Réunion de la Zone Franc à Paris : Quelle gestion pour le franc CFA dans un monde en crise ?

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Lundi prochain, 19 septembre 2011, les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales de la zone Franc se retrouveront à Paris pour faire le point sur la situation économique de la zone, quelques jours avant l’ouverture des sessions d’automne du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque Mondiale (BM). C’est l’occasion pour moi de revenir sur le fonctionnement de cette zone, en particulier sa partie ouest-africaine.

Des orientations de politique monétaire contestables

La Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), en charge de la politique monétaire de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), ne se préoccupe que de la lutte contre l’inflation et fait fi de toute préoccupation de croissance économique. Pour mener à bien cette lutte, elle durcit d’année en année, l’accès au crédit des agents économiques, conformément aux dogmes du monétarisme triomphant qui associe l’inflation à un excès d’offre de monnaie. Le problème est que l’inflation dans la zone UEMOA n’est pas d’origine monétaire et de multiples études effectuées sur la zone étayent ce constat : le principal déterminant de l’inflation dans l’UEMOA est l’inflation importée de la zone Euro, en particulier de la France, premier partenaire commercial des pays de l’UEMOA.
Ensuite, vient l’inflation par les coûts, fortement liée à la facture pétrolière. Le troisième déterminant de l’inflation dans l’UEMOA est l’inflation issue des chocs climatiques (sécheresse, inondations…) ; ceux-ci engendrent de mauvaises récoltes qui se traduisent par des flambées de prix alimentaires.

Ainsi, en choisissant depuis la libéralisation financière de 1989 et l’instauration des taux d’intérêt directeurs comme instruments privilégiés de la régulation monétaire, de s’attaquer exclusivement à l’inflation, la BCEAO s’est enfermée dans une obsession anti-inflationniste d’autant plus préjudiciable à la croissance de la zone UEMOA que cette inflation n’est pas d’origine monétaire. Elle vient d’ailleurs de sanctuariser cette orientation en s’octroyant le 1er avril 2010, son indépendance vis-à-vis des Etats de l’UEMOA, indépendance qui se traduit par la confirmation de sa mission (assurer la stabilité des prix dans l’Union) et la création du Comité de Politique Monétaire (CPM) en charge de la définition et la conduite de la politique monétaire. Pour la petite histoire, au sein du CPM, le représentant du Trésor Français y a une voix délibérative, alors que le Président de la Commission de l’UEMOA n’y détient qu’une voix consultative !
Par ailleurs, la destination privilégiée des devises gérées par la BCEAO, provenant de l’exportation des matières premières de l’UEMOA est le Trésor Français, dans le souci de garantir le franc CFA, « franc de la communauté financière africaine », après avoir longtemps été « franc des colonies françaises d’Afrique »… Cette monnaie est liée par une parité fixe à l’Euro, dans le cadre des conventions dites du « compte d’opérations ». En effet, en contrepartie de la garantie d’un taux de change fixe entre l’Euro et le franc CFA, les pays africains de la zone franc (AZF) sont tenus de déposer une partie de leurs devises auprès du Trésor Français, à hauteur de 20% de couverture de l’émission monétaire. A l’heure actuelle, le taux de couverture de l’émission monétaire dépasse 112%[1], soit 5171,8 Milliards de franc CFA pour la seule UEMOA[2]. Ces réserves servent à garantir le taux de change CFA/Euro. Or, on voit bien que 20% de couverture de l’émission monétaire suffiraient à garantir cette parité, au regard des accords entre la France et les pays d’AZF. Les réserves excédentaires pourraient être utilisées pour financer la croissance et le développement en Afrique de l’Ouest. A l’attention des banquiers centraux en mal d’imagination, une partie de ces réserves pourrait financer le fonds de soutien aux prix agricoles réclamé à cor et à cri par les associations de Producteurs ouest africains. Après tout, les devises proviennent de la sueur de ces derniers. Il ne serait que justice qu’elles retournent à leurs créateurs. Elles pourraient également servir de garantie pour une éventuelle émission de bons « UEMOA » sur le marché financier régional, dans le souci de financer les investissements structurants dont les économies de l’Union ont tant besoin (infrastructures de transport, énergie, télécommunications, recherche,…).

La détention de réserves excédentaires excessives valide le fait que la BCEAO, au-delà de l’illusion de la victoire finale sur l’inflation, n’a qu’un objectif de taux de change, au détriment des autres missions d’une banque centrale, en particulier la croissance économique dans la zone UEMOA. Un tel choix de politique s’inscrit dans la volonté d’apparaître comme une banque centrale « moderne », gérant une monnaie « forte », label s’il en est du monétarisme triomphant. C’est le nec plus ultra de l’extraversion monétaire[3].

Ainsi, ce qu’on observe à l’heure actuelle, c’est une politique monétaire de la BCEAO ciblant un taux d’inflation de 2% comme principal objectif, la suppression de tout concours monétaire aux budgets des Etats de l’UEMOA depuis septembre 2002, et une surliquidité bancaire, dont la principale cause est une libéralisation du système financier mal préparée et, la principale conséquence, l’indépendance de fait du cartel des banques commerciales installées en Afrique de l’Ouest, de la tutelle de la BCEAO.

Une politique budgétaire procyclique

La Commission de l’UEMOA, créée en 1994 dans le contexte de la dévaluation du franc CFA, s’est contentée de recopier en les durcissant, les critères de convergence en vigueur dans la zone Euro et hérités du Traité de Maastricht (1992). En particulier, le premier critère de premier rang (solde budgétaire de base rapporté au produit intérieur brut (PIB)) interdit tout déficit budgétaire de la part des Etats de l’Union. Et comme dans le même temps, la BCEAO a supprimé en septembre 2002 l’article 16 de ses statuts, qui autorisait les concours aux Trésors à hauteur de 20% des recettes fiscales de l’année écoulée, on se retrouve avec les Etats les plus pauvres de la Planète dans la totale impossibilité de financer la croissance de leurs économies à l’aide du crédit. Cette orientation des politiques macroéconomiques au sein de la zone UEMOA est le fruit d’une erreur de diagnostic : les autorités de l’Union tentent de lutter contre une inflation conjoncturelle alors même que le défi des économies de l’Union est de combattre une déflation structurelle masquée par des poussées inflationnistes épisodiques issues de chocs exogènes. Cette déflation structurelle dont souffrent les économies de l’Union trouve son origine dans l’extrême pauvreté des populations : la pauvreté provient de la faiblesse des revenus des ménages et donc du faible niveau de la demande, ce qui engendre une diminution au final des prix et, partant, des profits des entreprises et du niveau général de l’emploi.

Il convient ici de plaider pour la création d’un fonds « souverain » de l’UEMOA, qui pourrait être géré par la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD), et qui aurait comme principal objectif de financer les projets de développement (notamment les infrastructures énergétiques), les fonds de soutien à l’agriculture (fonds de lissage du prix des biens alimentaires) et bien d’autres défis auxquels la région est confrontée. Ce fonds serait financé dans un premier temps par le rapatriement d’une partie des avoirs extérieurs nets de l’UEMOA. Techniquement, il suffirait que la BCEAO fasse de la création monétaire en alimentant par des versements réguliers en franc CFA, le fonds logé auprès de la BOAD suivant des modalités à définir (dans la mesure où les avoirs extérieurs nets constituent une contrepartie de la masse monétaire).

Ce fonds pourrait également bénéficier des dons des partenaires au développement, ce qui permettrait de réduire les risques de saupoudrage sectoriel des flux d’aide au développement et, surtout, d’affecter des ressources d’origines diverses, au financement de véritables enjeux de développement de long terme.

Enfin, pour ce qui concerne les critères de convergence de l’UEMOA, il s’avère indispensable de les réformer dans la mesure où ils ne sont respectés ni dans la zone Euro, ni dans l’UEMOA. En effet, il a été fait le choix d’une convergence nominale, plutôt que réelle ou structurelle. En outre, l’injonction de respect des équilibres budgétaires à court terme, concentre en elle les germes de déséquilibres à long terme. En effet, l’immobilisme en matière de financement d’infrastructures de croissance, générateur de déficits publics à court terme, réduit la possibilité de dégager des marges futures en termes de croissance économique, même s’il permet d’être vertueux à court terme. A long terme, l’absence de croissance pénalisera les budgets des Etats en termes de rentrées fiscales et de charges sociales, ce qui les fera dévier des normes budgétaires actuellement en vigueur dans l’UEMOA.

Il convient donc d’autoriser des déficits de soutien à l’activité économique actuelle et de préparation de la croissance future. On pourrait ainsi appliquer la règle d’or des finances publiques : c’est le solde structurel courant, c’est-à-dire hors investissement public, qui devrait être en permanence équilibré. Les Etats de l’UEMOA n’auraient le droit de s’endetter, comme en Grande Bretagne, que pour financer leurs investissements publics.
Dans ce contexte, se pose la question de la coordination des politiques économiques et du fédéralisme budgétaire dans la zone UEMOA. D’une part, les cadres de concertations BCEAO, BOAD, UEMOA devraient être renforcés et, d’autre part, les autorités en charge de la surveillance multilatérale devraient avoir une lecture moins comptable mais plus économique des ratios de convergence macroéconomique.

Les enseignements de la crise actuelle : sortir les économies de l’UEMOA de l’extraversion réelle et monétaire
Il conviendrait de faire l’exact contraire de l’orientation actuelle des politiques économiques mises en œuvre dans l’UEMOA. Il paraît indispensable d’œuvrer pour une politique d’accès au crédit des ménages et des entreprises facilitée par un système de garantie publique et une amélioration de la qualité de l’intermédiation financière se traduisant par une réduction des taux débiteurs des banques et des institutions de microcrédit.

Pour le cas spécifique de la BCEAO, elle devrait opter résolument pour une réforme de son dispositif de gestion monétaire dans le sens d’un pragmatisme accru. Par exemple, si l’inflation dans l’UEMOA provient de l’insuffisance et de l’instabilité de l’offre agricole, il paraît logique qu’une politique de lutte contre l’inflation efficace soit une politique de lutte pour la hausse et la stabilisation de l’offre agricole. De fait, le retour de vraies politiques publiques, notamment agricoles, est impératif si l’on veut répondre durablement aux défis de l’insécurité alimentaire dans l’UEMOA[4].
On entre ainsi au cœur de la difficulté des pouvoirs publics nationaux et communautaires à affronter efficacement les défis des économies de l’Union, à savoir leur impossibilité à gérer l’extraversion[5] de ces économies.

En effet, les économies de l’UEMOA, du fait des inerties fondées sur leur extraversion (production et exportation de matières premières minières et agricoles vers l’ancienne métropole) ont du mal à utiliser l’agriculture comme moyen de développement, notamment dans le souci d’atteindre la souveraineté alimentaire de leurs populations. De fait, elles utilisent les devises issues de l’exportation des matières premières (coton, cacao, café, or, uranium…) pour importer des produits alimentaires, indispensables pour combler le gap alimentaire.

Ces importations sont d’autant plus aisées que les économies de l’UEMOA disposent d’une monnaie CFA rattachée de manière fixe à un Euro qui ne cesse de s’apprécier. Ainsi se referme le piège de la dépendance des pays de l’UEMOA, car le régime monétaire actuel ne sert pas à impulser un processus de développement, mais à entretenir le cycle de la dépendance vis-à-vis des pays du Nord.

Ainsi, du fait de la dépréciation du dollar US vis-à-vis de l’Euro/CFA, les filières cotonnières d’AZF ont perdu entre 35 et 40% de compétitivité à l’export ces trois dernières années, ce qui est largement supérieur aux effets néfastes des subventions euro américaines. Ce constat est révélateur du paradoxe suivant : les économies parmi les plus faibles du monde (UEMOA) sont rattachées de manière rigide à la monnaie la plus forte du monde (Euro).

Le franc CFA devrait au minimum fluctuer (dans des proportions à déterminer) de sorte à jouer un rôle contracyclique et servir de signal au secteur réel de l’économie du point de vue de ses performances. Il n’est pas concevable que la monnaie puisse être autant déconnectée des variables fondamentales des économies de l’UEMOA. Il convient de rappeler que le taux de change est un prix, qui lorsqu’il est fixe dans un environnement par ailleurs libéralisé après deux décennies d’ajustement structurel, est susceptible d’engendrer des effets pervers sur les économies.

Il y va de la cohérence d’ensemble de l’architecture globale du système économique. Or, dans un contexte de libre circulation des capitaux et d’ancrage rigide à l’Euro, le « triangle des incompatibilités de Mundell »[6] montre l’impossibilité pour la BCEAO de pouvoir mener une politique monétaire indépendante, adaptée au cycle des économies de l’UEMOA.

J.T. Pouemi dénonçait il y a déjà plus de 25 ans la répression monétaire de la Zone Franc[7]. Force est de constater que la situation ne s’est pas améliorée, les deux principales banques centrales de la zone Franc (BCEAO et BEAC) fonctionnant plus comme de simples caisses d’émission (dans la mesure où les taux de couverture de l’émission monétaire sont durablement supérieurs à 100%) que de véritables banques centrales de pays en développement nécessitant un minimum de 7% de croissance du PIB afin de réduire la pauvreté de moitié, conformément aux objectifs du millénaire pour le développement (OMD).

Une réflexion d’urgence s’impose sur l’opportunité de disposer de réserves de change excessives et d’une monnaie très forte, coexistant avec un sous financement chronique des activités économiques, un faible taux de croissance économique, une pauvreté galopante et une agriculture familiale aux abois.

La double extraversion des économies de l’UEMOA, à savoir celle des filières de rente, notamment cotonnières, fondées sur une mono spécialisation primaire au sein du commerce international (avec moins de 5% du coton transformé sur place) et de la monnaie (une politique monétaire paralysée par un taux de change fixe Euro/CFA) recèle en elle les germes d’une explosion sociale. Pour l’heure la principale « variable d’ajustement » de ce système est constituée par les vagues massives de migration de jeunes africains vers les pays du Nord, ce qui ne saurait constituer une réponse saine et durable pour l’avenir de l’Union. Il y a fort à craindre que ce ne soit au contraire le chant du cygne des espoirs fondés sur le continent africain par les pères de l’indépendance.

Par Kako NUBUKPO (Economiste)
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[1] Or, la tendance générale des banques centrales est à la diminution des réserves de change du fait de trois coûts induits par la détention de réserves excessives : le coût d’opportunité (les réserves pourraient être utilisées pour financer des dépenses d’équipement ou rembourser une partie de la dette extérieure et réduire ainsi les paiements d’intérêts), le coût de stérilisation (beaucoup de banques centrales neutralisent l’accroissement des liquidités créées par l’accumulation de réserves en vendant des instruments intérieurs assortis d’un taux d’intérêt souvent plus élevé que les instruments dans lesquels les réserves sont investies), le coût de revalorisation (si un pays voit sa monnaie s’apprécier par rapport aux monnaies qu’il détient en réserve, il subit des pertes quasi budgétaires). Pour en savoir plus, voir D. HAUNER « le coût budgétaire de la détention des réserves internationales », Bulletin du FMI, Vol.34, n°10, 13 juin 2005.[2] Rapport 2009 de la Zone Franc publié par la Banque de France en octobre 2010, P. 74.
[3] Kako NUBUKPO (2007) « Politique monétaire et servitude volontaire : la gestion du franc CFA par la BCEAO », Politique Africaine, N° 105, Mars 2007, Karthala, Paris, PP. 70-82.
[4] Kako NUBUKPO (2000) « L’insécurité alimentaire en Afrique Subsaharienne : le rôle des incertitudes », L’Harmattan, Collection « Bibliothèque du développement », Paris, 2000, 212P.
[5] Pour une réflexion stimulante sur les contours de ce concept et ses conséquences pour le développement de l’Afrique, voir Jean-François BAYART « l’Afrique dans le monde : une histoire d’extraversion », Critique Internationale n°5, 1999, PP.97-120.
[6] Cet auteur explique que dans un régime de taux de change fixe avec une liberté de circulation des capitaux, une banque centrale d’un pays ou d’une zone qui arrime sa monnaie à celle d’une zone plus puissante économiquement perd sa liberté de fixation des taux d’intérêt directeurs et est obligée de suivre l’évolution des taux de la zone ancre, notamment à la hausse. En effet, si tel n’était pas le cas, elle perdrait ses réserves de change du fait des capitaux qui partiraient vers la zone ancre et risquerait ainsi de ne plus pouvoir disposer de suffisamment de réserves de change pour soutenir son taux de change fixe. Il s’ensuivrait une dévaluation de sa monnaie. Pour en savoir plus, confère R.A. MUNDELL « A Theory of Optimum Currency Areas », American Economic Review, n°4, 1961.
[7] Joseph TCHUNDJANG POUEMI (1979) « Monnaie, servitude et liberté : la répression monétaire de l’Afrique », Editions MENAIBUC, Yaoundé ; Deuxième édition, 2ème trimestre 2000, Paris, 285P.

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