Vers une implosion du plus vieux parti de Côte d’Ivoire.

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En octobre prochain le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI-RDA) aura son congrès, le 12 ème du genre depuis sa création le 9 avril 1946. Et comme toujours à la veille des congrès de ce grand parti, l’un des plus anciens d’Afrique, il y a toujours beaucoup de tensions liées à son fonctionnement, à son avenir et à la mise en place de ses organes dirigeants. Ce 12 ème congrès arrive au moment où la Côte d’Ivoire, notre pays sort difficilement d’une crise sociopolitique sans précédent. On peut même dire que la situation est totalement bloquée parce que la réconciliation prônée par les gouvernants, n’est pas possible à cause d’un manque notoire de réelle volonté politique.

Ouattara et son clan ont voulu faire cette réconciliation sans Laurent Gbagbo, ses collaborateurs et ses partisans qui sont en prison. Pour se réconcilier il faut être au moins à deux. La réconciliation n’est pas possible tant que plusieurs membres de l’une des parties en conflit sont abusivement privés de liberté. La libération de quelques otages (14 sur 800) début août, n’est qu’une goutte d’eau dans la mer. Le PDCI-RDA qui est dans une alliance politique avec le Rassemblement des Républicains (RDR) depuis le 18 mai 2005, devait jouer un rôle de catalyseur pour que la paix revienne au pays qui connait une situation instable depuis 1993. Le parti de Félix Houphouët Boigny a une responsabilité historique dans la situation actuelle de la Côte d’Ivoire. Les dissensions actuelles au sein du PDCI sont en grande parti, la conséquence d’approches divergentes sur le repositionnement du PDCI au plan national, son maintien au RHDP, le renouvellement de son capital social, l’application de ses statuts et le rôle qu’il doit jouer pour que la paix revienne au pays.

En 2010, dans le cadre du Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP), le soutien que le PDCI-RDA a apporté à Alassane Dramane Ouattara, au deuxième tour de l’élection présidentielle, a été déterminant. Il a donné un argument de poids, du point de vue des calculs arithmétiques des voix, à Nicolas Sarkozy et la communauté internationale pour renverser le régime de Laurent Gbagbo. C’était l’objectif assigné à cette alliance créée par l’ancienne puissance coloniale dans le cadre de la division des groupes sociaux nationaux, pour asseoir son hégémonie. C’est une vielle pratique bien connue du système colonialiste et néocolonialiste français. Bédié qui est lié à ce système pour des raisons bien évidentes, a fait le choix politique qu’il ne pouvait que faire. Ce choix n’a certainement pas fait l’unanimité au sein du PDCI, notamment au niveau des militants de bases de ce parti. Mais depuis, beaucoup d’eau a coulé sous le pont et le RHDP a en ce moment du plomb dans l’aile dans son fonctionnement. C’est à juste titre d’ailleurs, qu’au cours de leur conclave du 17 août dernier à Yammoussoukro, les secrétaires généraux de sections et les délégués départementaux ont tiré à boulé rouge sur le régime Ouattara et le RDR qui ont oublié qu’ils sont au pouvoir grâce au RHDP.

Dans cette alliance, un mariage de raison, les deux principaux conjoints fonctionnent dans un cadre de parti unique camouflé, avec une Assemblée Nationale monocolore. Le monopole de la vie politique est assuré par les militants de cette alliance avec une concentration du pouvoir dans les mains des seuls cadres du RDR, « rattrape ethnique » oblige. L’opposition significative sevrée de ressources humaines et de moyens financiers publics dont elle a droit, une loi existe dans ce sens, est exclue de la scène politique par des emprisonnements et intimidations permanents de tout genre. Cette situation a conduit forcement à l’installation d’un régime dictatorial, voire totalitaire de fait en Côte d’Ivoire depuis bientôt trois ans. Il faut rappeler, soit dit en passant que les régimes politiques à parti unique, ont été particulièrement en vogue et nocifs à la liberté d’opinions, en Afrique dans les trois décennies qui ont suivi les indépendances.

La plupart des « nations naissantes » ont considéré ce système de parti unique comme une formule magique qui pouvait garantir la cohésion nationale, loin des formations politiques construites sur des bases ethniques pendant la colonisation. Dans la pratique, ce système de parti unique que Ouattara a instauré en Côte d’Ivoire, a abouti de façon lamentable et tout le monde le sait, à étouffer les libertés d’expressions dans les pays africains. Le Président du PDCI, peut être nostalgique du système de parti unique dont il est un pur produit, a suivi Ouattara dans son entreprise funeste. Ses suiveurs et lui ont pensé que leur allié, allait faire un partage équitable des dividendes politiques et matériels générés par leur mariage de raison, dans l’exercice du pouvoir d’Etat.

LE PDCI ET LE RDR SE REGARDENT AUJOURD’HUI EN CHIENS DE FAÏENCE DANS LEUR ALLIANCE.

Le PDCI lui-même qui devait historiquement porté la culotte, dans son ménage avec le RDR qu’il a porté au pouvoir, est quasiment noyé, dominé et malmené par celui-ci. Aujourd’hui, les deux conjoints en instance de divorce irréversible, se comportent exactement comme des ennemis et se regardent en chiens de faïence. Pour rappel, on l’a vu lors des élections législatives, municipales et régionales. Il y a eu une guerre de tranchée entre les militants du PDCI-RDA et ceux du RDR. A l’Assemblée Nationale, les désaccords sur l’examen des projets de lois s’accumulent et mettent à mal la cohésion déjà fragile au sein du gouvernement.

Ouattara qui est candidat à sa propre succession en 2015 et son nouvel ami Bédié, font tout ce qui est possible, pour sauver les apparences à coup de billets de banque. Ils circulent abondamment en ce moment sous les manteaux pour faire taire tout le monde. Pour le moment, le jeune Kouadio Konan Bertin alias KKB, président de la jeunesse du PDCI résiste. Ouattara sait que les Ivoiriens aiment l’argent et il compte sur cette réalité sociologique pour se maintenir au pouvoir. Sûr de lui, il s’est déjà donné sept ans pour le reste de son règne. Le Sphinx de Daoukro joue, sans retenu, son rôle à lui confié par Ouattara, oubliant qu’il est le président d’un grand parti où il y a des cadres de hauts niveaux, de toutes disciplines et de toutes générations. Leurs avis devraient en principe compter dans la marche et les prises de décision du parti.

Le groupe dominant des anciens avec Henri Konan Bédié, accroché à leurs avantages matériels, reste malheureusement encore, le relais de l’idéologie néocolonialiste dont le centre de décisions reste fondamentalement Paris. Bédié et les anciens du PDCI sont en conflit permanent, sous-jacent avec les jeunes cadres du parti, plus nombreux, nationalistes, proches des idées de Laurent Gbagbo et ouverts aux négociations avec le FPI au nom des intérêts des Ivoiriens et de leur pays. C’est le fond du problème. Il faut nécessairement débattre de cette question de recadrage politique, voire même idéologique si le parti créé par Félix Houphouët Boigny veut survivre après son prochain congrès.

Malheureusement en ce moment tout se verrouille comme au temps du parti unique. Lors du conclave àYamoussoukro le 17 août 2013, des loubards ont été commis pour mater la « rébellion » composée des partisans de KKB qui voulaient tout simplement s’exprimer à travers une motion. Le leader de cette « rébellion », s’est retrouvé dans un commissariat, comme un vulgaire hors-la-loi. La direction du parti doit changer ce genre de pratique et d’intimidation d’un autre âge. Une organisation politique sans démocratie interne, sans débat interne, est vouée à se disloquer. C’est la démocratie interne qui peut favoriser le débat, donc limiter les frustrations et donner un certain dynamisme au parti à travers toutes ses composantes générationnelles. Le PDCI est en train de créer les conditions de sa deuxième implosion. Djéni Kobina a créé le RDR le 27 septembre 1994, parce qu’il avait été privé de parole au cours d’un congrès ordinaire du PDCI. Les déclarations de Bédié, du genre « KKB est un soldat perdu » ne sont faites pour arranger les choses. Au contraire, elles créent des frustrations et dans le même temps, écrasent injustement les avis contraires à ceux de Bédié qui, en principe, devait humblement prendre acte et soumettre les préoccupations des militants au prochain congrès.

Au contraire Bédié (79 ans) et ses suiveurs zélés, mus par la cupidité et l’arrogance que confèrent très souvent le pouvoir politique et financier aux hommes de peu de valeur, comme d’habitude, bombent inutilement la poitrine au lieu d’engager une discussion sérieuse avec le jeune KKB et ses soutiens. Par leurs déclarations guerrières, ils ont créé une situation de forte tension qui a dépassé aujourd’hui, le seuil du tolérable. Ce qui conduit forcement à une sorte de « sédimentation » dangereuse de la contradiction qui couve au sein du PDCI depuis le coup d’Etat de 1993. La position actuelle de Kouadio Konan Bertin, alias KKB, président de la JPDCI, soutenu aujourd’hui ouvertement par un groupe de députés, est certainement partagée par plusieurs cadres et militants du PDCI-RDA qui n’ont pas d’occasion pour s’exprimer ou qui ont peur de le faire tout simplement pour ne pas être taxés de rebelles comme c’est le cas actuellement de KKB. La logique de la peur, appuyée par des menaces est encore d’actualité au sein du parti cinquantenaire.

UNE VIELLE PRATIQUE AU PDCI-RDA : TOUTES LES IDÉES INNOVANTES ET CONTRADICTOIRES SONT TOUJOURS ÉTOUFFÉES PAR DES MOTIONS DE SOUTIEN.

Depuis cinquante ans, c’est le même principe rétrograde de gestion des contradictions internes à coup d’intimidation et de motion de soutien à la direction et au président du Parti. Ces motions de soutien, il faut le noter, sont souvent suscitées par la direction elle-même, sur la base du clientélisme alimentaire et du tribalisme primaire, pour étouffer toutes les idées innovantes qui vont dans l’intérêt des militants, voire du pays. Pour exemple, dernièrement, des Délégués départementaux et communaux du PDCI, réunis en conclave forcé, le 29 juin 2013, à Grand Bassam, sur convocation du président de la coordination du Comité d’organisation du 12ème Congrès Ordinaire, ont fait une motion de soutien à Bédié (79 ans) suite aux déclarations de KKB qui demande d’appliquer tout simplement les textes du parti, notamment sur les conditions relatives à l’élection de son président.

Quand on lit froidement cette motion de soutien à N’zuéba, on se rend compte que son contenu qui le magnifie de façon démagogique, est en contradiction flagrante avec les statuts de la plus vieille formation politique du pays et le profil même de la personne qui pourrait éviter en ce moment une implosion au parti de Félix Houphouët Boigny. Toutes les motions de soutien, à caractère purement alimentaire, qui vont très bientôt se succéder, après celle des députés (80), ne pourront malheureusement rien régler. En Afrique et c’est bien connu, les représentants des peuples dans les institutions républicaines et les partis politiques, ne tiennent jamais compte des aspirations et des conditions de vies des populations et des militants de base, dans leurs prises de décision. En fonction de ses propres intérêts, c’est toujours une minorité de privilégiés qui décident toujours malheureusement pour ces populations et militants de base qui vivent très souvent dans la misère et la précarité.

Bédié qui a fêté des milliards aux premières heures de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, agit toujours par rapport à ses propres intérêts et à ceux de son clan. Il a encore des moyens financiers énormes pour entretenir ses suiveurs et s’acheter de nouveaux soutiens. N’zuéba n’a jamais rendu compte de sa gestion du pays (1993-1999) et il s’accroche au pouvoir à 79 ans. On peut le dire sans risque de se tromper, il est un problème pour le PDCI et la Côte d’Ivoire.

Il ne fait plus l’unanimité à cause de ses pratiques intrigantes obsolètes et sa gouvernance en déphasage avec les statuts et règlements du parti qui est aujourd’hui à la croisée des chemins. Son image est, depuis, ternie par plusieurs vieilles affaires sales. Sa vision mercantile de la gestion des affaires de l’Etat au profit de son clan, et son âge très avancé, font de lui un homme du passé. Selon une source médicale parisienne digne de foi, Bédié est en ce moment, très affaibli par la maladie. Les déclarations courageuses de KKB, les candidatures sérieuses, annoncées de Djédjé Mady, Kouassi Yao, Kouadio Konan Bertin à la présidence du PDCI, et la dissidence qui se met petit à petit en place, sont pour le Sphinx de Daoukro des soucis supplémentaires même si tout est mis en œuvre pour sauver les apparences.

LE PARTI CRÉÉ PAR FELIX HOUPHOUËT BOIGNY EN 1946 EST AU BORD DE L’IMPLOSION.

La situation de tension qui prévaut en ce moment au sein du parti, va avoir à court terme, des effets collatéraux certains, difficiles à gérer par la suite et le Sphinx de Daoukro, ne pourra plus jamais avoir la même aura et puissance, malgré ses moyens financiers colossaux, s’il parvenait à se maintenir, par extraordinaire, à la tête du PDCI-RDA qui pourrait imploser. Cette situation doit être au cœur des préoccupations du bureau politique et des militants du parti. Les enjeux sont énormes. Au cours de son 12ème congrès, le parti de Félix Houphouët Boigny doit forcement trouver une issue heureuse, à partir de laquelle, il pourra jouer un rôle de premier plan sur la scène politique nationale. Il est donc nécessaire d’accorder une place de choix à une nouvelle génération de jeunes leaders, capables de relever tous les défis comme ceux de la reprise et l’exercice effectif du pouvoir d’Etat, la promotion de la démocratie interne, et la mise en place de nouvelles conditions pour une vraie réconciliation nationale, gage d’un développement durable pour nôtre pays. Dans ce sens, le PDCI-RDA a une responsabilité historique qu’il doit forcement assumer sur la base de l’héritage laissé par Félix Houphouët Boigny.

C’est une voie qui doit être exploré, si le parti du Bélier de Yamoussoukro, veut véritablement reconquérir le pouvoir d’Etat. Il doit ouvrir un débat de fond sur son avenir en lien avec la promotion des jeunes cadres, un capital social qualitatif qui existe au sein du parti. Le PDCI doit désigner dans l’union de ses militants, un candidat pour 2015 à l’issue de son prochain congrès et entreprendre des négociations avec le FPI. Pour le moment c’est la seule voie pour sauver la Côte d’Ivoire. Le parti de Laurent Gbagbo qui dispose d’une assise nationale certaine, malgré la terreur dans laquelle vivent ses militants et sa direction, a marqué sa volonté de faire une alliance avec le PDCI-RDA pour chasser Ouattara du pouvoir. C’est un élément très important pour un retour véritable au pouvoir du PDCI qui doit jouer son rôle de rassembleur. Les Ivoiriens, marginalisés dans leur propre pays, sont devenus nationalistes, dans leur grande majorité, on peut dire, grâce à la politique néocolonialiste du régime Ouattara et une immigration hasardeuse de repeuplement de la Côte d’Ivoire. Le PDCI-RDA qui est à l’origine un parti nationaliste et anticolonialiste doit intégrer cette nouvelle donne dans sa stratégie et dans les débats à son prochain congrès.

Autrement dit, il y aura une implosion. Ce parti qui avait une base nationale, va davantage se réduire à un espace géographique unique et mono ethnique. Regardons les résultats du premier tour de l’élection présidentielle de 2010, Bédié (25,1%) a fait le plein de ses voix dans le centre du pays. Il est seulement arrivé en troisième position derrière Ouattara (32,3%) qui lui a largement dominé dans le nord dont il se réclame. Seul Laurent Gbagbo (38,05%) a eu un électorat multiethnique et plus national que ses adversaires, au premier tour de l’élection présidentielle de 2010. En l’absence de sondages d’opinions fiables et la non participation du FPI aux dernières élections législatives, municipales et régionales, les résultats du premier tour de l’élection présidentielle de 2010, restent jusqu’à preuve du contraire, le seul critère d’appréciation pour mesurer le poids des partis politiques en Côte d’Ivoire. Et justement, eu égard à ces résultats, le constat est claire, le PDCI-RDA est en perte de vitesse du point de vue de son influence au plan national et il est impérieux qu’il se réveille. En 2015, à l’élection présidentielle, une candidature du professeur Alphonse Djédjé Mady ou celle de Pascale Affi N’guessan, dans une alliance bien pensée, fera tomber forcement Ouattara au premier tour. Ces deux personnalités répondent positivement à des critères politiques et géopolitiques, compte tenu du nombre et de la configuration spatiale des militants de leur parti respectif, à savoir le PDCI et le FPI.

Et justement, PDCI-RDA a l’occasion de se repositionner durablement sur la scène politique en prenant à son 12ème congrès, des résolutions courageuses, pour sortir du RHDP et changer l’ordre ancien établi depuis 1960 avec un changement de mentalité. Henri Konan Bédié et ses suiveurs de la même génération, au début de leur engagement politique, ont tous été animés par une volonté nationaliste ferme, pour bâtir la nation ivoirienne entre 1960 et 1980. Malheureusement, ils ont été formatés et phagocytés par le système postcolonial et ses travers. Les valeurs de l’argent mises en avant, qui sont souvent, sources de détournements de deniers publics, de corruption et de mauvaise gouvernance ont vaincu leur élan nationaliste et les ressources de l’Etat ont été soigneusement pillées. Malgré tout, avec le niveau de moralité hétéroclite de Bédié et de ses suiveurs de la même génération, la Côte d’Ivoire est devenue un pays d’avenir, sous la direction de Félix Houphouët Boigny qui a fait ce qu’il a pu. Maintenant, il faut laisser la place à une autre génération, en rupture de banc avec le système postcolonial pour moderniser le PDCI-RDA et repenser le développement de la Côte d’Ivoire.

BEN ZAHOUI DEGBOU

Géographe & Journaliste Spécialiste de Géopolitique et de

Médiation Institutionnelle

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