Sénegal : La dernière bataille de Wade

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Lorsqu’il était encore le teigneux adversaire du Président Léopold Sédar Senghor, à qui il avait donné bien du fil à retordre de même qu’à son successeur, le placide Abdou Diouf, le Prophète du « Sopi », Me Abdoulaye Wade, avait préconisé en vain l’adoption d’un statut du Chef de l’Opposition. En vain, aucun des deux premiers présidents de la République du Sénégal n’ayant voulu accéder à cette demande. C’est ce qui fait que, sitôt porté à la magistrature suprême de notre pays, le nouveau Président et toujours Secrétaire général national du Parti démocratique sénégalais (PDS) avait voulu satisfaire cette vieille revendication… mais en faveur des nouveaux opposants. En effet, l’éternel opposant qu’il était avait enfin réalisé son rêve de diriger le Sénégal. Bon prince, il avait donc proposé d’octroyer le statut de Chef de l’Opposition — avec, à la clef, de nombreux avantages — à ses nouveaux opposants. Du moins à celui d’entre eux qui serait le mieux placé à l’issue des élections législatives de 2002.

Malheureusement, le manque de lisibilité — ou, plutôt, la lecture contrastée qu’il convenait de faire — des résultats des élections législatives de cette année-là, ne permettait pas de trancher sans contestation entre M. Moustapha Niasse, premier Premier ministre de Wade en même temps que leader de l’Alliance des Forces de Progrès (AFP) et M. Ousmane Tanor Dieng, patron du Parti Socialiste. Et ce pour savoir lequel d’entre eux pouvait être considéré comme le Chef de l’Opposition. En effet, le premier nommé et son parti avaient obtenu le plus grand nombre de députés (11) tandis que l’ancien parti au pouvoir avait eu plus de suffrages (de l’ordre de 20.000) que l’AFP. Alors, à qui fallait-il octroyer ce statut ? Au chef du parti ayant eu le plus de députés ou à celui de la formation ayant récolté le plus de suffrages ? Ne voulant pas donner à l’alors nouveau président de la République, Me Abdoulaye Wade, le plaisir de les voir s’entretuer pour des avantages, aussi bien Moustapha Niasse qu’Ousmane Tanor Dieng avaient déclaré publiquement ne pas être intéressés par ce statut aux allures de cadeau piégé. Pourquoi tout ce rappel ? Eh bien parce que tout simplement M. Macky Sall, quatrième président de la République du Sénégal, tient là une occasion rêvée pour enfin faire adopter ce Statut… mais en faveur de son ancien patron et prédécesseur, Me Abdoulaye Wade ! En effet, à bien analyser la conférence de presse tenue par ce dernier vendredi, tout prouve à l’évidence qu’il se positionne pour être… le chef de l’Opposition. Alors, autant lui octroyer ce statut et les avantages qui vont avec ! Mais il y a un os car le même Me Abdoulaye Wade bénéficie déjà du statut d’ancien président de la République avec, là aussi, tous les privilèges qui se rattachent à ce statut dont un salaire équivalant à celui qu’il avait lorsqu’il était en fonction, des voitures de fonction, un logement, un aide de camp, une protection rapprochée, un cabinet, la prise en charge de ses voyages… Alors, bien évidemment, il va falloir à Wade choisir entre ces deux statuts ! A sa place, on choisirait celui qui est déjà consacré par une loi, à savoir celui d’ancien chef de l’Etat. Car, s’agissant de celui de Chef de l’Opposition, outre qu’il n’existe pas encore, la loi l’instituant n’ayant jamais été votée, rien ne prouve que Wade sera consacré par les urnes comme devant en être le titulaire.

 En effet, d’ancien président de la République, il est aujourd’hui en train de ferrailler laborieusement — et de manière pitoyable — pour être le Chef de l’Opposition. Et ce sans qu’il soit certain qu’il puisse l’emporter face à son nouvel concurrent — qui n’est pas, oh non, l’actuel président de la République qui l’a écrasé le 25 mars dernier —  qui n’est autre que le président du Sénat, M. Pape Diop. Eh oui, le principal enjeu des élections législatives du 1er juillet prochain, n’est pas de savoir quelle liste l’emportera, la coalition Benno Bokk Yaakar devant gagner assez largement, mais plutôt de voir quelle liste se classera deuxième. Autrement dit, laquelle l’emportera entre celle du PDS parrainée par Me Abdoulaye Wade — mais dirigée par le maire de Dagana, M. Oumar Sarr —,  et celle de la coalition Bokk Guis Guis dirigée par M. Pape Diop, qui était encore le bras droit de Wade jusqu’au lendemain du second tour de la dernière élection présidentielle. Laquelle des listes de Wade et de Pape Diop l’emportera au soir du dimanche 1er juillet prochain ? Suspense garanti. En effet, du côté des partisans du président du Sénat, on ne fait pas mystère de sa volonté de transformer ce scrutin en une sorte de primaire interne au Parti Démocratique sénégalais (PDS). Inutile de dire en effet que les supporters de l’ex-maire de Dakar rejettent avec force leur exclusion de ce parti qu’ils considèrent comme nulle et de nul effet. Toujours est-il que voilà donc Wade, l’ex-« opposant au pouvoir », comme l’avait si bien qualifié notre confrère Abdou Latif Coulibaly, revenu à ses anciennes amours d’opposant ! Semblant avoir oublié que le temps a fait son œuvre — il vient de fêter il y a deux jours ses 86 ans « hors Tva » — et qu’il s’est plus qu’embourgeoisé en 12 ans sous les lambris du pouvoir,  le voilà qui menace de déclencher une sorte de guérilla urbaine contre le nouveau pouvoir, celui de son ancien disciple M. Macky Sall. Il ne sait pas, le pauvre, qu’il est devenu non seulement terriblement minoritaire dans le pays depuis le 25 mars dernier lorsque seuls 35 % des Sénégalais avaient voté pour lui mais encore qu’entretemps, son parti s’est fissuré en deux et que de nombreux « militants » et responsables opportunistes sont allés brouter dans de nouvelles prairies. Bref, le Wade « maître de la rue » des années 80 n’est plus que l’ombre de lui-même aujourd’hui à la tête d’un parti qui lutte désespérément pour sa survie.

Mais plus encore que son bras de fer avec son ex-bras droit, caissier et homme à tout faire Pape Moustapha Diop, ce qui pousse aujourd’hui l’ancien Président à mener sa dernière bataille c’est, bien évidemment, le salut de sa propre famille biologique. Il veut éviter à ses enfants Karim et Sindjély la terrible perspective de se faire auditer voire, si les  audits font apparaître des détournements de fonds publics, celle humiliante de se retrouver sur la paille humide d’un cachot à l’instar de Gamal et Ala, les enfants de l’ex-dictateur égyptien Hosni Moubarak. Sans préjuger de ce que révéleront les audits, l’honorable Me Abdoulaye Wade doit quand même savoir que ses chers rejetons ont brassé d’importantes sommes d’argent public et que, donc, ils devraient rendre compte de l’utilisation de cet argent. Ce qui est bien la moindre des choses en temps normal, a fortiori en cas de changement de régime. Nul ne dit pour le moment qu’ils ont volé quoi que ce soit mais les auditeurs doivent voir clair dans leur gestion, c’est tout !

A ce niveau, il est intéressant de noter que la meilleure leçon de bon comportement républicain administrée à Wade vient non pas du Président Macky Sall, non pas de son parti, l’APR (Alliance pour la République), encore moins de la coalition Bokk Yaakar qui le soutient, mais… de M. Pape Diop et de ses partisans. Lesquels se sont fendus d’une admirable déclaration publiée au lendemain de la conférence de presse de leur ancien mentor pour l’inviter à la retenue, à l’élégance républicaine et… à la grandeur. Nous ne pouvons résister au plaisir de reproduire ici un large extrait de cette déclaration. « Nous de Bokk Gis Gis, pensons que tous ceux qui assument des responsabilités directes ou indirectes dans la gestion des deniers publics ont l’obligation de rendre compte. C’est pourquoi, nous saluons le fait que notre pays se soit doté de tous les instruments de contrôle appropriés. Nous estimons que les organes intervenant à ce niveau doivent pouvoir accomplir leur mission dans le strict respect des règles de l’Etat de droit.

A cet égard, Bokk Gis Gis s’oppose à toute politisation à outrance du débat sur les audits et la gouvernance financière. L’utilisation de questions aussi sensibles, à des fins purement intéressées, peut se révéler à terme contre-productive, voire dangereuse pour notre démocratie.
Nous tenons, en outre, à rappeler à Me Wade que s’il a fait le choix de placer des membres de sa famille à des postes de responsabilités publiques, ces derniers, comme tout autre citoyen sénégalais dans la même situation, ne peuvent échapper à l’obligation de rendre compte de leur gestion.
Me Wade, parlant de son fils Karim, nommé ministre d’Etat dans un gouvernement de la République, ne peut pas considérer que l’obligation de rendre compte revient aux chefs des agences qui sont sous son autorité ; Me Wade parlant de son fils Karim, nommé à la tête d’une agence, ne peut pas déclarer que l’obligation de rendre compte revient à son Secrétaire exécutif, en l’occurrence Abdoulaye Baldé. »

Voilà qui est bien dit ! Quand on vous disait que le principal adversaire de Me Abdoulaye Wade aujourd’hui, ce n’est plus le Président Macky Sall, qui ne boxe plus dans la même catégorie que lui depuis qu’il l’a mis KO le 25 mars dernier, mais bien le Président du Sénat et patron de la coalition Bokk Gis Gis, M. Pape Diop !

Mamadou Oumar NDIAYE

Le Témoin N° 1086 –Hebdomadaire Sénégalais (3 JUIN 2012)

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