CPI. Le document d’Ocampo qui enfonce son ami Ouattara

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Dans son acte accusatoire, qui se signale une fois de plus par une absence de sérieux sur les faits et une lecture partisane de l’histoire de la Côte d’Ivoire, Louis-Moreno Ocampo laisse entrevoir au monde une réalité souvent masquée. Les forces pro-Ouattara ont commis la majorité des massacres qui ont eu cours lors de la guerre post-électorale.

Heureusement pour lui qu’il n’aura pas à défendre le dossier bancal qu’il a confectionné pour complaire à ses maîtres. C’est en tout cas ce que l’on est tenté de se dire en lisant la «version publique expurgée » du «document de notification de charges» du procureur de la Cour pénale internationale Louis Moreno-Ocampo dans l’affaire l’opposant à l’accusé Laurent Gbagbo. En effet, ce texte long de 47 pages et dont Le Nouveau Courrier a pu consulter une copie montre la légèreté de l’Accusation, son caractère fondamentalement partisan et son recours à des méthodes artificielles et biaisées. Lecture expliquée.

Encore des erreurs sur l’état civil du président Gbagbo

Ce sont des détails, mais ils prouvent l’absence de professionnalisme du bureau du procureur près la CPI. Le Nouveau Courrier et d’autres observateurs avaient noté, en décembre dernier, que le mandat d’arrêt qui avait permis le transfèrement du président Gbagbo à La Haye était entaché d’erreurs d’autant plus incroyables qu’Ocampo et ses hommes travaillaient main dans la main avec les autorités ivoiriennes.

Ainsi, se fondant sans doute sur les approximations de sa fiche Wikipédia, le procureur nommait l’accusé «Laurent Koudou Gbagbo», alors que «Koudou», le nom de son père, ne figure pas sur ses actes d’état-civil.

Dans le document de confirmation des charges, Ocampo corrige cette erreur mais en maintient une autre pourtant notée par Gbagbo lors de l’audience de première comparution. Il fait naître Gbagbo à Mama alors qu’il est né à Gagnoa, plus particulièrement dans le quartier Babré.

Fidèle à Wikipédia, qui affirme (à raison) que Gbagbo est né dans une famille catholique, Ocampo le fait catholique, alors qu’il a embrassé depuis de nombreuses années la foi évangélique.

De manière assez curieuse, Ocampo mentionne que Gbagbo a deux épouses, s’éloignant une fois de plus de l’état-civil ivoirien, qui ne reconnaît que le mariage monogamique devant le maire. Quelle juridiction occidentale oserait dire que l’ancien président français François Mitterrand avait deux épouses, dont Anne Pingeot, connue de tous mais reléguée (à raison) dans la sphère privée ?

En réalité, Ocampo mentionne l’existence de Nadiana Bamba à côté de la prétendue religion catholique de Gbagbo pour envoyer un message subliminal aux juges de culture européenne… Mais au fond, ce n’est pas bien grave…

Ocampo dévoile un chiffre caché: celui des victimes des forces pro-Ouattara

Les observateurs attentifs de la crise ivoirienne et de l’attitude de l’ONUCI l’ont noté. Le 27 mars 2011, jour du lancement de l’offensive militaire généralisée lancée par Ouattara, l’armée française et l’ONUCI, Hamadoun Touré, alors porte-parole de l’ONUCI, affirmait que la crise post-électorale avait fait 510 morts dont des FDS. Puis, plus rien. Silence. La comptabilité macabre n’a plus eu d’intérêt. Au final, l’on a appris qu’il y avait eu en tout 3000 morts. Mais qui avait tué qui ? Brouillard. Mystère. C’est dans ce contexte qu’Alassane Ouattara, lors de son interview accordée à Alain Foka de RFI, a réussi le tour de bras d’attribuer les 3000 morts officiels à son rival. «Gbagbo a été le chef suprême des Armées et cette Armée a tué plus de 3000 personnes », a-t-il prétendu, insinuant au passage que ses hommes étaient blancs comme neige.

Dans sa verve accusatoire, Louis Moreno-Ocampo, qui charge au maximum l’accusé, laisse tout de même échapper une vérité. Les forces pro-Ouattara ont commis au moins deux fois plus de crimes que leurs adversaires. «Entre le 28 novembre 2010 et le 8 mai 2011, les forces pro-Gbagbo ont dirigé contre des civils pris pour des partisans de Ouattara des attaques durant lesquelles elles ont tué de 706 à 1059 personnes, en ont violé plus de 35, en ont arbitrairement arrêté au moins 520 et ont infligé à 90 personnes au moins de grandes souffrances et des atteintes graves à l’intégrité physique», écrit-il. Si l’on s’en tient au bilan officiel des 3000 morts, cela signifie que les forces pro-Ouattara ont tué de 2294 à 1941 personnes.

Soit deux fois plus que les forces adverses et à un rythme autrement plus rapide. L’on ne peut passer ce constat par pertes et profits. Comment expliquer raisonnablement que les forces les plus meurtrières n’aient pas été inquiétées par la justice internationale alors qu’elles sont toujours sur le terrain, qu’elles ont été récompensées par leur chef et qu’elles continuent de commettre, en temps de «paix», de graves violations des droits de l’homme ? Plus fondamentalement, comment expliquer qu’il a fallu une «Politique» concertée et partant du sommet de la pyramide pour tuer une minorité de victimes tandis que la majorité des morts (ceux causés par les pro-Ouattara) seraient liés à des «dérapages», à des «vengeances isolées» et autres concepts déculpabilisants véhiculés par les lobbies internationaux qui veulent justifier l’injustifiable ?

Attaques «systématique»

Il est impérieux pour Ocampo de montrer que les crimes commis par les FDS dans le cadre de la résistance face aux assauts des FRCI étaient le fruit d’attaques «généralisées» et «systématiques». Ocampo met donc en relief un certain nombre de pics de violence  provenant des FDS. 12 morts en deux jours (les 28 et 29 novembre 2011), un mort le 1er décembre 2011, deux morts le 25 février… Selon Ocampo, le jour le plus meurtrier du «camp Gbagbo» a été le 22 mars 2011. Des miliciens auraient tué 37 personnes dans le village de Bédi-Goazon, dans un contexte de bataille sanglante pour le contrôle de la ville.

Le problème pour Ocampo – et pour Ouattara – est que selon la Croix-Rouge et Amnesty International, au moins 800 personnes ont été tuées en une seule journée à Duékoué quand les FRCI ont pris la ville. Des nombreuses sources indépendantes ont mis en lumière la récurrence des pratiques meurtrières des FRCI (incendies des villages, destruction des greniers, viols massifs, consultation des cartes d’identité et assassinats systématiques des membres mâles de l’ethnie Guéré…).

Ocampo relie Gbagbo aux exactions des FDS en disant qu’il était leur chef et qu’une chaîne de commandement existait. Ouattara était lui-même le chef des FRCI puisqu’il avait signé une «ordonnance» le 17 mars pour les constituer. Et il aurait été impossible de mettre en branle tous ces assauts sans une chaîne de commandement. Si le camp Gbagbo a distribué des armes à ses soldats, le camp Ouattara l’a fait aussi, en s’appuyant sur des pays voisins comme le Burkina Faso, si l’on en croit les experts chargés de la surveillance de l’embargo. Tout ce qui relève de la responsabilité politique vaut pour l’un comme pour l’autre camp. Pourquoi ce qui serait valable pour les uns ne le serait pas pour les autres, d’autant plus que ce sont ces autres qui ont déclaré la guerre et fait le plus de victimes ? Malaise.

Mensonge d’Ocampo sur le 16 décembre 2010

Les violations des droits de l’homme et exactions commises par les FDS étaient-elles des dérapages enregistrés dans le cadre d’un conflit armé aux fortes imbrications civilomilitaires ou des preuves d’une répression aveugle à caractère ethnico-religieux ? Tout le débat est là.

Et pour renforcer la seconde thèse, Ocampo n’hésite pas à travestir les faits. «Le 16 décembre, les partisans de Ouattara, tous des civils, se sont dirigés vers les locaux de la Radiodiffusion-télévision ivoirienne (RTI) pour introniser le nouveau directeur général de cette institution», écrit-il pour déplorer les violences commises par les FDS. Un retour aux dépêches de la presse française montre le caractère fallacieux de cette affirmation.
«Combats meurtriers en Côte d’Ivoire», titrait par exemple le site de l’hebdomadaire français L’Express, peu suspect de gbagboïsme. «Entre 12h00 et 13h00, des tirs nourris à l’arme lourde ont été entendus dans plusieurs quartiers d’Abidjan. Près de l’hôtel servant de QG à Ouattara, des membres de l’ex-rébellion des Forces nouvelles (FN, dont le chef Guillaume Soro est le Premier ministre de Ouattara) échangeaient en milieu de journée des tirs nourris avec des éléments des Forces de défense et de sécurité (FDS), loyales à Gbagbo», poursuivait-il. Rappelons que les soldats des Forces nouvelles étaient conviés par Guillaume Soro à aller prendre, les armes à la main, la RTI – comme l’indique une vidéo abondamment diffusée. Le «tous des civils» d’Ocampo ne tient donc pas la route. Et il le sait.

Gbagbo, Simone et Blé Goudé accusés sur la base des confidences rénumérées de militaires félons

Comment impliquer directement le président Gbagbo dans des crimes de sang ? Il y a quelques mois, Human Rights Watch tentait de répondre à cette question en lui attribuant des propos imaginaires dans un rapport daté du 6 décembre 2011, comme l’a démontré Le Nouveau Courrier dans son édition du 7 décembre 2011.

Dans son document de notification des charges, Ocampo fait feu de tout bois sans grand succès. Ainsi, il assimile les propos relevant de l’expression d’une Résistance politique à toute épreuve, notamment ceux de Simone Gbagbo, à des propos incitant à violer les droits de l’homme. Les slogans comme «On gagne ou on gagne», par ailleurs également utilisés par une des animatrices de campagne de Ouattara – la chanteuse Antoinette Allany – sont instrumentalisés au-delà de toute honte par un Ocampo qui cherche visiblement avec peine à bâtir son argumentaire.

Les propos rapportés de soldats impliqués dans des exactions sont interprétés comme autant «d’ordres» de Gbagbo. Mais plus profondément, en filigrane, l’on se rend bien compte – en dépit de l’expurgation de leurs témoignages – que ce sont les confidences intéressées d’officiers et d’hommes en armes épargnés par le camp Ouattara et vivant grassement de ses subsides qui constituent la seule arme d’Ocampo dans son désir de crucifier le président Gbagbo. Ces témoignages complaisamment recueillis à Abidjan, en présence des actuelles autorités ivoiriennes, résisteront-ils à l’épreuve d’une éventuelle confrontation – si les avocats du président Gbagbo jouent cette carte-là ? L’avenir nous le dira.

Théophile Kouamouo

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