain  » (monnaie de l’époque). Or seul le roi avait ce pouvoir de battre monnaie, d’où le parallélisme entre souverain et roi.

On sait par ailleurs que dans un régime démocratique, le pouvoir de battre monnaie devrait être confié à des élus du peuple. Car le pouvoir de battre monnaie signifie la possibilité de définir une « politique monétaire  », qui elle même va financer la politique économique. A contrario on ne peut financer une politique économique (par exemple le plein emploi), si on ne maîtrise pas la monnaie. Le pouvoir de battre monnaie a toujours été reconnu comme attribut de la souveraineté nationale. Et les banques en tant qu’intermédiaires financiers ont toujours eu pour vocation le financement de l’essor économique des Nations. C’est la raison pour laquelle, l’exercice du pouvoir monétaire, c’est à dire l’orientation de la politique monétaire est une préoccupation constante des gouvernements.

Selon Blanc Jérôme (2005), on doit d’abord comprendre que la monnaie en elle-même n’est pas une marque de la souveraineté : le propre de la souveraineté est le pouvoir de modifier le cours légal et le contenu métallique des pièces. Mais si cette manipulation relève de la puissance de la loi, qui est celle du souverain, seul le droit de battre monnaie est de la même nature que la loi [12].

« La monnaie renvoie au prince et plus généralement à une organisation politique de la société […] La monnaie est inséparable d’un ordre ou d’un pouvoir. A tout système monétaire est assignée une limite, qui est celle de l’acceptation des moyens de paiement. L’aire d’extension du système de paiement se confond avec celle de la souveraineté de l’institution qui émet la monnaie légale. Monnaie et souveraineté sont donc étroitement liées » [13].

En définitive, la monnaie fait partie de l’identité d’un pays, le franc CFA, lui est une monnaie étrange imposée de l’étranger, elle n’est donc pas notre monnaie.

CONCLUSION

Ce n’est pas sans hésitation que les gouvernants des pays africains de la zone franc traitent le sujet du franc CFA. En dépit de la lassitude, qui, épisodiquement, gagne ces sphères politiques, il faut une plus grande volonté politique pour « décoloniser » le franc CFA et la zone franc. Toutes ces structures abêtissantes et infantilisantes de la zone franc qui infestent le développement des pays membres devraient pourtant être abandonnées.

Le paradoxe est que sur le continent, le vent de la renaissance africaine souffle et ce, avec une vitesse qui terrasse même les plus sceptiques. Si les pays veulent vraiment une libération totale, il faudra considérer l’avertissement que nous donne Frantz Fanon (2006) en ces termes : « il n’est possible de prendre ses distances à l’égard du colonialisme sans en même temps les prendre à l’égard de l’idée que le colonisé se fait de lui-même à travers le filtre de la culture colonialiste » [14].

Ce sont les peuples coloniaux qui doivent se libérer de la domination colonialiste. La véritable libération n’est pas une pseudo-indépendance où les présidents à responsabilité limitée voisinent avec une économie dominée par le pacte colonial dont le franc CFA est le pilier central.

Au cours de ces pages, nous avons voulu être méthodique afin de faire comprendre notre argumentation. Le thème dominant de notre argumentation est net : le franc CFA agit comme un virus qui détruit la structure économique des pays africains de la zone franc. En conséquence, si ces pays veulent amorcer un véritable développement autocentré, alors il leur faut sans tarder œuvrer à la disparition du franc CFA qui retarde leur développement.

Dr Prao Yao Séraphin

Vice-président chargé des affaires économiques et sociales de la cellule de veille et d’éveil (CVE) de la Côte d’Ivoire.

Président de l’association des théoriciens africains de la monnaie (ATAM)

praoseraph@yahoo.fr

[1] 1JEVONS, W.S. (1876). Money and the Mechanism of Exchange. New York, D. Appleton and Company.

[2] 2B. Courbis, E. Froment, J. M. Servet,1990, ’4 propos du concept de monnaie’, Cahi.ers d’Economie Politique, n’ LB.

[3] 3KNAPP, Georg Friedrich. 1973, The State Theory of Money [1924]. New York : Augustus M. Kelley Publishers.

[4] 4Cf. Jean Foyer, France, qu’ont-ils fait de ta liberté, F-X de Guibert, 1999, p. 17

[5] Hugon Philippe, 1999, La zone franc à l’heure de l’euro, éd. Karthala, collection : Economie et développement.

[6] 6 Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Tchad et Togo

[7] Hadjimichael, M.-T. et al. (1995), Sub Saharan Africa : Growth, Saving and Investment. 1986-1993, Washington D.C., FMI, études spéciales, n°118.

[8] 8 Source : Guillaumont, 1995 p.105 et 106.

[9] 9 Cf. Jacques Marseille, Empire colonial et capitalisme français, histoire d’un divorce, Paris, Albin Michel, 1984.

[10] 10 Paul A. Popiel. 1995. Systèmes financiers en Afrique subsaharienne. Document desynthèse de la Banque mondiale, no.260F. Série du département technique Afrique

[11] Assidon, E. (1989), Le commerce captif. Les sociétés commerciales françaises de l’Afrique noire, Paris, L’Harmattan.

[12] 12 « Les monnaies de la république. Un retour sur les idées monétaires de Jean Bodin », Cahiers d’économie politique, février 2005.)

[13] 13 Jean Cartelier, La monnaie (précédemment cité) : p. 96.

[14] 14 Frantz Fanon « Pour la révolution africaine ». Ecrits politiques 2006, La découverte, p. 121.

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