Togo : Tohu-Buhu

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Le mot est hébreu et figure dans la Bible, dès les toutes premières lignes, pour désigner la situation de la terre « informe et vide »,  avant le commencement. Pour certains exégètes laïcs, c’est, entre autres raisons, la hantise de ce chaos, de cette absence d’ordre, de lois, de règles, de clarté qui a poussé les hommes à écrire la Bible. Pour y voir plus clair. Ce n’est pas seulement la confusion des bruits qu’évoque l’onomatopée ( on dit aussi tohu wa-bohu) avant l’intervention du verbe réfléchi et créateur, du verbe qui ordonne et règle chaque chose et lui assigne la place où elle doit être, mais c’est aussi la confusion des matières, eau confondue avec le feu, lumière perdue dans les ténèbres qui régnaient, ciel et terre indistincts, ce qui  doit être souterrain mélangé avec ce qui doit être élevé…Ainsi, devons-nous au Togo, avouer que nous nous retrouvons dans cet état à cette période trouble de notre histoire.

Le dictionnaire Wikipédia donne de ce mot 25 synonymes qu’il serait fastidieux de reproduire tous ici. Retenons toutefois ceux qui nous paraissent décrire de plus près la crise chronique de notre pays:

agitation, boucan, bouillonnement, branle-bras de combat, brouhaha,  chambardement, charivari,confusion, désordre,scandale, tam-tam, tempête, turbulence,vacarme. Il y en a certainement  plus, d’anciens et de nouveaux comme tsunami, par exemple. Ce dernier mot ne figure pas sur la liste de Wikipédia. Les états ainsi décrits n’ont jamais cessé de hanter les hommes, les sociétés humaines, d’alimenter leurs angoisses .  Ces mots, même employés avec humour, traduisent la tragédie de l’existence humaine.

Et qui que nous soyons, nous devons avouer que nous nous retrouvons dans une ou plusieurs de ces situations, actifs ou passifs, physiquement ou en esprit. C’est dans nos cœurs que ces phénomènes, tels des démons, jaillissent, bondissent, se bousculent, grondent. Mais c’est surtout en esprit que cela se passe, que cela nous tiraille, nous taraude, nous déchire, nous convulse.

La confusion est telle qu’il n’est pas possible de distinguer qui produit le tohu-bohu de qui ne fait que le subir. De savoir qui est vraiment de l’opposition et qui travaille sournoisement pour le pouvoir. Sur un autre plan, parfois ceux qui sont au pays ont la prétention d’être les seuls à savoir ce que c’est, étant les seuls à s’y frotter quotidiennement, à s’y débattre, les seuls à subir ses lois, ses effets. Et, ceux qui sont à l’étranger, n’ont-ils pas tendance aussi à accuser les compatriotes restés au pays d’en être les seuls auteurs? Je crois que s’il existe une métaphore qui rend bien compte de la situation, ce sera celle-ci : un homme va jeter de la cendre sur un tas d’immondices et de poussière; bien sûr qu’il ne peut  éviter de recevoir la poussière de la cendre soulevée, dans une certaine mesure sur lui-même, mais aussi, toujours dans une certaine mesure, dans une certaine proportion, ceux qui l’entourent, qu’ils le veuillent ou non, recevront de cette cendre sur eux, dans les yeux, la bouche, dans les vêtements etc, ce qui n’est pas du tout agréable. Et plus violemment l’on lance cette cendre, plus loin elle se répand, plus l’on cherche à la secouer pour s’en débarrasser, plus elle se propage,  gagne l’entourage de proche en proche. La seule consolation imbécile que l’on puisse avoir est de constater que l’on est moins atteint que le voisin. Consolation imbécile, dis-je bien, car le voisin, non moins égoïste est capable de chercher lui aussi par quel moyen prendre sa revanche, salir autant qu’il le peut celui qui se croyait à l’abri de la poussière de cendre, celui qui faisait son petit malin…Sommes-nous donc condamnés à vivre dans ce tourbillonnement incessant, de plus en plus obscur, de plus en plus opaque, de plus en plus collant à notre être, de plus en plus contagieux de poussière de cendre, ou nous arrivera-t-il un jour de réfléchir et de nous dire qu’il vaut mieux pour tous que la lumière soit faite, que l’on sépare les ténèbres d’avec la lumière, la terre d’avec la mer, le feu d’avec l’eau, les choses d’en-haut ( les vraies valeurs), si l’on veut, d’avec les choses d’en-bas, ce qui est noble d’avec ce qui est ignoble, ce qui nous honore d’avec ce qui nous avilit, la vraie folie de la vraie sagesse?

Dénoncerons-nous le mensonge personnifié qui cherche à se faire prendre pour la vérité suprême? Cesserons-nous de brader ce qui est précieux contre ce qui est vil, ce qui est fait pour durer contre ce qui procure un avantage passager, ce qui appartient à la nation et l’élève contre ce qui apporte une satisfaction immédiate à l’individu? Conscience contre argent et poste, hauteur contre bassesse, cime contre gouffre. Évidemment, une telle situation n’arrange que les pêcheurs en eau trouble, comme le Seigneur Podogan de La Tortue qui chante . Mais pour combien de temps?

Déclarant après le prophète que «  la nuit est longue, mais le jour vient » , Sylvanus Olympio avait, dans sa vision, une nette séparation des temps : le temps de la nuit, qui dure  mais aura une fin et le temps du jour qui pointait. Tout le monde au Togo n’est pas prophète, tout le monde n’est pas Sylvanus,  et il ne suffit pas d’être Olympio pour être Sylvanus. J’en connais un qui croyait presque toujours voir une lumière du jour, mais à son propre nombril. Réduire la lumière qu’attend tout un peuple à ce tout petit point de sa peau ou à ce petit bout de son propre nez n’est pas seulement étroit, mais aussi stupide, on peut le dire. Car il parlait de cette lumière avant 2005, annonçant sa propre victoire plusieurs mois avant l’élection présidentielle ( il savait déjà ou il ne savait pas encore qu’il ne serait pas lui-même candidat ), jusqu’à ce qu’il ait lui-même  contribué à précipiter le pays  dans de nouvelles ténèbres, peu avant le scrutin et au lendemain de la mascarade ( inutile d’insister là-dessus ). Il en parlait encore tout récemment, alors que nous baignons presque entièrement dans le tourbillon de cendre, pour nous faire croire que les élections législatives ou supposées telles sont le signe de cette lumière. Or, troubles sociaux, incendies volontaires, dont personne ne connaît jusqu’ici les vrais auteurs, arrestations arbitraires, refus obstiné de vraies réformes, violences militaires et policières, cacophonie d’un côté et de l’autre, dialogue stérile parce que dominé par la mauvaise foi et tous les partis pris monopolisateurs, forêt  touffue ou plutôt immense cimetière, (car dans la forêt la plupart des arbres sont vivants ) de déclarations, de communiqués, de mots, lettres mortes où non seulement on s’égare entre les tombes hétéroclites ( car loin d’informer et d’éclairer les citoyens sur la situation ils ajoutent aux malentendus déjà existants), mais aussi dont on sait d’avance qu’ils ne seront pas suivis d’effets réels, incertitude quant à une éventuelle échéance électorale, et même quant au type d’élections à organiser, vide institutionnel et constitutionnel… avec la misère et le désarroi de jour en jour plus grands de nos populations. Si au moins au sein de ce qui s’appelle l’opposition on parvenait à une convergence  et à une constance des sens! Confusion entre motivations, colère,  frustrations, orgueil personnels et justification de ses propres mauvais choix qui infestent encore plus les conflits, avec une prétendue vision de la nation! Est-ce cela le signe de la lumière qui vient? Il est dangereux de jouer les Sylvanus, même quand on s’appelle Olympio, prendre le vacarme qui s’échappe de la bouche sous l’effet de la convulsion des viscères pour l’expression d’une vision claire de l’avenir du pays. Dans le livre des Actes des Apôtres, des exorcistes, magiciens, donc  apprentis sorciers, voulaient chasser des démons en imitant Jésus et ses disciples, donc …«au nom de Jésus que Paul prêche». Pourquoi pas? Ils sont Juifs eux aussi, donc de la même race que Jésus, Paul et les autres. L’appartenance commune, la filiation à Jacob  et plus loin à Abraham suffirait peut-être pour leur conférer ce pouvoir. Mais l’un des démons leur réplique :« Jésus-Christ, je sais qui c’est. Paul, je le connais. Mais vous, qui êtes-vous?» Le démon se jette sur eux, les maltraite, leur déchire les vêtements et ils s’enfuient blessés,  tout nus . On ne joue pas, même verbalement avec la lumière, quand on se laisse prendre dans le tourbillon de cendre et de fumée noires, quand on ajoute soi-même à la confusion des ténèbres avec la lumière, du feu avec l’eau, des valeurs avec les intérêts sordides égoïstes.

Or, ils sont légion, nos apprentis sorciers à qui leurs propres démons déchireront un jour les vêtements et qui s’enfuiront tout nus ou couverts de la cendre qu’ils auront lancée eux-mêmes, dans le tourbillon de laquelle ils auront été pris. Ou les Podogan qu’un fou  déshabillera en public un jour, aux yeux du vrai Roi, le peuple souverain.

Sénouvo Agbota ZINSOU

 

 

 

 

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