Un projet d’accord boiteux. La CEDEAO va-t-elle échouer au Burkina aussi ? [Chronique de Kodjo Epou]

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On est passé à côté de l’impasse pour déboucher sur un projet d’accord boiteux qui véhicule un message ahurissant : aux armes, soldats d’Afrique, chaque fois que vous voulez imposer à la cour constitutionnelle de votre pays vos propres candidats, vos propres règles du jeu électoral ! 

Diendéré, l’ombre de Blaise, est venu nous rappeler qu’on est encore en Afrique. Le continent où les corps habillés sont au-dessus du peuple, de la loi. On est militaire, en Afrique, pour mener une vie de pacha, rouler en Mercedes, posséder les plus luxueuses villas, avoir la meilleure collection de maîtresses avec leur sarabande de grosses cylindrées. Ils sont prêts à retourner leurs armes contre le peuple dès qu’ils perdent une partie de ces avantages. A cause des privilèges que s’arrogent nos militaires – la plupart n’ont aucune notion de civisme – l’Afrique reste encore de nos jours le continent où un individu quelconque peut devenir président de la république du jour au lendemain, grâce à des raccourcis aux odeurs de poudre à canon.

Les hommes de main de Blaise Compaoré ont eu tort de vouloir, à l’aide d’arguments indécents qui choquent l’intelligence, ronger les entrailles de la transition et contrôler les règles du processus électoral. Ces putschistes ont eu tort d’avoir trop vite oublié de quoi est capable le peuple Burkinabé, sa capacité de mobilisation et de parler d’une seule voix quand il est en danger. Ils ont enfin tort d’avoir écouté les sons trompeurs du diable qui leur ont fait croire qu’ils pouvaient reprendre le poil de la bête et réinstaller l’ordre ancien. Le peuple burkinabé, avec l’appui de la majeure partie de l’armée nationale, dit NON et fait sa part du travail de démolition de la dictature. Il attendait que des mesures beaucoup plus coriaces soient prises par le Conseil de Sécurité de l’Union Africaine et la communauté internationale dans son ensemble contre le général Gilbert Diendéré et son groupe. Cela aurait eu l’avantage de dissuader, ailleurs sur le continent, d’autres énergumènes qui seraient tentés par une aventure similaire. L’accord de sortie de crise, en faisant la part un peu trop belle aux auteurs du « coup taré », prend plutôt l’allure d’un ferment.

En réalité, le coup est motivé par la peur. La peur d’une transition réussie, d’élections démocratiques, de la naissance d’un état de droit qui ne manquera pas de demander des comptes. La transition constitue donc une réelle menace à leur qualité de vie qu’ils voudraient sans fin. Alors, on sort l’artillerie lourde. Déjà le bilan est lourd. De pauvres hères se sont fait égorger ou trucider à balle réelle par des miliciens opérant pour le compte des putschistes! Au lieu de faire lâcher le morceau à des voyous en les empêchant de gagner la moindre marge de manœuvre, les négociations conduites par les présidents sénégalais Macky Sall et béninois Yayi Boni leur ont fait gagner du temps. On est passé à côté de l’impasse certes, toujours est-il qu’on a débouché sur un accord boiteux qui véhicule un message ahurissant : aux armes, soldats d’Afrique, chaque fois que vous voulez imposer à la cour constitutionnelle de votre pays vos propres candidats, vos propres règles du jeu électoral !

On remarque, il faut le dire, que la manière dont le général Diendéré et son groupe ont conduit la « chasse à Kafando » dans leur tentative d’étranglement de la transition ressemble à un précédent rare dans l’histoire moderne mais qu’on trouve au Togo. On se souvient que des éléments des FAT avaient, les 22 et 23 octobre 1992 séquestré et molesté les membres du HCR, l’organe législatif transitoire. Pendant ces années sombres, le peuple togolais avait, en vain, attendu une main secourable du monde extérieur, mais a été abandonné, seul, face à ses bourreaux, à part quelques condamnations verbales sporadiques. De nombreux pays opprimés ont connu le même sort.

Si certains coups d’état sur le continent ont eu des retombées démocratiques – on peut les compter sur les doigts de la main – d’autres, à l’instar de ceux perpétrés au Mali en 2012 par Amadou Haya Sanogo et en Guinée en 2008 par le brouillon capitaine Moussa Dadis Camara, sont totalement farfelus. Dans la majeure partie des cas, le continent en a connu de très barbares. La palme, dans cette dernière catégorie, revient, entre autres, à Denis Sassou Nguesso du Congo et Gnassingbé Eyadéma du Togo. Le premier, évincé du pouvoir en 1992 suite à des élections démocratiques y était revenu en 1997 par les armes en renversant son successeur élu, Pascal Lissouba. Le second, qui est aussi le premier à ouvrir le bal des coups d’état en Afrique, avait impitoyablement ensanglanté son pays par une avalanche d’expéditions armées, des “guerres ” sans nom pour ne pas dire insensées que le monde s’est contenté de contempler malgré le nombre considérable de victimes. Cette parenthèse pour dire combien l’inaction et le manque de fermeté de la communauté internationale à l’encontre de ces cruels militaires sans foi ont eu et continuent d’avoir l’effet d’une boule de neige dévalant une pente.

Au bout du compte, c’est le peuple burkinabé qu’il faut féliciter. Sa mobilisation est une belle leçon au reste du continent. Face aux éléments perturbateurs qui veulent arrêter la marche pacifique de la transition, il y a seulement 1 opposition, 1 société civile, 1 peuple. Pas un seul discours discordant sur la marche à suivre. C’est ainsi que se comporte une nation opprimée soucieuse de son avenir et déterminée à sortir des fers de ses ravisseurs. Les pays où les révolutions populaires ont eu du plomb dans l’aile ou se sont éteintes, c’est ceux dans lesquels les opposants ont manqué de vision commune, regardé dans différentes directions et, par intérêt personnel, tenu des discours divergents en tirant la couverture chacun de son côté. C’est surtout dans ces pays que les instances internationales se sont révélées indigentes d’autorité, parfois à dessein, parfois parce que justement ceux qui s’opposent partent dans tous les sens.

Comment l’Afrique peut-elle se développer et affronter durablement les défis qui l’assaillent de partout et la maintiennent à la traîne des autres continents si des militaires, peu outillés à la gestion des affaires publiques, doivent, à leur guise, s’accaparer du pouvoir en foulant au pied toutes les règles, prétextant pêle-mêle l’injustice, l’exclusion et des menaces à l’ordre public. La tentative du général Gilbert Diendéré de confisquer les acquis de la révolution du peuple Burkinabé par une méthode de gangsters, à la togolaise – séquestration de hauts responsables de l’état – a été une forfaiture, une félonie dont le prix ne peut être que la mort, pour le général et les éléments crapuleux qui l’ont suivi dans son aventure ambigüe. Mais il y a lieu d’encourager le peuple du Burkina à cultiver l’esprit du pardon, à choisir la vie pour ses bourreaux au détriment de la mort.

Une chose est sûre, le dénouement de cette crise totalement inutile, quelle que soit l’issue du sommet de la CEDEAO annoncé à Abuja, va marquer le début de sales temps pour le général putschiste et ses camarades. Parce que le sang a encore coulé. Ces nouveaux crimes ne sont pas de nature à agrandir les chances d’une quelconque amnistie. Bien au contraire ? Les Burkinabé ont, dans tous les cas, démontré à la face du monde leur capacité à faire le guet pour la garde des acquis d’une révolution menée de haute lutte, sans jamais fléchir. Dès lors, l’ère Compaoré est bel et bien finie. Il suffit de le comprendre. Ses courtisans à Ouaga – on les trouve aussi à Lomé et à Abidjan – peuvent commencer à mettre de l’ordre dans leurs ténus esprits afin de prendre place à l’intérieur du train de la démocratie. Le seul train qui va désormais circuler au Burkina, comme l’a décidé le souverain PEUPLE du Faso.

Kodjo Epou
Washington DC
USA
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