«La bande sonore (putchtape) rappelle que le parcours de Guillaume Soro, l’ancien chef des Forces nouvelles, est accidenté»

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Ce qui arrangerait Soro, c’est qu’aucun juge ne se saisisse de cette bande et …

Démêlés avec la justice française après une plainte du fils de Laurent Gbagbo, sombre affaire d’écoutes lors du putsch au Burkina… Le président de l’Assemblée nationale collectionne les ennuis. Son avenir politique est-il compromis ?

Quand Guillaume Soro arrive en France, le premier week-end de décembre, il n’imagine pas un instant qu’il risque d’être interpellé par la police comme un malfrat. Certes, il a ignoré les trois dernières convocations de Sabine Khéris, la juge d’instruction parisienne qui cherche à l’entendre depuis près de deux ans. Mais le président de l’Assemblée nationale ivoirienne est persuadé qu’il est protégé par son statut de deuxième personnage de l’État. Mauvais calcul. Le 7 décembre au petit matin, une escouade de policiers français se présente avec un mandat d’amener au domicile de son épouse, à Plessis-Bouchard, à 22 km au nord de Paris. Coup de chance pour lui, il n’y est pas. Son épouse non plus, d’ailleurs.

Quelques heures plus tard, ses deux avocats français, Jean-Paul Benoît et Jean-Pierre Mignard, soumettent opportunément à la juge parisienne deux ordres de mission indiquant qu’il représente l’État ivoirien à la COP21. Le mandat est suspendu. Mais le mal est fait. Le 8 décembre, Charles Koffi Diby, le ministre ivoirien des Affaires étrangères, convoque Georges Serre, l’ambassadeur de France, et proteste contre ce mandat d’amener qui « viole complètement les accords de coopération, la convention de Vienne et les traités portant sur les immunités ». Pour ne pas envenimer la situation, le président Alassane Dramane Ouattara (ADO) décide alors de rapatrier son compatriote. Il lui envoie un jet. Le 9 décembre au soir, Guillaume Soro embarque au Bourget, près de Paris, et twitte : « Reconnaissance et gratitude à tous les amis qui m’ont soutenu dans l’épreuve. Je pars en homme libre, sans haine ni rancune. » Autrement dit : « Ouf ! »

Retour aux origines du mandat

Si cette affaire provoque un gros couac entre Abidjan et Paris, elle est plutôt mince sur le fond. De quoi s’agit-il ? Le 11 avril 2011, au terme d’une guerre civile de quatre mois qui a fait quelque trois mille morts, Michel Gbagbo est capturé par les forces pro-Ouattara en compagnie de son père et de Simone Gbagbo dans les sous-sols de la villa présidentielle de Cocody, à Abidjan. Peut-être aurait-il été lynché s’il n’avait pas été arrêté. Le fils du président déchu est ensuite transféré à Bouna, dans le nord du pays. Comme sa mère est française et qu’il possède la double nationalité, il porte plainte en juin 2012 devant la justice française contre Guillaume Soro et dix anciens comzones – les chefs de l’ex-rébellion pro-Ouattara – pour « enlèvement, séquestration, traitement inhumain et dégradant ».

Élargi en août 2013 avec interdiction de sortir du territoire ivoirien, il est condamné en mars 2015 à Abidjan à cinq ans de prison, mais reste en liberté grâce à un recours suspensif. Bref, il n’y a pas mort d’homme, et Soro, Premier ministre et ministre de la Défense au moment de la capture de Michel Gbagbo, ne semble pas directement impliqué dans le « traitement inhumain et dégradant » que celui-ci aurait subi.

Pour le président ivoirien, toute action judiciaire relative à l’arrestation de la famille Gbagbo est un non-sens

Alors pourquoi Guillaume Soro a-t-il refusé d’être entendu comme témoin dans ce dossier, au risque d’agacer Sabine Khéris ? De bonne source, il y a deux ans, lorsque la juge parisienne a adressé une commission rogatoire internationale à Abidjan, elle n’a pas hésité à demander l’audition… d’Alassane Ouattara lui-même. Stupeur au palais présidentiel. D’autant que, pour le président ivoirien, toute action judiciaire relative à l’arrestation de la famille Gbagbo est un non-sens. « C’est comme si l’on remettait en cause la chute de Laurent Gbagbo », souffle l’un de ses proches. Ces derniers mois, c’est donc à la demande d’ADO que Guillaume Soro n’a pas répondu aux convocations de la justice française. Le problème, c’est que la procédure va avancer. « En droit français, un mandat d’amener qui débouche sur une recherche infructueuse vaut mise en examen », affirme Habiba Touré, l’avocate française de Michel Gbagbo.

L’affaire de l’enregistrement

Pour le président de l’Assemblée ivoirienne, cette affaire tombe au plus mal. En effet, depuis un mois circule sur internet une bande sonore de seize minutes qui aurait été enregistrée le 27 septembre, pendant la tentative de putsch au Burkina. Dans cette « écoute téléphonique », deux hommes, présentés comme Guillaume Soro et Djibrill Bassolé, l’ancien ministre burkinabè des Affaires étrangères, planifient la chute du régime de transition à Ouagadougou. Soro et Bassolé démentent catégoriquement avoir tenu de tels propos et affirment que c’est un montage. Mais à Abidjan, y compris dans l’entourage d’Alassane Ouattara, beaucoup pensent qu’il s’agit bien de leurs voix. Surtout, à Ouagadougou, le 5 décembre, Isaac Zida, le Premier ministre burkinabè, a affirmé sur la radio privée Savane FM que l’enregistrement était authentique. Il est vrai que, depuis la chute de Blaise Compaoré, en octobre 2014, le torchon brûle entre Soro et Zida.
Le 29 septembre, deux jours après la date supposée de cette conversation, Djibrill Bassolé est arrêté à Ouagadougou puis inculpé, notamment pour « haute trahison ». Le 7 octobre, une villa qu’occupait Guillaume Soro à Ouagadougou est perquisitionnée. La bande sonore – la « Sorotape », comme disent certains – va-t-elle être versée au dossier d’instruction établi par la justice militaire burkinabè contre Djibrill Bassolé ? Pour l’instant, il semble que non. « Ce qui arrangerait Soro, c’est qu’aucun juge ne se saisisse de cette bande et que tout cela reste dans le flou », glisse un observateur ivoirien.

Vraie ou fausse, cette conversation téléphonique fait des dégâts, car l’homme présenté comme Guillaume Soro menace d’éliminer deux personnalités burkinabè
Vraie ou fausse, cette conversation téléphonique fait des dégâts, car l’homme présenté comme Guillaume Soro menace d’éliminer deux personnalités burkinabè : Chérif Sy, président du Conseil national de transition, et Salif Diallo, le bras droit du futur président, Roch Marc Christian Kaboré. En privé, les intéressés se disent ulcérés. La même voix se félicite de la mort, en avril 2011, de deux acteurs clés de la guerre civile ivoirienne, Désiré Tagro, l’ex-secrétaire général du président Gbagbo, et Ibrahim Coulibaly, alias IB, le chef du « commando invisible ».
Depuis l’éclatement de la rébellion nordiste en septembre 2002, IB était l’éternel rival de Guillaume Soro. Vraie ou fausse, cette bande sonore rappelle donc que le parcours de l’ancien chef des Forces nouvelles est accidenté. En octobre 2002, selon Amnesty International, une soixantaine de gendarmes pro-Gbagbo ont été exécutés à Bouaké. En juillet 2004, selon l’ONU, 99 combattants pro-IB sont morts étouffés dans un conteneur surchauffé à Korhogo.

Que va faire ADO ?

Alassane Ouattara va-t-il se lasser de cet allié quelque peu encombrant ? C’est évidemment le souhait – inavouable – du ministre ivoirien de l’Intérieur, Hamed Bakayoko, son adversaire le plus visible dans la lutte pour la succession d’ADO en 2020. « Ça commence à faire beaucoup pour Soro, mais il a la peau dure et retombe toujours sur ses pattes », chuchote un conseiller du président ivoirien. En avril 2011, Guillaume Soro, chef de la rébellion anti-Gbagbo, était indispensable à Alassane Ouattara. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Mais gare aux comzones, qui conservent des positions importantes dans la nouvelle armée ivoirienne.

Beaucoup restent fidèles à leur ancien patron. En juillet dernier, deux d’entre eux ont été inculpés par la justice ivoirienne. Du coup, les liens se sont encore resserrés. « S’il y a quelqu’un qui peut soutenir les comzones face à la Cour pénale internationale ou à un juge ivoirien, c’est Soro, et ceux-ci le savent », confie un proche du numéro deux de l’État ivoirien. En juillet 2004, le comzone Wattao avait aidé le tout jeune Soro à évincer IB de la tête de la rébellion nordiste. Aujourd’hui, le même Wattao – Issiaka Ouattara de son vrai nom – est commandant en second de la Garde républicaine. Dans la nuit du 9 au 10 décembre, il est allé à l’aéroport d’Abidjan pour accueillir son ex-patron à son retour de Paris.

QUAND LA JUGE RÉCIDIVE

La juge d’instruction parisienne Sabine Khéris, qui a délivré un mandat d’amener contre le numéro deux de l’État ivoirien, n’en est pas à son coup d’essai. En février 2014, à Neuilly, près de Paris, c’est elle qui avait dépêché sept policiers français à la porte de la résidence de l’ambassadeur du Maroc en France afin d’essayer, en vain, de convoquer Abdellatif El Hammouchi, le patron de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGSN) du royaume, visé par les plaintes de trois ex-détenus franco-marocains.

Tollé à Rabat. Brouille diplomatique entre le Maroc et la France pendant un an. Nul doute que les instructions de la juge Khéris doivent donner des sueurs froides aux diplomates du Quai d’Orsay…

Christophe Boisbouvier

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