Les nouveaux députés se sont réunis pour la première fois ce 20 août 2013. Le cérémonial de la rentrée parlementaire s’est déroulé sur fond de dissensions entre le CST et la Coalition ARC-EN-CIEL, en réalité entre l’ANC et le CAR.
Les déclarations intempestives d’un côté et de l’autre ne semblent avoir rien arrangé : l’intervention de Patrick Lawson la veille de la rentrée sur les medias est consolidée par Atanshi Abalo Edem sur Radio Victoire le 20 août, comme s’il voulait enfoncer le clou et montrer que l’ANC est prête à allumer la guerre contre qui le veut sur cette question du leadership. Côté CAR, Jean Kissi n’a pas été plus tendre comme d’habitude ; et Apevon Dodji a trouvé que les prétentions de J-P Fabre au leadership de l’opposition sont ridicules. Tout cela est fort aimable comme d’habitude.
L’opinion dans son ensemble semble être bien plus préoccupée par ces dissensions que par le cérémonial de la rentrée parlementaire lui-même. Le fait est surtout remarquable au sein de la masse des opposants. Certains n’ont pas hésité à exprimer sur Radio Victoire leur honte face au parti au pouvoir, au lamentable spectacle. Et beaucoup n’ont pas caché leurs inquiétudes sur le cours futur des événements au sein de l’opposition parlementaire dans l’Assemblée.
Il faut reconnaitre que ces inquiétudes sont justifiées. Quand les mêmes types d’antagonisme avaient opposé le CAR et l’UTD en 1994-1996, et que Kodjo avait entourloupé Agboyibo avec son histoire de « parti charnière » pour se faire nommer Premier ministre à la place du président du CAR (qui avait plus de députés de l’opposition à l’Assemblée), l’un et l’autre s’étaient tour à tour alliés au RPT, histoire de s’amuser à se mettre réciproquement des peaux de bananes !
Cet exemple lointain montre bien que la lutte pour le leadership au sein du courant majoritaire de l’opposition ne date pas d’aujourd’hui, et qu’elle n’est pas une invention de J-P Fabre et de ses amis au sein de l’ANC et du CST. Elle est dans la nature même des pratiques politiques au sein de ce courant de l’opposition. Elle a pris racine à partir du moment où, après avoir récupéré la lutte populaire dont l’objectif initial est la fin du régime d’oppression, les partis d’opposition du courant majoritaire ont désorienté la lutte de cet objectif en faisant désormais un combat, une « compétition » entre partis d’opposition pour le pouvoir.
A partir du moment où l’on ne voit plus ainsi dans la lutte d’opposition qu’un champ de course entre partis d’opposition pour le pouvoir ou, à défaut du pouvoir pour la première place au sein de l’opposition, la logique de la « compétition » veut que le gagnant devienne automatiquement le premier, et donc le chef des concurrents. Le 25 juillet 2013 J-P Fabre, à la tête de l’ANC, a remporté la course contre le CAR, la CDPA, l’ADDI, l’OBUTS…, ces partis du courant majoritaire qui prétendent depuis avril 2012 former désormais l’opposition togolaise à eux seuls.
Dans la logique de la « compétition », il est normal que J-P Fabre revendique au nom de sa formation le leadership de cette opposition-là, avec bien entendu tous les privilèges et tous les honneurs liés à ce statut ; et par conséquent qu’il exige de ses autres concurrents de s’aligner hic et nunc derrière sa politique d’opposition .
Mais il y a problème. D’abord, dans cette situation de « compétition » pour le leadership au sein de l’opposition, J-P Fabre n’a aucun pouvoir ni aucun moyen pour contraindre ses autres concurrents du CST, et à plus forte raison de la Coalition ARC-EN-CIEL à s’aligner derrière lui, puisque le CST n’est pas une alliance où les partenaires s’engagent sur une plateforme politique minimale instituant des règles consensuelles que tous les membres sont tenus de respecter pour assurer à l’alliance un minimum de cohésion dans la durée ; le CST malheureusement n’est qu’un « regroupement » de circonstance dans lequel chacun vient avec en fait l’espoir de pouvoir réaliser ses intérêts personnels ou partisans.
Ensuite, les Togolais sont descendus dans la rue en 1990, à leurs risques et périls, pour essayer de mettre fin à un régime d’oppression, et le remplacer par un régime politique démocratique pour le progrès du pays et des conditions de vie de la population. Ils ne se sont pas insurgés contre le régime d’oppression pour se faire donner un chef de fil de l’opposition dans le cadre des institutions et des lois du régime de dictature.
Si le cap est toujours sur cette aspiration profonde de la masse des opposants pour la fin du régime d’oppression et son remplacement par un régime respectueux des libertés démocratiques, on doit reconnaître alors que la bataille pour le leadership de l’opposition passe complètement à côté de la plaque.
La préoccupation de la masse des opposants n’est pas qu’on leur donne un chef de fil de l’opposition avec tous les moyens lui permettant de jouir des mêmes prérogatives que Faure Gnassingbe. La préoccupation première, c’est une franche alternative, mieux, une véritable alternative politique sous la forme d’un nouveau régime politique qui soit réellement démocratique pour permettre aux Togolais de se donner les moyens du progrès économique et social.
C’est le principe et la pratique de la « compétition » entre partis d’opposition pour le pouvoir dans la phase actuelle de la lutte pour la démocratie qui sont à l’origine du faux problème du leadership de l’opposition. On sait combien les guéguerres pour le leadership de l’opposition ont freiné la lutte d’opposition dès avant la Conférence nationale. On devrait pouvoir l’éradiquer des stratégies et des pratiques de la lutte d’opposition.
Les faiseurs de démocratie pour l’Afrique se sont rendus compte que les peuples d’Afrique supportent mal les démocraties de façade qu’ils veulent imposer sur le continent. Ils ont vu dans l’institution de l’idée de « leadership de l’opposition » une stratégie pour contourner les résistances populaires aux régimes d’oppression. D’où « la loi portant statut de l’opposition » du 12 juin 2013, qui définit et institue le chef de file de l’opposition. Il faudra revenir sur cette loi. Quand on la lit attentivement, on se rendra compte que nos amis de l’ANC ne devraient normalement pas agiter ce texte avec tant de vigueur pour appuyer leur revendication du leadership de l’opposition.
Les partis et organisations associatives de l’opposition, qui ont refusé depuis le début du processus politique, de s’inscrire dans la logique de la course concurrentielle (« la compétition ») entre partis d’opposition pour le pouvoir dans la phase actuelle de notre lutte pour la démocratie, ne se sentent nullement concernés par la guéguerre pour le leadership.
Ce qui les a toujours préoccupé, et qui continue plus que jamais de les préoccuper, est que la guéguerre pour le leadership empêche objectivement les partis d’opposition de se mettre ensemble pour se donner et conduire ensemble une politique d’opposition plus conséquente, plus conforme aux aspirations de la masse des opposants pour le changement. C’est pour cette raison, et cette raison seule, qu’ils se sentent obligés d’intervenir dans ce débat oiseux.
Que Dodji Apevon, parlant au nom du CAR, déclare qu’il faut reconstruire l’opposition togolaise est une surprise pour ceux qui ont le privilège d’avoir été intimement mêlés à la lutte d’opposition depuis 1990 et d’avoir donc suivi, tournant par tournant, les zigzags de la politique d’opposition du CAR depuis l’époque du FAR (Front des Associations pour le renouveau). La CDPA-BT n’a pas arrêté de faire cette proposition depuis des années déjà. L’opposition, c’est quoi au juste.doc.
La proposition pourrait être une surprise agréable. A condition que l’on accepte de purger de ses scories, la politique d’opposition conduite jusqu’à présent par le courant majoritaire de l’opposition. Il est évident que la guéguerre pour le leadership est une de ces scories, et non le moindre. Sous cette condition, la CDPA-BT s’associe pleinement à cette proposition.
Fait en Allemagne, le 23 août 2013
Pour la CDPA-BT
Emmanuel BUAKA
Membre du Comité Exécutif