Qui tire profit de la confusion et du désordre de la politique d’opposition ?

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Le régime a toujours profité de la confusion et du désordre politiques pour consolider ses positions et se maintenir. L’expérience a montré que la politique du zigzag ne mène jamais à rien, si le projet politique est réellement de créer les conditions de l’instauration d’une véritable démocratie dans le pays. Le citoyen conscient des enjeux de la démocratisation veut désormais comprendre avant de suivre. Il faut avoir le courage de garder le cap politique.

L’engagement du CAR et l’ANC dans un nouveau dialogue avec le régime à partir de février 2012 et la désignation de l’ANC pour présider ce dialogue, ont accru le trouble dans les consciences et porté la confusion politique à son comble. Bien entendu, le dialogue semble enterré aussitôt engagé, ce qui ne surprend guère. Mais le trouble et la confusion demeurent.

 Au Togo, depuis 1993, on faisait un dialogue après chaque élection truquée. Tous ces dialogues se sont soldées à chaque fois par le maintien du régime jusqu’à la prochaine élection truquée. Les partis d’opposition engagés dans ces pseudo négociations ne sont jamais parvenus à obtenir quoi que ce soit, qui permette de faire avancer la situation politique vers le changement démocratique auquel le peuple aspire toujours.

Mais depuis février 2012, ce n’est plus d’un dialogue dont il s’agit mais deux, comme si un seul ne suffisait pas. Deux dialogues en plus parallèles, avec le même régime, et dans les mêmes conditions politiques qu’avant, l’un dans un “CPDC rénové”, et l’autre dans un cadre plutôt difficile à définir. Deux dialogues séparés l’un de l’autre et où, de part et d’autre, on affirme haut et fort vouloir discuter “des grands problèmes de la nation”, ou comme l’a dit Patrick Lawson le 5 mars dernier, de “tous les problèmes qui concernent l’avenir de ce pays que ce soit les problèmes politiques et ceux liés aux élections, pour trouver des solutions” !

 Au 12e dialogue (2006), les participants, en particulier les responsables du CAR, ceux de la CDPA et ceux de l’UFC (qui se retrouvent à la tête de l’ANC depuis 2010) ont concocté l’idée de la création d’un cadre permanent de dialogue et de concertation (CPDC) taillé à leur mesure avec le consentement hypocrite du RPT ; un cadre où ils seraient seuls à dialoguer et à se concerter avec le régime sur les problèmes du pays, notamment pour ce qui concerne le suivi de l’application des dispositions de l’APG (l’Accord politique global). Les trois partis se sont battus pour obtenir la création de ce cadre en 2009.

Mais aussitôt créé, aussitôt enterré. Puis le régime, sans consulter ceux qui se sont ainsi cooptés pour dialoguer et se concerter désormais seuls avec lui, créé en 2010 son propre CPDC, le “CPDC rénové”.  Tous ceux qui sont (ou se sont sentis) exclus du CPDC originel, se sont tout naturellement précipités dans ce “CPDC rénové”, comme pour se venger de ceux qui ont cherché à les marginaliser en les tenant à l’écart du CPDC façon APG et, comme pour montrer qu’ils existent eux aussi et qu’ils entendent eux aussi occuper désormais les devants de la scène politique.

Pour accentuer la confusion, ces partis ne précisent pas, dans leurs communiqués à l’issus de leurs rencontres, qu’ils dialoguent dans le cadre d’un “CPDC rénové”; ils parlent seulement de CPDC, comme si les deux cadres forment une seule et même chose, ou comme si le CPDC originel serait dissout et désormais remplacé par le “CPDC rénové”.

De l’autre côté, comme pour montrer qu’il ne faut pas “mélanger les serviettes et les torchons ”, le dialogue engagé en février 2012 avec le régime par le CAR et l’ANC est baptisé dialogue “Gouvernement-Opposition parlementaire”. Et tout se passe comme si cette qualification allait de soi, autrement dit comme si elle ne posait aucun problème.

 Mais le dit dialogue “Gouvernement-Opposition parlementaire” pose au moins quatre problèmes qui accentuent la confusion et le désordre.

1- Ce dialogue ne se déroule pas dans l’hémicycle. Il est domicilié à Togo télécom. Pourquoi n’a-t-il pas lieu à l’Assemblée, s’il s’agissait sérieusement d’un dialogue “Gouvernement-Opposition parlementaire” ?

2- L’UFC affirme haut et fort qu’elle continue d’être un parti d’opposition ; et elle est représentée à Assemblée à ce titre. Pourquoi ne participe-t-elle pas à ce dialogue sensé être un dialogue “Gouvernement-Opposition parlementaire” ? Serait-ce, par hasard, parce que Gilchrist et ses AGO ne voudraient pas voir des têtes qui leur déplairaient ? Dans l’éthique de la CDPA-BT, le ressentiment n’est pas compatible avec la gestion de la chose publique.

3- Le troisième problème accroît plus encore la confusion et le désordre. Les 9 députés de l’UFC, qui ont choisi de militer désormais dans l’ANC depuis la création de ce nouveau parti en 2010, sont exclus de leur parti d’origine. Et ils sont exclus de l’Assemblée par une décision de la Cour constitutionnelle, dont les arrêts, dans ce système où le courant majoritaire accepte de fonctionner, s’imposent à tous et sont irrévocables. Comment ces 9 députés peuvent-ils se prévaloir encore d’être des députés, et faire encore parti de l’opposition parlementaire ? 

Il ne s’agit pas ici de justifier la décision de cette Cour dont tout le monde, (y compris les victimes eux-mêmes), connait la nature et les fonctions politiques dans le régime d’oppression. Mais le fait est là : les 9 députés ne siègent plus à l’Assemblée. On est bien obligé de le constater et d’en tirer les conséquences. Ils se battent certes, dans le cadre de leur nouveau parti, pour récupérer leurs sièges dans l’hémicycle, mais cette fois-ci comme députés de l’ANC. Bien entendu, ils sont tout à fait libres de se battre pour ce qu’ils considèrent comme étant leur droit. Mais ils ne siègent plus à l’Assemblée depuis plus d’un an. L’ambiguïté des deux verdicts de la Cour de justice de la CEDEAO n’a pas permis de les y réintégrer.

Un fait à ne pas passer sous silence : En novembre 2011, les premiers responsables de l’ANC (qui comptent parmi ces députés exclus) avaient posé la réintégration comme condition préalable à la participation de leur parti à tout dialogue avec le régime. Et voilà que ce parti se met à dialoguer avec le même régime depuis février 2012, avec satisfaction et bonheur, sans que la réintégration ait eu lieu ! Les 9 députés sont toujours sur la touche. Et le caractère tout aussi sibyllin du second verdict de la Cour de justice de la CEDEAO et la décision de la Cour constitutionnelle togolaise les y maintiennent. Comment peut-on parler de dialogue “Gouvernement-Opposition parlementaire” dans ces conditions ?

4- Le quatrième problème soulève des questions de fond. L’ANC est créée en 2010. Elle n’a pas encore participé à une élection législative. En conséquence, elle n’a pas encore de députés à l’Assemblée. Qu’elle se prépare à en avoir à l’issue des prochaines élections législatives, voilà qui est légal et tout à fait compréhensible. Et qu’elle aille aux urnes, même si les réformes requises pour la transparence et la régularité de l’élection ne sont pas faites ou sont bâclées, ne surprendra personne. C’est l’habitude !

Mais pour l’instant, l’ANC ne fait pas partie de l’Opposition parlementaire. Au mieux, et c’est heureux, elle fait partie de l’Opposition extraparlementaire. Comment peut-on parler dans ces conditions d’un dialogue “Gouvernement-Opposition parlementaire” sans accroître la confusion dans les têtes, et le désordre déjà trop grand dans le pays ?

 Le régime a toujours profité de la confusion et du désordre pour consolider ses positions et se maintenir contre la volonté populaire. L’accentuation de ces deux maux (confusion et désordre) par le prétendu dialogue “Gouvernement-Opposition parlementaire” est une fois de plus un service que le CAR et l’ANC rendent à Faure Gnassingbe et à ses amis. C’est évident. Sinon, Solitoki n’aurait pas jubilé le 5 mars en proclamant que « Ce dialogue cette fois-ci, on peut dire que ce sera le bon” ! Quelqu’un n’a-t-il pas dit que “toutes les fois qu’ils me félicitent, c’est que j’ai fait une connerie ? »

La confusion et le désordre politiques ont toujours désorienté la masse des opposants et la population toute entière. Ils ont créé chez elles la résignation et un fort sentiment de désaffection à l’égard du parti politique en tant qu’outil de changement politique et social. Cette désorientation et cette désaffection avaient déjà largement affaibli l’opposition démocratique. Les conditions dans lesquelles le CAR, et surtout l’ANC, se sont remis à dialoguer avec le régime, ont gravement accentué la désorientation et la désaffection. Elles affaiblissent d’autant l’opposition démocratique et son combat, quand bien même ce pseudo dialogue “Gouvernement-Opposition parlementaire” semble enterré pour de bon.

 Une fois de plus, la CDPA-BT demande aux partis du courant dominant de l’opposition de s’abstenir désormais d’accentuer la confusion et le désordre politiques déjà trop grands. L’expérience a montré que la politique du zigzag ne mène jamais à rien, si le projet politique est réellement de créer les conditions de l’instauration d’une véritable démocratie dans le pays. Le changement démocratique passe par des positions et des actes qui, par leur clarté, leur transparence, leur cohérence, leur constance, encouragent la masse des opposants et l’incite à s’impliquer dans le processus politique en tant que force organisée. Cette implication organisée est une condition sine qua non du succès de la lutte pour le changement.

Encore plus qu’hier, ceux qui continuent de croire à la nécessité du changement démocratique pour le bonheur de tous exigent des responsables politiques de la clarté dans les propos, de la transparence dans la pratique politique, de la cohérence dans les décisions, de la constance dans la ligne d’action que l’on s’est donnée parce qu’on y croit. Il faut avoir le courage de garder le cap politique !

 Un togolais de la diaspora a écrit récemment, à propos de ce nouveau dialogue soit disant  » Gouvernement-Opposition parlementaire, que les “leaders de l’opposition doivent apprendre à maintenir le cap de la fermeté… » Il a raison. Mais dans la confusion boueuse, où l’on fait patauger la masse de ceux qui veulent si ardemment le changement démocratique, le problème va au-delà d’un « cap de la fermeté ». La situation politique actuelle impose de reprendre le cap politique implicite à l’insurrection populaire d’octobre 1990 et de le garder, si l’on veut mobiliser en profondeur.

Pour la CDPA-BT, ce cap politique est une alternative politique qui engage clairement le pays dans une nouvelle voie d’évolution démocratique, forcément avec l’implication massive de la population. Pour atteindre le cap, les partis d’opposition doivent devenir, ensemble, la conscience agissante de la masse de la population opprimée, pour ne plus offrir au régime l’occasion de tirer à chaque fois profit de la confusion et du désordre.

Plus que jamais, le citoyen conscient des enjeux de la démocratisation veut désormais comprendre, avant de suivre.

Fait à Lomé, le 25 avril 2012
Pour la CDPA-BT
Son Premier Secrétaire
E. GU-KONU

 

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