Samir Amin : « Le veto français, d’une violence extrême, a rendu impossible cette évolution, je dirais pacifique, de la réforme du franc CFA »

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La semaine anticoloniale en France se déroule ce mois de mars, notamment, à Paris, avec, en particulier, un salon anticolonial qui s’est tenu les 4 et 5 mars 2017. Parmi les invités cette année, l’économiste égyptien Samir Amin, président du Forum Mondial des Alternatives (FMA) et directeur du Forum du Tiers-Monde à Dakar. Franc CFA, libéralisme imposé, inertie de l’Union africaine : Samir Amin explique à RFI en quoi, selon lui, les indépendances ont peut-être mis fin à la colonisation en tant que telle mais certainement pas à l’impérialisme économique.

RFI : Cela fait soixante ans que le Ghanéen Kwame Nkrumah a prononcé son célèbre discours d’indépendance de son pays. Aujourd’hui, soixante ans plus tard, pourquoi organiser un salon anticolonial ? Quel est le sens de ce combat-là, aujourd’hui ?

Samir Amin : D’abord, faire connaître aux nouvelles générations leur propre histoire, malheureusement largement oubliée, et, quand elle est enseignée, mal enseignée ; leur faire comprendre que le combat pour l’indépendance nationale n’était pas la fin de l’histoire, que c’était une étape incontournable, bien sûr, mais que le combat contre l’impérialisme continuerait après avoir reconquis son indépendance. Le colonialisme, il faut accepter sa définition, c’est-à-dire l’abolition formelle de la souveraineté nationale, nous n’en sommes plus là. Et le colonialisme est effectivement dépassé, sauf pour la Palestine.

Le colonialisme a cédé la place à l’impérialisme ?A de nouvelles formes de l’impérialisme.Et qui s’expriment comment, de quelle manière ?

Elles s’expriment par la conditionnalité. Ce que l’on appelle l’aide occidentale, les soi-disant donateurs, les Etats-Unis, les pays européens, l’Union européenne, le Japon et leurs instruments internationaux, imposent aux pays africains la conditionnalité, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent accéder au marché mondial qu’à la condition d’accepter que leur politique nationale soit soumise aux principes du libéralisme, à savoir la privatisation de toutes les activités économiques, les services sociaux, l’ouverture incontrôlée au capital, etc. Les Occidentaux prétendent que les pays qui accepteraient ces règles se verraient bénéficier d’un apport de capitaux gigantesques qui permettraient leur développement, ce n’est pas le cas. Mais cela donne la possibilité du pillage des ressources naturelles du continent africain, non seulement le pétrole et le gaz, mais également les nouvelles ressources naturelles que sont la terre agricole et, on peut dire, l’eau et l’air.

Est-ce que cette lecture ne minimise pas la responsabilité des dirigeants africains dans les lacunes du développement ?

Pas du tout. Les dirigeants africains sont des comparses dans ce pillage du continent africain. Les miettes financières ne sont pas négligeables pour eux. C’est-à-dire que ce modèle permet à une petite minorité d’être effectivement bénéficiaire. Ca se manifeste par une croissance de l’inégalité dans les pays africains qui n’est pas moins marquée qu’elle ne l’est dans les pays des centres capitalistes développés.

Parmi les marqueurs du colonialisme, de plus en plus décrié par certains, il y a le franc CFA. Pensez-vous, comme d’autres, que le franc CFA constitue une forme de servitude monétaire ?

Bien sûr. Lorsque les pays africains sont venus indépendants, la question se posait : vont-ils maintenir ce lien, à travers la monnaie, particulier avec la France, ou le remettre en question ? En 1969, j’avais été invité par Hamani Diori [1916-1989, ndlr], président du Niger, à faire des propositions pour une réforme de la zone CFA. Je l’ai fait à l’époque. Et Hamani Diori avait été convaincu qu’il fallait s’engager dans cette voie. Malheureusement, le veto français, d’une violence extrême, a rendu impossible cette évolution, je dirais pacifique, de la réforme du franc CFA.

De quelle manière est-ce que le franc CFA constitue un frein au développement économique ?

Le franc CFA abolit toute possibilité d’une politique nationale de gestion du crédit bancaire. Elle impose également un taux de change prétendu fixe, mais nous savons qu’il a été révisé en baisse une fois et qu’il pourrait l’être à nouveau ; un taux de change qui est surévalué et qui, par conséquent, handicape les exportations des pays africains, mais, par contre, donne un avantage aux classes possédantes locales parce qu’elles peuvent bénéficier d’une importation facile, non contrôlée, des biens de consommation de semi-luxe, disons, qui ne devraient pas être prioritaires dans les importations de ces pays. C’est, par conséquent, un instrument qui renforce ce que l’on appelle le néocolonialisme dans le langage général.

Est-ce que l’Union africaine (UA) aujourd’hui vous semble en mesure de porter ces combats pour l’indépendance économique du continent africain ?

Elle ne l’est pas de facto parce que l’Union africaine est à l’image de ce que sont les pays qui la constituent. Et, dans la mesure où ces pays acceptent le système de la mondialisation néolibérale, l’Union africaine perd ses moyens. Mais l’Union africaine pourrait le devenir.

Vous avez soutenu la candidature du Sénégalais Abdoulaye Bathily à la présidence de la commission de l’UA. Pourquoi ce choix ?

D’abord parce qu’Abdoulaye Bathily était le seul parmi tous les candidats à avoir un programme. De surcroît, je crois que c’est un bon programme : engager l’Union africaine et donc les Etats africains sur cette voie de l’industrialisation et de l’amélioration de l’agriculture paysanne. Je crois qu’il n’a pas été choisi pour cette raison, parce qu’il avait un programme.

Vous êtes déçu du choix du ministre des Affaires étrangères tchadien, Moussa Faki Mahamat ?

Je ne le connais pas, je ne sais pas ses qualités et ses défauts éventuels. Mais ce que je sais, c’est que dans sa campagne électorale, il n’a proposé aucun programme.

RFI

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