Comme vous vous en serez certainement rendu compte, ce n’est pas non plus parce que le FPI (Front Populaire Ivoirien) aurait « tiré sur la corde » après la publication des photos de maltraitance de Jean Yves Dibopieu et de Blé Goudé à la DST (direction de la surveillance du territoire). Nous sommes en politique, et la décision de transfèrement de Blé Goudé à la CPI, est bel et bien une décision politique. Il ne faut pas, non plus, croire que ceux qui l’ont prise sont des enfants de cœur et qu’ils ne mesurent pas la portée de leurs actes (quoi qu’ils demeurent des piètres politiciens). Bien au contraire.
Ce qu’il faut savoir, c’est que le réveil de l’opposition, avec pour chef de file le FPI, inquiète sérieusement le régime en place. Pour preuve, toutes les tournées initiées par son président Affi N’guessan, à l’intérieur du pays, comme à Abidjan, sont un franc succès. Par dizaines de milliers, les populations en liesse sont sorties pour accueillir le chef de l’opposition, bravant, par la même occasion, la peur et marquant leur rejet pour le pouvoir Ouattara. Ce qu’il y a deux ans, était inimaginable, tant le règne de terreur du régime Ouattara était à son apogée. De plus en plus, des ivoiriens commencent s’exprimer sans crainte d’être réprimés. Le temps où il fallait raser les murs de peur de subir la barbarie des éléments incontrôlés d’Alassane Ouattara, le nouvel homme fort du régime en place, est révolu.
En effet, nul n’ignore que dans toutes les révolutions, le peuple a toujours le dernier mot, tôt ou tard. La force des armes ne triomphera pas toujours de la volonté du peuple. Alassane Ouattara et son camp en sont conscients. Mais peut-être veulent-ils que la Côte d’Ivoire soit l’exception qui confirme la règle ?
Le transfèrement de Blé Goudé est donc une décision mûrement réfléchie par Alassane Ouattara et son gouvernement. Ce n’est point un acte fortuit. Le réveil de l’opposition ivoirienne et l’éveil de la conscience populaire, face à la violence qui fait désormais force de loi en Côte d’Ivoire, face à la justice sélective, face à l’arbitraire…, est une réalité avec laquelle le régime d’Abidjan doit compter. En effet comme toute dictature naissante, il lui fallait, affirmer sa suprématie sur l’opposition et s’assurer de sa domination sur les populations ivoiriennes. Voilà la triste réalité. Le reste n’est que vaines supputations.
En transférant à la CPI, un leader des jeunes comme Blé Goudé, et non des moindres, le régime d’Abidjan savait pertinemment que cela ne serait pas du goût de l’opposition, mais aussi d’une large frange d’ivoiriens, notamment parmi les jeunes. Mais c’était pour ce régime, un risque à prendre, pour s’assurer qu’il a encore les cartes en main ; qu’il constitue encore un objet de terreur et de crainte pour les ivoiriens qui viennent à peine de sortir d’une période de traumatisme collectif. C’était pour ce régime, un test de terrain, un test pour sonder la capacité de réaction des ivoiriens. Toutes les hésitations, toutes les tergiversations observées, quant au transfèrement de Blé Goudé, participent de cette stratégie. Il s’agissait de voir si aujourd’hui, en 2014, des ivoiriens, notamment ceux qu’on appelle « les jeunes patriotes » étaient encore capables de se « soulever » contre le régime en place. Il s’agissait pour ce régime de se rassurer quant l’effectivité de sa force de dissuasion (et non de persuasion) contre les ivoiriens.
Pari réussi ? Apparemment. Mais rien n’es encore gagné…
Ce qu’il faut aussi et surtout retenir de ce sordide stratagème des dirigeants ouattaristes au pouvoir, c’est que le transfèrement de Blé Goudé, contrairement à ce que certains pensent, ne vise qu’une seule et même personne : Laurent Gbagbo, considéré comme la « bête noire » du régime Ouattara. Dès lors, c’est plutôt le non-transfèrement de Simone Gbagbo qui vise Soro Guillaume et ses hommes. Comment et pourquoi ?
Ecoutons pour ce faire Koné Bruno argumenter sur le refus d’Alassane Ouattara de transférer Simone Gbagbo : « Aujourd’hui la situation est différente. Les juridictions ivoiriennes sont en place, les juges sont là. Nous avons estimé, au niveau du gouvernement, que les conditions étaient réunies pour un procès juste et équitable en Côte d’Ivoire, pour madame Gbagbo ». Mais c’est Coulibaly Gnenema, ministre de la justice qui, plutôt, se veut plus clair sur la question: « Nous ne voulons pas envoyer Mme Simone Gbagbo à la Haye. C’est une question d’image… ». Vous avez bien lu !
Que personne ne s’étonne de ce que demain, ces mêmes arguments, entre autres, pour une question « d’image », soient utilisés pour appuyer le refus du transfèrement, notamment de Soro Guillaume, s’il s’avérait qu’il était « réclamé » par la CPI.
Il faut donc que l’on cesse de rêver. Alassane Ouattara n’a point l’intention de livrer Soro Guillaume et ses hommes à la CPI. Le cas Simone Gbagbo lui servira de « jurisprudence », si d’aventure la CPI lui exigeait le transfèrement de son dauphin constitutionnel. Souvenons-nous, c’était hier, lors de visite d’Etat d’Alassane Ouattara dans le nord, aujourd’hui « chasse gardée », par la force des choses, du RDR, son parti politique. Ce dernier lançait à la face des parents de Soro Guillaume et du monde entier, ces paroles qui ont, à l’époque scandalisées plus d’un, et qui devraient aujourd’hui nous donner à réfléchir. Alassane Ouattara vantait alors les « gloires » du jeune chef de la rébellion armée en ces termes : « (…) un jeune qui a grandi ici, qui a fait le Petit séminaire à Katiola et qui a fait preuve d’un courage exceptionnel. (…) Bien sûr, il (Guillaume Kigbafori Soro, ndlr) a estimé à un moment donné que nous les anciens étaient engagés dans une voie qui peut-être allait prendre trop de temps pour faire aboutir notre combat. Il a fait preuve de courage, il a fait preuve de sacrifice. (…) Il s’est battu pour que les populations du Nord puissent recouvrer leur dignité par la nationalité ivoirienne(…) C’est donc un acte très fort, au dessus des religions. C’est un acte de patriotisme. S’il a fait cela, c’est parce qu’il aime la Côte d’Ivoire. Je voudrais te féliciter mon cher Guillaume pour ton courage, ta fidélité et ton patriotisme ». Vous imaginez encore Alassane Ouattara transférer ce Soro Guillaume-là, à la CPI, au nom de la justice et de la réconciliation ?
En fait, la réconciliation nationale est le dernier des soucis de ceux qui tiennent actuellement les rênes de la Côte d’Ivoire. Car Blé Goudé, par sa force de mobilisation, par sa capacité à ressembler, aurait pu être un acteur essentiel pour la réussite du processus de réconciliation ivoirien. Mais Alassane Ouattara et son entourage n’en n’ont eut cure. Blé Goudé et Laurent Gbagbo peuvent « moisir » à la CPI, des ivoiriens peuvent rester en exil, d’autres peuvent périr dans les prisons ivoiriennes, la corruption et le népotisme peuvent gangréner la société ivoirienne, les ivoiriens peuvent s’en indigner autant qu’ils le peuvent, le régime Ouattara peut dormir sur ses deux oreilles tant qu’il se sentira invulnérable.
Malgré tout, certains veulent encore croire que Soro et ses hommes iront à la CPI pour, pensent-ils : « le grand bonheur des ivoiriens ». C’est leur droit. Mais qu’ils sachent que le grand bonheur des ivoiriens, ne réside pas que dans le simple transfèrement de Soro Guillaume et de ses hommes. Il se situe bien au-delà d’un simple acte de transfèrement. Il s’agit pour les ivoiriens de vivre décemment et dignement dans une Côte d’Ivoire libre, libérée de toute domination étrangère ; une Côte d’Ivoire réconciliée avec elle-même, dans l’union de ses fils et filles…, une Côte d’Ivoire solidaire et prospère. Et cela passe, sans doute, par la mise hors d’état de nuire de ce qui constitue aujourd’hui, un frein à cette soif de justice et de liberté partagée, ici en Côte d’ivoire, mais aussi partout en Afrique. A savoir, la fin du régime d’Alassane Ouattara, comme bien d’autres en Afrique, imposées à coups complots et de bombes françaises.
Marc Micael
Chroniqueur politique