Soupçon de financement libyen: les failles du Sarko-show

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Percutant et combatif, l’ex-chef de l’Etat a trop souvent malmené la vérité des faits pour anéantir le soupçon. Revue de détails.

Pugnace, grave, solennel jusqu’à la grandiloquence, hyperbolique et redondant. Performant sur la forme, convaincant par intermittence sur le fond. Mais trop souvent évasif ou approximatif pour anéantir le soupçon. Et parfois pris en flagrant délit de raccourcis erronés, sinon mensongers. Ainsi est apparu ce jeudi soir sur TF1 Nicolas Sarkozy, 25 minutes durant, face à un Gilles Bouleau opiniâtre et méthodique.

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Laissons-là le costume sombre et la rosette de la Légion d’Honneur, piquée au revers de la veste comme un talisman, le langage corporel, la crispation des maxillaires, le phrasé théâtral, les mots lestés de pathos, « indignation », « ignominie », « monstruosité ». Refermons un instant le dictionnaire des synonymes. Oublions l’analogie, bancale, établie avec l’affaire Bettencourt, soldée de fait par un non-lieu. La stratégie de l’ancien locataire de l’Elysée, sans nul doute échafaudée, travaillée, affinée avec le concours de ses avocats, tient en une formule, faussement interrogative: comment pouvez-vous traiter sur un même pied la parole d’un ex-chef de l’Etat et les élucubrations d’un gang d’assassins?

Florilège d’épithètes infamants contre ses contempteurs

Il fallait, pour dénoncer l’obscénité alléguée de cette dissymétrie, discréditer les accusateurs -personnages détestables il est vrai pour la plupart-, les ensevelir sous les épithètes infamants, que la plupart au demeurant méritent. Muammar Kadhafi? « Ignoble dictateur », « dictateur parmi les plus sanglants de la planète », maître d’une « dictature infâme », caïd d’une « bande d’assassins » et de « mafieux », « fou » et camé. Son beau-frère Abdallah Senoussi, longtemps à la tête de l’appareil de renseignement de la Jamahiriya? « Ordonnateur et commanditaire » de l’atroce attentat fatal, en septembre 1989, aux 170 passagers et membres d’équipage du DC-10 d’UTA.

Ce qu’il fut sans l’ombre d’un doute. L’ennui, c’est que, selon toute vraisemblance, on fit miroiter aux yeux de ce porte-flingue condamné à perpétuité par contumace la perspective d’un allègement du châtiment… Seif al-Islam, fils cadet et héritier présomptif du Colonel? Un individu « sinistre ». Ziad Takieddine, entremetteur plusieurs fois condamné? Un « malfaiteur », un « escroc », un « menteur ». Procès que l’intéressé s’est souvent, convenons-en, employé à étayer.

Les incohérences et erreurs de la contre-attaque

Mais là est le hic tactique. En chargeant ainsi ses procureurs, « Sarko » confesse, en creux, l’ampleur de ses aveuglements passés. Comment diable a-t-il pu si longtemps témoigner à des créatures à ce point sataniques une telle mansuétude, une telle complaisance? Pourquoi a-t-il oeuvré avec tant de zèle à ramener « l’ignoble » Kadhafi sur la bonne rive de l’Axe du mal? Il y a pour lui plus gênant: ses inexactitudes et ses à-peu-près. « Soyons précis », a-t-il martelé plus d’une fois sur le plateau de la Une. Chiche.

-Les montants avancés par la cohorte des diffamateurs ne sont « jamais concordants ». Faux. Comme L’Express le rappellait hier jeudi, Takieddine et Senoussi citent l’un et l’autre la somme de 5 millions d’euros en cash.

– Nicolas Sarkozy a affirmé sur TF1 qu’il n’a jamais rencontré Ziad Tiakkedine aux dates qu’il prétend. « J’ai la preuve que le 27 janvier je n’étais pas à Paris. J’étais en Avignon. Le 28 janvier je n’étais pas à Paris, j’étais en Avignon. Que le 26 janvier, je n’étais pas à Paris, j’étais en Poitou-Charentes. Et que le 25 janvier dans l’après-midi je n’étais pas à Paris, j’étais à Saint-Quentin. » Sauf que pour la journée du 26 janvier 2007, Buzzfeed relève que l’alibi mis en avant par l’ex-chef de l’Etat ne tient pas: il était aux funérailles de l’Abbé Pierre à Notre-Dame-de Paris, ainsi que l’atteste cette dépêche AFP publiée sur L’Express.

-Le courrier révélé en 2012 par Mediapart a été relégué au rang de « faux » par les enquêteurs eux-mêmes. Pas si vite. Ils ont émis des doutes sur son authenticité ; nuance. « Forte probabilité » n’a jamais signifié certitude. Ses deux « prétendus signataires », poursuit l’homme « blessé », le tiennent eux aussi pour bidon. En fait, l’un, Moussa Koussa, en était l’auteur supposé ; et l’autre, Bachir Saleh, l’éventuel destinataire. Au demeurant, ce dernier devait aux spadassins de la Sarkozie deux exfiltrations aussi rocambolesques que salvatrices. Il aurait fallu qu’il soit à l’époque bien ingrat pour trahir ses protecteurs.

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-« J’étais le seul à recevoir les opposants à Kadhafi ». Faux, là encore. Si c’est à Paris qu’on leur réserva le meilleur accueil, ils avaient leurs entrées dans d’autres capitales. Sans compter que la France officielle s’était auparavant hasardée à fournir à Tripoli un matériel d’écoute et de surveillance sophistiqué, parfaitement formaté pour la traque aux dissidents, démocrates comme islamistes. Et avait donc beaucoup à se faire pardonner.

-« J’ai négocié la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien », soumis à l’abjecte cruauté des sbires du Guide déboussolé. N’exagérons rien. Sarkozy, et son épouse d’alors Cécilia, auront porté l’estocade. Mais ils ont surtout cueilli les lauriers patiemment cultivés par d’autres, à commencer par les négociateurs de l’ombre de la diplomatie européenne.

-A l’époque de l’interminable et calamiteuse visite du Bédouin suprême sur les bords de Seine, en décembre 2007, « il n’y a jamais eu de discussions sur des contrats », notamment dans le domaine nucléaire. Vraiment? Il suffit pourtant de consulter les archives pour mesurer le degré d’avancement des pourparlers, qu’ils portent alors sur la livraison d’un réacteur à vocation civile ou sur celle d’avions Rafale.

-« Comment se fait-il qu’il n’y ait pas la moindre preuve? » Certes, l’ex-président est fondé à s’étonner que ni Seif al-Islam ni son père n’aient produit en temps utile les documents accablants qu’ils prétendaient détenir. « Pas un papier, pas un enregistrement, pas une photo ». Reste qu’il fait fort peu de cas des carnets de l’ex-Premier ministre puis ministre du Pétrole Choukri Ghanem, dans lesquels apparaît un décompte daté et précis des sommes supposément versées.

-« Où sont les documents bancaires, les virements ? » Allons donc… Depuis quand les financements occultes laissent-ils dans leur sillage avis, bordereaux et reçus dûment tamponnés? Là réside le principal atout de l’invité du 20h: on ne saurait exclure que le document irréfutable, incontestable, définitif n’existe pas ; et n’a jamais existé.

Ultime remarque: si l’ancien maire de Neuilly-sur-Seine revendique la « tendresse » que lui inspire son vieux complice Brice Hortefeux comme son amitié intacte pour Claude Guéant, il souligne qu’il « ne peu[t]être accusé au titre des liens » tissés avec ses proches. L’un et l’autre, insiste-t-il, « s’en expliqueront ». Y aurait-il là un message subliminal? Et si oui, sans doute s’inspire-t-il de la formule fameuse: « Eux c’est eux. Moi c’est moi. »

L’Express

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