Tiken Jah Fakoly est réputé pour son engagement et son combat pour la démocratie, la liberté et la justice. Depuis Bamako, où il réside, depuis sept ans, le descendant de Fakoly suit de près les événements en Guinée. Sans faux-fuyants, il dénonce la pression de la Communauté internationale sur Dadis Camara qu’il assimile à un acharnement. Toutefois, il exige que la lumière soit faite sur les massacres de Conakry et surtout que les auteurs soient punis.
Après les évènements du 28 septembre dernier à Conakry, n’avez-vous pas le sentiment de n’avoir pas été écouté par le Capitaine Dadis Camara ?
Effectivement. Pour l’instant, je pense que Dadis Camara ne m’a pas écouté, malheureusement. Je regrette qu’on ait laissé dans d’autres pays du Continent des militaires changer la Constitution notamment en Mauritanie et au Niger. Le fait d’avoir laissé le général mauritanien se présenter à l’élection présidentielle a sûrement donné des idées à Dadis Camara. Cela dit, je pense qu’il doit respecter l’engagement pris devant le monde entier.
Justement, quelle analyse faites-vous de la pression que la communauté internationale exerce sur Dadis Camara ?
Pour moi, il y a un complot contre lui. Peut-être qu’il avait pris, avant les événements du 28 septembre, des initiatives qui dérangent. Peut-être a-t-il dit non à des moments où il fallait dire oui. Je me rappelle qu’après sa prise du pouvoir, il avait passé au peigne fin tous les contrats qui liaient la Guinée aux entreprises occidentales. Il a sans doute découvert que ces contrats ne profitaient pas à la population guinéenne. Il a notamment mis sur pied une structure de lutte contre les trafiquants de drogue. Peut-être qu’il s’est fait là beaucoup d’ennemis. Il est du devoir d’un président de lutter contre la corruption et le trafic de drogue dans son pays. C’est tout cela qui lui vaut ces ennuis aujourd’hui. Je ne peux pas comprendre qu’après plus de 400 morts au Togo lors de l’élection présidentielle, M. Faure Gnassingbé soit resté à son poste. Et qu’une médiation ait été engagée. Je ne peux pas non plus comprendre qu’après des milliers de morts dans le Darfour, Omar El Béchir soit encore président du Soudan. L’acharnement médiatique sur le président Dadis Camara nous amène à nous poser des questions, d’abord en tant qu’Africains, ensuite en tant que génération consciente. Pourquoi ne s’est-on pas acharné contre les autres ?
Est-ce à dire que vous prenez fait et cause pour Dadis Camara ?
Non. Je condamne d’ailleurs fermement les massacres du 28 septembre. Mais j’estime que c’est après l’enquête qu’on peut désigner des coupables. Ce qui n’est pas le cas ici car l’enquête n’a même pas encore commencé.
L’Union Européenne estime justement que Dadis Camara doit être jugé pour « crimes contre l’Humanité ». Qu’en pensez-vous ?
Je pense que ça fait partie du plan de déstabilisation de la Guinée. Il y a beaucoup de violences dans plusieurs Etats d’Afrique, mais on n’a jamais vu l’Union Européenne s’acharner pour autant sur leur chef. Il y a donc quelque chose qui cloche.
N’est-ce pas la volonté de Dadis Camara de s’agripper au pouvoir qui suscite cette levée de boucliers de la Communauté internationale?
Effectivement. Si Dadis Camara avait indiqué clairement qu’il ne serait pas candidat à la présidentielle de janvier prochain, il n’aurait pas eu tous ces soucis. Mais l’acharnement tout azimut sur un chef d’Etat africain laisse penser qu’il y a d’autres choses derrière. C’est ce qui me gène. Cela dit, je pense que Dadis doit respecter ses engagements. Il a dit qu’il ne serait pas candidat. Il doit respecter sa parole. Il ne faut pas oublier que Dadis a réalisé des choses intéressantes depuis qu’il est là. Grâce à lui, les Guinéens ont plus d’eau et d’électricité, qu’auparavant.
Le président Compaoré initie en ce moment une médiation entre la junte au pouvoir et l’opposition. Pensez-vous que cela peut atténuer la tension qui règne en Guinée ?
Oui. Cette médiation est une bonne chose. Je conseille à l’opposition d’aller à la table des négociations. Au Madagascar, au Togo, en Côte d’Ivoire…Bref partout il y a eu une crise, on a initié une médiation. Si l’opposition refuse de discuter, elle ne ferait que conforter ce que pensent certaines personnes, à savoir que des puissances occidentales se cachent derrière l’opposition et cherchent à mettre des opposants au pouvoir afin de piller les richesses de la Guinée.
N’est-ce pas trop facile de jeter la pierre aux autres, alors que nous-mêmes provoquons le chaos ?
C’est vrai que notre responsabilité est partagée dans ce que nous vivons sur le continent. Mais, regardez cet acharnement sur un Etat souverain comme la Guinée, c’est inacceptable. Que les pays occidentaux restent chez eux, pour demander à un Chef d’Etat africain de quitter le pouvoir, je trouve cela inconcevable. Nous ne pouvons pas accepter qu’après cinquante ans d’indépendance, les pays occidentaux continuent de nous dicter leur loi. Les Américains peuvent-ils dire à un président arabe de quitter le pays ? Les Occidentaux peuvent-ils dire à un président israélien de quitter le pouvoir ? Ils ne le peuvent pas. Il n’y en a qu’en Afrique que les gens continuent de semer le désordre. Cela dit, j’exige une enquête sur les événements de Conakry. Que les responsabilités soient situées et surtout que les coupables soient punis pour éviter que cela se répète, parce qu’il y a trop de laisser-aller en Afrique. Le charnier de Yopougon a été presque oublié. Les 400 morts du Togo ont aussi été oubliés. Récemment au Gabon, il y a eu des morts lors de l’élection d’Ali Bongo, ça c’est déjà oublié.
Réalisée au téléphone par Y. Sangaré