Quand l’Allemagne nazie exterminait ses malades mentaux

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Les historiens font commencer le XXe siècle après la Grande Guerre. En matière d’histoire de la psychiatrie, on peut se demander si ce n’est pas plutôt le lendemain de la Seconde Guerre mondiale qu’il faut choisir, lorsqu’on mesure à quel point le sort des malades mentaux pendant la guerre apparaît non comme le commencement d’une ère, mais comme la fin d’une autre. […]

Quand Hitler arrive au pouvoir, l’eugénisme est admis à des degrés divers partout dans le monde occidental. Ce qui s’est appelé d’abord « l’eugénique » vise à améliorer et protéger la « race » (autre terme parfaitement accepté alors), de façon « positive » en favorisant la reproduction des plus aptes, mais aussi « négative » en « entravant la multiplication des inaptes ». Parmi ceux-ci, les arriérés et les malades mentaux. Les États-Unis donnent l’exemple en procédant à des stérilisations forcées, mais les barrières démocratiques, la jurisprudence, l’opinion publique en limitent beaucoup l’usage. […]

Carrel publie en 1935 L’Homme, cet inconnu, vendu à 200 000 exemplaires à la fin de 1939. « Il y a encore le problème non résolu de la foule immense des déficients et des criminels. Le coût des prisons et des asiles d’aliénés, de la protection du public contre les bandits et les fous, est, comme nous le savons, devenu gigantesque. Un effort naïf est fait par les nations civilisées pour la conservation d’êtres inutiles et nuisibles. Les anormaux empêchent le développement des normaux. Pourquoi la  société ne disposerait-elle pas des criminels et des aliénés d’une façon plus économique ? […] Un établissement euthanasique, pourvu de gaz appropriés, permettrait d’en disposer de façon humaine et économique. Le même traitement ne serait-il pas applicable aux fous qui ont commis des actes criminels ? »

L’Allemagne nazie, hantée par le spectre de « la mort de la race » (Volkstod), se lance dans une politique biomédicale qui commence par des stérilisations massives, à partir de véritables « tribunaux de santé ». 200 000 déficients mentaux et 150 000 aliénés ou épileptiques hospitalisés y sont promis, mais aussi des malformés physiques, voire des sourds ou des aveugles héréditaires. La nazification de la médecine, conjuguant enthousiasme eugénique et terreur à l’encontre de ceux et celles qui veulent garder leur poste, va permettre d’aller beaucoup plus loin, et de passer à « l’euthanasie », c’est-à-dire au meurtre médical direct. L’idée n’était pas nouvelle, puisqu’elle s’appuyait notamment sur un ouvrage de 1920, Die Freigabe der Vernichtung Lebensunwerten Lebens (« Le droit de supprimer la vie indigne de vivre »). Les deux auteurs étaient d’éminents universitaires, l’un juriste, l’autre psychiatre.

Au congrès du Parti en 1937, Hitler déclare : « La plus grande révolution réalisée en Allemagne a été la mise en œuvre d’initiatives systématiques visant à l’amélioration de la race et de la santé du peuple, jusqu’à la création de l’homme nouveau. » Il n’est cependant jamais parlé explicitement d’extermination des retardés et malades mentaux. Ni l’opinion publique, ni les médecins, ni les Églises ne sont prêts, même si les stérilisations ont été admises. À partir de 1933, toutefois, les crédits des hôpitaux psychiatriques sont radicalement diminués et leur situation devient rapidement critique. Médecins et infirmiers sont incités à ne plus soigner leurs patients. La population assiste à des projections « documentaires » où sont montrés des malades mentaux lourdement atteints. La propagande nazie entend ainsi démontrer l’inutilité de leur vie, tout comme elle leur reproche de vivre dans des « palais », comparés aux modestes logements des ouvriers qui, eux, travaillent. En même temps, les universitaires eugénistes (chaque université a sa chaire) répandent leurs sinistres thèses. Le professeur H. W. Krantz évoque la nécessité d’éliminer un million de « sujets inférieurs ».

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