Togo. Ayeva Bassirou : Et si nous tirons les leçons du passé ?

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Les Cris et les Questions :

Combien de morts et de mutilés les populations togolaises devront-elles encore pleurer ? Combien de vagues d’indignation, de désapprobation devra encore essuyer le régime pour amorcer le renouveau tant attendu ? Que de rendez-vous manqués vers la démocratie, la liberté ? Le prix de la liberté et de la démocratie est-il le même pour tous les peuples ? Sinon combien, nous Togolais, devrons-nous payer pour mériter mieux qu’une étiquette de liberté, de démocratie? Quand, jusqu’à quand et où s’arrêtera le cycle infernal des coups tordus du régime, des protestations du peuple et des répressions des innocents? Comment croire qu’avec un pouvoir détenu par une partie de la famille Gnassingbé, une partie des militaires et un cercle de copains, cette spirale s’arrêtera d’elle même demain ?

Et si nous tirions les leçons du passé ?

Ce qui est à la fois affligeant et révoltant c’est le maintien de la dictature répressive et sanglante institué par Gnassingbé père. Le fils héritier du parti, d’une partie de l’armée et de cercles de copains fait semblant de se muer en démocrate, de moderniser les institutions, de se ramollir, de ne plus être aussi sanglant, aussi dictatorial, par rapport à son père. Cependant, seuls les aveugles ou supposés tels feignent de croire en cette métamorphose démocratique. Parmi eux, il y en a qui parlent déjà de changement. Et pourtant, même si la méthode aujourd’hui est moins rugueuse, le verbe plus policé, le résultat reste le même : il s’agit pour le régime de confisquer le pouvoir par tous les moyens et de le maintenir coûte que coûte. Les mises en scènes et les tueries de plusieurs centaines de togolais qui ont porté le fils au pouvoir ainsi que sa réélection en disent long sur la nature vraie et les pratiques de ce pouvoir ubuesque et machiavélique.

Ce qui se passe chez-nous actuellement interpelle une fois encore tout le monde, tant au Togo qu’au sein de la Diaspora.

Cette dramatique situation interpelle beaucoup plus encore les Togolais de la Diaspora. Une Diaspora hélas hétéroclite, embourbée dans son quotidien, écartelée entre des partisans du statu quo, donc du RPT, – lisez UNIR si bon vous semble -, des partis de l’opposition ou de soi-disant neutres…Une Diaspora tiraillée entre colère et impuissance et qui peine à se mobiliser après des années de léthargie, d’hésitation et d’indécision.

Or le peuple martyr du Togo se retourne vers elle se disant qu’elle devrait lui être d’un soutien sûr et certain. L’opposition et ceux qui s’en réclament lancent des appels à la mobilisation de cette même Diaspora. L’histoire ne foisonne -t-elle pas d’exemples de contribution de diverses Diaspora à des luttes de libération de bien de peuples tout aussi opprimés que le nôtre?

L’équation qui se pose à nous aujourd’hui ne date pas d’hier. Elle s’est enracinée depuis la volonté explicite d’un même parti, le RPT son obstination immuable au travers des ‘’relookages’’ et ‘’reliftages’ d’une partie de la famille Gnassingbé à vouloir conserver éternellement le pouvoir. Cette partie de la famille et ses affidés tentaculaires s’emploient par tous les moyens à infliger échecs cuisants à toutes les tentatives d’alternance politique au Togo.

Depuis plusieurs décennies, nous semblons ne posséder ni les moyens financiers ni les moyens matériels et stratégiques de notre combat. Nous semblons aujourd’hui ne pas être capables de convaincre l’opinion internationale sur la nature et les pratiques nocives du Prince héritier et de sa cour… Nous semblons n’être riches que de nos contradictions, de nos querelles de leadership et des germes de divisions insufflées par l’interminable lutte transmise de génération en génération. Certes nous sommes également riches de cerveaux, mais des cerveaux parfois transhumants, parfois désemparés, souvent débauchés.

Depuis les répressions de la première quinzaine du mois de juin et celles qui ont suivi à Lomé et à l’intérieur du pays, « ça recommence » ou plutôt, « ça continue, nous sommes-nous dit. . . » Des appels sont donc lancés à la Diaspora pour venir au secours de la lutte du peuple. De partout dans la Diaspora montent des « appels à la mobilisation ». Finalement s’installe une véritable cacophonie.

De la primauté d’une clarification et d’une meilleure organisation pour l’avènement d’un réel état démocratique au Togo :

Au regard de la gravité de la situation, il est urgent de définir et de clarifier les positions et les rôles de chacun au sein du CST (Collectif Sauvons le Togo) sur le terrain même. Qui fait quoi, jusqu’où et jusqu’à quand ? Ceci permettrait de mieux s’atteler à l’organisation des énergies et des intelligences de la Diaspora engagées à soutenir les forces intérieures. Partis politiques et associations ou société civile peuvent-ils conduire ce combat, sans que demain des querelles de toutes sortes réapparaissent ? Cette clarification est la base et la clé de tout espoir de pouvoir poursuivre la lutte et de l’emporter. La division de l’opposition n’est un secret pour personne. Les tiraillements entre partis politiques et associations non plus. Et c’est de cette division et de ces tiraillements que le pouvoir tire sa longévité… Cette fois, nos leaders ont un exemple duquel nous pourrions nous inspirer. C’est le cas du Sénégal lors des dernières présidentielles. Un exemple récent. Une leçon. En fait, nous ne voulons qu’une chose, l’alternance au sommet du pouvoir et l’éradication des prémisses des tendances dynastiques. Une fois cette clarification faite, le CST pourra créer au sein de la Diaspora, un socle de synergie susceptible d’appuyer l’expression du courage, même de la témérité des acteurs sur le terrain.

Ce socle permettra de faire taire nos égoïsmes, nos divergences pour enfin créer une structure fédératrice capable de relayer les revendications intérieures. Le prix que paye une femme ou un homme estampillé opposant dans notre pays est très élevé, trop élevé, nous le savons. Non seulement qu’il reste en permanence soumis à des pressions de toutes sortes, à des intimidations et bien sûr à des menaces, même de mort, mais aussi finit-il par être ruiné économiquement et financièrement. C’est la raison fondamentale pour laquelle l’opposition extérieure qui vit dans une sérénité relative doit soutenir celle de l’intérieure. Or, elle ne peut y parvenir que si elle est mieux organisée.

Les deux oppositions, c’est-à-dire celle de l’intérieur et celle de l’étranger doivent synchroniser leurs actions. Cela ne peut se faire sans une réelle organisation de la Diaspora. Comme au Togo même, la classe politique connaît une nouvelle configuration. Elle s’est beaucoup rajeunie. Les forces combattantes au niveau de la Diaspora n’échappent pas à cette réalité. À la vieille garde s’est jointe une jeune génération tout aussi motivée et déterminée à en finir avec l’arbitraire et l’impunité. Il s’agit de transposer ou d’injecter les recettes qui ont réussi à remobiliser le peuple, malgré les risques incalculables qu’il court, à l’échelle des Togolais de l’étranger épousant la juste cause.

Le CST devrait désigner des délégués pour une tournée dans la Diaspora. Cette délégation devrait être conduite par ses premiers responsables si possible. Elle aura pour mission à la fois de réexpliquer son action, de stimuler la remobilisation des troupes: membres d’associations, représentations des partis politiques et des Togolais ou non, engagés à faire plier le système. Elle devra également susciter l’implantation de structures de relais des actions de l’intérieur. Elle installera des antennes dans différents pays… Elle leur donnera une feuille de route… Et ses antennes devraient être astreintes à des devoirs de résultats… Une telle démarche, c’est-à-dire le déplacement de cette délégation devra être financièrement et administrativement soutenu par tous ceux qui se réclament de l’opposition au sein de la Diaspora.

En s’occupant directement de la mise en place de ces structures extérieures, les délégués du CST lui confèrent une légitimité et un réel pouvoir d’agir en leur nom, sous leur impulsion. De tout temps, la Diaspora togolaise a toujours soutenu la lutte pour la libération du pays. Mais de tout temps cette Diaspora s’est heurtée aux mêmes écueils… le manque de cohésion, d’organisation. Ce qui a rendu son action inefficace.

Du FAR au COD1 et 2, il y a des années, beaucoup d’erreurs ont fini par plomber la lutte. Il n’y a presque pas eu d’actions concertées de l’opposition en direction de la Diaspora et vice versa. Il n’y a non plus eu sur le terrain, de formation des militants par leur parti, encore moins de formation des populations sur le sens de cette lutte, les risques qu’elle comporte eut égard à la nature de l’adversaire qui lui ne raisonne qu’avec les muscles et les armes… Le résultat on le connaît. Nous voici aujourd’hui contraints de passer par le démantèlement d’une dynastie Gnassingbé naissante avant d’arriver à l’étape de l’instauration de la Démocratie. Il est temps de tirer les leçons de ces échecs. Cette fois, convenons que nous avons amorcé la dernière ligne de notre combat. Soyons en convaincus et donnons-nous les moyens : économiques, financiers, diplomatiques…Si nous ne voulons pas vendre des rêves inaccessibles à nos populations, organisons-nous méthodiquement. Car, nous n’avons pas le droit d’envoyer une fois encore des filles et des fils du Togo à la boucherie si celle-ci n’engendrera pas l’alternance, la liberté.

Aujourd’hui, la lutte relancée dépasse les seuls cadres des partis politiques et une poignée d’initiés… Elle n’est non plus une affaire d’une région, de village, encore moins d’une classe sociale. Une fois encore notre peuple s’est levé. Seulement, ce mouvement citoyen doit être mieux structuré, mieux coordonné. Tout comme ce peuple de l’intérieur qui expose sa vie, tout Togolais soucieux de recouvrer sa dignité bafouée, devrait se demander quel peut être son rôle dans ce qui paraît être ou est l’ultime phase d’un trop long combat? Qu’est-ce qu’il peut faire ?

Comme hier, au temps du père, aujourd’hui le fils résiste et résistera par tous les moyens. C’est pourquoi nous devons réfléchir profondément tout en poursuivant ce combat qui devrait être le dernier. Souvenons-nous de Gnassingbé père qui nous avait livré une implacable et longue guerre. Cette guerre a entraîné l’appauvrissement financier, matériel et moral des leaders de l’opposition, de ceux qui les soutenaient ainsi que la lassitude des populations épuisées de passer leur temps à compter et enterrer leurs morts.

Le résultat de cette interminable guerre lui aussi est bien connu et si certains ne le savent pas, elle a fini par avoir raison de plusieurs chefs de l’opposition. Ils ont fini par faire allégeance au père et à l’héritier pendant que d’infortunés Togolais étaient soit blessés, tués ou contraints de partir en exil. Cette guerre d’usure se poursuit avec le fils. Lui aussi œuvre pour se maintenir le plus longtemps possible au sommet de l’État. La nouvelle étape de la lutte qui s’ouvre devant nous, devra tenir compte, non seulement de ces dures réalités vécues du temps du père, mais aussi répondre à un certain nombre de questions.

Est-ce vraiment le dernier combat ? Les populations togolaises qui se sacrifient verront-elles l’avènement de la fin du règne dynastique ? Et si le régime décapitait le mouvement? Et si le régime abdiquait? – ce qui paraît chimérique-.

Ce sont autant de questions auxquelles nous devons répondre aussi bien à l’intérieur qu’au sein de la Diaspora. À toutes ces questions et à bien d’autres, il nous faut trouver des réponses. Il ne doit plus y avoir d’orphelines, d’orphelins, de veufs ou de veuves pour rien ou simplement pour y avoir cru. Nous venons de reprendre un rendez-vous avec le destin de notre peuple. Répondons présents !

Ayeva Bassirou

 

 

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