Dialogue obligatoire permanent (suite) [Par Sénouvo Agbota ZINSOU]

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« Seulement, j’ai envie de dire que l’apprentissage de la raison est l’apprentissage de l’échec. Celui d’un mode de penser qui, en se soumettant à l’échec, conquiert la vérité ». (Christian Chabanis, Dieu existe-t-il ?, éd. Fayard 1973, p.153).

Le problème du Togo est essentiellement parce que le régime mis en place depuis le 13 janvier 1963 n’admet pas dans sa logique l’idée de perdre le pouvoir, ce qui correspondrait pour lui à un échec. A ce propos, il serait intéressant de comprendre le fond de la pensée de ceux qui, comme Jean Lacroix, Péguy, Raymond Aron, opposent les pluriels au singulier, les honneurs à l’Honneur, les biens au Bien….les échecs à l’Échec. ( cf. Chabanis )

Qu’est-ce à dire, en application au cas du Togo ? Pour les Gnassingbé, abandonner le pouvoir, ne serait-ce que pendant la durée constitutionnelle d’un mandat, c’est abandonner la jouissance des biens, même si en s’attachant à ces biens, on doit forcément et complètement tourner le dos au Bien absolu qui est la grande œuvre de Dieu, ou plus concrètement au Bien du peuple que l’on prétend servir.

Pour le clan Gnassingbé, perdre le pouvoir, c’est aussi renoncer aux honneurs militaires par exemple ou aux honneurs que, statutairement confèrent les titres de Président de la République, Excellence, de chef d’État, et l’on préfère tout faire pour conserver ses honneurs, y compris par le massacre ses concitoyens, les exactions de toutes sortes, les horreurs que condamne tout être humain normalement constitué ou en tripatouillant la Constitution, en dilapidant les deniers publics, en mentant…tous actes contraire á l’Honneur.

Rendre le pouvoir au peuple qui en est le vrai détenteur, pour le clan Gnassingbé, c’est échouer. Donc il faut tout faire pour ne pas perdre le pouvoir même si l’on perd toute valeur en s’y agrippant. Même si de cette manière, ceux qui exercent le pouvoir piétinent toutes les valeurs auxquels le peuple aspire.

Ainsi, redoutant les échecs pour eux-mêmes, une catégorie de citoyens risque de conduire toute la nation togolaise à l’Échec.

Ainsi, la peur de perdre les biens d’une petite minorité de la société togolaise peut, si on n’y prend garde, nous fera passer à côté du Bien du peuple togolais, la fébrilité qui s’empare d’un seul clan à l’idée de ne plus recevoir les honneurs peut faire dégringoler l’État togolais dans le déshonneur.
Sarkozy, interrogé sur l’éventualité du financement de sa campagne électorale de 2007 par Kadhafi s’était écrié, ostensiblement en colère : « Quelle indignité ! ». Et quand il est officiellement mis en examen le 22 mars 2018 pour financement illicite de la campagne électorale, corruption passive et recel de fonds libyens, toujours « indigné », il s’empressera de s’adresser aux Français pour leur dire qu’il ne les trahira jamais, tout en criant à la manipulation. Était-il sincère, ou jouait-il la comédie de la colère et de l’indignité ? Je ne saurais le dire. Ce qui est certain, c’est que pour un homme qui aspire à s’installer au sommet du pouvoir en France, c’est un comportement indigne de chercher un financement illicite auprès du colonel libyen. Surtout après qu’on saura que ce colonel est celui-là même dont Sarkozy et d’autres ont provoqué la chute et la mort.

Quelle indignité ! Quelle trahison ! Combien d’actes commis par Gnassingbé le père, puis par Gnassingbé le fils et leur entourage, recruté dans tous les milieux relèveraient de l’indignité, de la trahison? Et, en matière de manipulation, l’ex-Président de la France, n’éprouve-t-il pas un petit embarras á déclarer que la justice du grand pays, du grand pays démocratique qui est le sien, du pays qui l’a élu, du pays qu’il a présidé pendant cinq ans, ait été susceptible d’être manipulée par les médias, en l’occurrence Média part, qui le premier a révélé le scandale au public ? La peur de l’échec, l’idée de perdre les honneurs, de perdre la considération aux yeux du monde peuvent abaisser un homme encore plus qu’il ne l’est déjà au moment où il essuie un échec.
Revenons au Togo. Cette « idéologie » de refus obstiné de la perte des biens, de la hantise de subir des échecs… d’être privé des honneurs était hier valable avec le RPT et il est valable aujourd’hui avec le parti-fils du RPT, le parti Unir. Elle motive presque tous les comportements, tous les actes du régime. Et il y a lieu de se poser la question de savoir si ce n’est pas elle, cette idéologie, avant tout, qui a amené les tenants du pouvoir Gnassingbé à accepter ce énième dialogue.
Or cette prétendue idéologie n’émane nullement d’un homme à qui l’on peut, objectivement dit, sans vouloir le sous-estimer, reconnaître une très grande capacité intellectuelle. Il faisait plutôt partie de ceux que Pascal classerait dans la catégorie des demi-habiles. Pendant près d’une quarantaine d’années, cet homme a régné par la terreur, y ajoutant de temps en temps la ruse, la corruption par l’argent, l’attribution de postes pour bons et loyaux services ou en fonction du service attendu du bénéficiaire…Ce genre de commerce a largement cours sous tous les régimes totalitaires. Des élites intellectuels y ont contribué et y contribuent encore aujourd’hui. J’avais fait allusion aux cadres togolais ressortissants de nos différentes localités pour être les heureux élus de ces localités, élus par Eyadema pour leur zèle.

A l’heure du multipartisme, le système, à la suite des élections législatives de 1994, n’avait-il pas utilisé Edem Kodjo contre Agboyibo , comme il avait dans les années 90 joué Koffigoh contre le HCR? Et avons-nous mesuré toutes les conséquences de la nomination d’un chef de file de l’opposition, tout ce que cache ce titre comme piège pour nos chefs de parti ? Et aujourd’hui, à l’heure des manifestations déclenchées depuis le 19 août 2017, le pouvoir Gnassingbé, n’est-il pas à l’affût pour jouer tee-shirt rouge du PNP, contre tee-shirt orange de l’ANC et vice versa ? Toutes les couleurs arborées lors des manifestations les unes contre les autres ! Ce qui serait dommage pendant ce temps, c’est que chacun des leaders engagés dans la manifestation évalue l’importance numérique des porteurs de sa couleur au sein de la foule. Le but de la manifestation étant ainsi dévié de la fin du système, vers la couleur du parti. ( cf. mon article Le Carnaval des couleurs, publié sur nos sites en décembre 2016 ).

Dans la logique de ce système incapable de reconnaître ses échecs, certains voudraient, pour ne pas rendre Eyadema, et après lui son fils, responsables de tout le mal qui ronge le Togo, admettre qu’il y a des bavures policières, qu’il y a des dérapages, mais même dans l’opposition ou parmi ceux qui se réclament comme proches d’elle, on adopte comme éléments de langage, la thèse qui innocente le chef de l’exécutif. Or, l’acte fondateur du système, à savoir l’assassinat de Sylvanus Olympio le 13 janvier 1963, l’attaque de la Primature le 3 décembre 1991, le massacre de Freau Jardin le 25 janvier 92, les assassinats ciblés d’opposants qui pourraient gêner le pouvoir, les meurtres de masse d’avril 2005… ne relèvent pas de bavures individuellement commises par des policiers ou des militaires, mais sont bel et bien des actes prémédités, organisés, ordonnés par le pouvoir. Et il sera bien difficile de convaincre les citoyens togolais que les miliciens qui sont apparus après le déclenchement des manifestations du peuple togolais le 19 août, ces miliciens cagoulés qui égorgent, passent à tabac et commettent d’autres atrocités, ces miliciens présentés par les tenants du pouvoir comme des groupes d’auto-défense aient décidé par eux-mêmes de passer à l’acte sans l’ordre et le soutien du pouvoir en faveur duquel ils agissent.

Or, ce sont là les actes qui ont fondé et qui renforcent régulièrement en l’alimentant de sang et de crimes, le pouvoir cinquantenaire du clan Gnassingbé. Depuis le13 janvier 1963, le clan Gnassingbé livre une guerre au peuple togolais dans laquelle, jusqu’ici, le peuple togolais a perdu. Faire la guerre à cette guerre, c’est-à-dire y mettre fin, tel doit être l’objectif d’un dialogue vrai au Togo.

L’opposition doit donc faire attention pour ne pas tomber dans le piège de ce dialogue quelle que soit la bonne disposition du facilitateur, quels que soient les bons conseils de toutes provenances, quelles que soient les pressions de la communauté internationale.
A suivre

Sénouvo Agbota ZINSOU

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