Togo. Démocratie, alternance, élections locales… : Le Togo de Faure Gnassingbé pris en sandwich par ses limitrophes

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Il y a eu alternance au Ghana, au Bénin et il vient d’y en avoir au Burkina. Il ne reste que l’océan atlantique à en faire 

Cela fait déjà deux semaines que l’événement est arrivé. Mais n’empêche que l’on y revienne. Le Burkina Faso n’avait pas trop d’identité démocratique, du moins n’était pas une référence, tout autant que le Togo. Mais depuis le lundi 30 novembre, ce pays est entré dans une autre dimension, avec l’élection présidentielle qui a consacré la victoire de Marc Kaboré et qui scelle une sortie définitive de crise politique traversée par le pays depuis plus d’un an.

Avec cette issue heureuse, le Burkina Faso qui était le dernier compagnon de vice démocratique, fausse royalement compagnie au Togo de Faure Gnassingbé l’« empereur ».

La réussite burkinabé

Très peu d’amis du Burkina Faso ou simplement d’amoureux de l’alternance au pouvoir ont perdu espoir quant à une issue heureuse de la crise politique dans ce pays, au regard des soubresauts. S’ils étaient très nombreux à saluer la révolution qui a chassé Blaise Compaoré du pouvoir le 31 octobre 2014, chemin faisant, beaucoup ont déchanté et craignaient que cet effort ne soit vain, notamment avec le coup d’Etat tenté par Gilbert Diendéré en septembre 2015, à quelques semaines seulement du scrutin présidentiel préalablement fixé en octobre. Mais le peuple burkinabé a surpris agréablement le monde, en concluant de la plus belle des manières la lutte enclenchée depuis plus d’un an.

Roch Marc Kaboré, un ancien disciple de Blaise Compaoré qui a su quitter la barque Cdp au moment opportun, notamment avec les premières velléités de l’ancien président de tripatouiller la Constitution de son pays pour briguer un extra-mandat au pouvoir, s’est fait élire au terme de l’élection présidentielle du 29 novembre dernier. Il l’a emportée dès le premier tour, avec un peu plus de 53 % des voix. Au-delà du score, c’est l’alternance au bout qui est à saluer. Cela met fin à 27 années de gestion solitaire et maléfique de son ancien patron. Dans le même temps, son parti, le Mouvement du peuple pour le progrès (Mpp) a raflé la mise s’agissant des législatives. Selon les résultats rendus publics le 2 décembre par la Commission électorale, il l’emporte par cinquante-cinq (55) sièges, devant l’Union pour le progrès et le changement (Upc) de l’opposant traditionnel Zéphyrin Diabré, arrivé second de l’élection présidentielle, avec trente-trois (33) députés. Il ne manquait que neuf (09) sièges au Mpp pour avoir la majorité absolue.

Au-delà des rancœurs et déceptions que cela puisse engendrer chez certains, cette issue heureuse de la crise est à mettre à l’actif de tout le peuple burkinabé. Elle élève au firmament et exalte le pays tout entier. C’est la fin d’une longue période noire pour le pays. Déjà le nouveau président promet gérer les choses autrement. « Je veux associer tous les Burkinabés à la gestion du pays », a-t-il promis quelques heures après la proclamation de sa victoire. Cet aboutissement fait entrer définitivement le Burkina Faso dans le cercle fermé des rares pays démocratiques de l’Afrique noire francophone.

Le Togo finalement la seule plaie de la démocratie

Les effets de ce double scrutin sont dans un premier temps nationaux. C’est le Burkina Faso qui tourne une page lourde de son histoire. Mais cette réussite a aussi un impact au-delà des frontières. On le relevait tantôt, le Burkina Faso était dans la même classe que le Togo, celle des cancres de la démocratie. Il s’agissait de deux pays où le pouvoir était confisqué par un clan durant plusieurs décennies. Blaise Compaoré qui est parvenu au trône en 1987 après l’assassinat de Thomas Sankara et y est resté depuis lors sans jamais passer la main, et Gnassingbé Eyadema qui a égrainé 38 bonnes années au pouvoir sans partage et transmis le fauteuil à son fils Faure en 2005 dans les conditions que tout le monde sait. Mais depuis ce 30 novembre 2015, le Burkina fausse compagnie au Togo et rentre dans la classe des bons élèves de la démocratie en Afrique. Bien plus, il l’isole davantage, dans une sous-région où tous les voisins ont effectué leur mue.

« Les pays limitrophes du Togo sont : Au Nord la démocratie, au Sud l’Océan Atlantique, à l’Ouest la démocratie, à l’Est la démocratie, très à l’Est par la démocratie », c’est par cette caricature qu’un compatriote a apprécié la situation actuelle du Togo après la proclamation de la victoire de Rock Marc Kaboré, à la présidence de la République. « Il y a eu alternance au Ghana, au Bénin et il vient d’y en avoir au Burkina. Il ne reste que l’océan atlantique à en faire », glose un autre. Mais au-delà de ces moqueries ostentatoires, ces propos relèvent tout de même un fait : l’isolement du Togo en matière de démocratie et d’alternance dans la sous-région.

En effet, au départ, c’est le Bénin qui a ouvert le bal dans les années 91, avec le départ du pouvoir de Mathieu Kérékou, conduit à sa dernière demeure la semaine passée et la venue de Nicéphore Soglo. Est venu s’y adjoindre le Ghana, avec un certain John Jerry Rawlings que l’on devrait craindre de vouloir s’accrocher à la fin de ses mandats, au regard de la façon dont il est parvenu au pouvoir. Ces deux pays voisins depuis plusieurs décennies, s’illustrent comme les seules vitrines de la démocratie dans la région ouest-africaine, avec plusieurs changements de régime, prenant le Togo en sandwich. Jusqu’au 31 octobre 2014 et exactement le 30 novembre 2015, notre pays pouvait encore se consoler de ne pas être l’unique ennemi de l’alternance. Mais désormais, il est bien esseulé, avec l’issue de l’élection présidentielle du 29 novembre au Burkina Faso, car tout autour de nous, on respire le vent de l’alternance et de la démocratie. Le Togo est donc le cancre de la région. C’est ce qu’exprime ce titre du confrère L’Alternative en parlant du Togo comme « Un ilot de dictature dans un océan de démocratie ».

Parallèlement à cette situation, notre pays reste le seul de la région où il n’existe pas de limitation de mandat présidentiel. Le tripatouillage constitutionnel opéré en décembre 2002 par Eyadéma qui a sauté le verrou de la limitation du mandat présidentiel continue d’être de rigueur, malgré les recommandations de l’Accord politique global (Apg) du 20 août 2006. Faure Gnassingbé a réussi, par des subterfuges de toutes sortes, à se débiner et s’en est prévalu pour candidater à l’élection présidentielle du 25 avril dernier qu’il a remportée dans les conditions que l’on sait. Il a cru devoir rejeter à Accra l’initiative de la Cedeao de limiter à deux dans tout l’espace les mandats présidentiels, préférant se faire tailler des conditions de pérennisation au pouvoir jusqu’en 2034 par une certaine Commission de réflexion sur les réformes présidée par Awa Nana.

Notre pays est la seule exception en matière d’organisation d’élections locales, pourtant reconnues comme le fondement de la démocratie. Alors que le Togo en a pris l’engagement en avril 2004 devant l’Union européenne, il n’a pas cru devoir s’y plier depuis plus d’une décennie. Les rappels de l’Union européenne, les réclamations de l’opposition et de la société civile n’y ont rien pu. Et pourtant ce ne sont pas les moyens qui manqueraient. Aujourd’hui l’UE fait de l’organisation des élections locales son cheval de bataille et ses représentants n’hésitent pas, à chaque fois que l’occasion leur s’offre, de mettre la pression sur le pouvoir. Mais pour l’instant, cela ne semble avoir aucun effet sur Faure Gnassingbé dont les préoccupations sont visiblement ailleurs. Le pouvoir préfère se contenter des délégations spéciales dont les représentants lui répondraient au doigt et à l’œil, notamment dans la propagande et les fraudes électorales, de même que les préfets qui lui sont dévoués. Les événements de Mango et surtout le désamour entre les représentants du pouvoir central et la population ont actualisé la nécessité des locales, et plusieurs voix l’ont relevé. Mais le pouvoir qui se sait partir avec la défaveur des pronostics, au regard des scores de l’opposition dans les grandes villes aux différentes élections, s’en moque royalement…

Tino Kossi

Liberté du 14/12/2015  

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