Pr. Dedy Seri explose ! Nous subissons un Etat de nature perceptible à travers le bâillonnement des Oppositions…

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Lynx.info : Alassane continu par dire à qui veut l’entendre sur RFI qu’il est économiste et a les solutions pour la Côte d’Ivoire. Un an après, vous le croyez toujours ?

Prof. Dédy Séri : Ma réponse ? Un jugement de fait, non un jugement de valeur car je ne suis pas économiste. J’ai cependant une précision à donner, en préalable. M. Samir Amin – que j’ai eu la chance de rencontrer à Montréal en mai 2000 – me disait que l’économie marche sur deux pieds qui justifient son nom : le premier pied est l’économie, c’est-à-dire l’appareil de production et le second pied, les hommes, ceux-là même dont la satisfaction des besoins donne sens à ce qu’on appelle l’économie politique. Donc une économie est toujours politique. Et c’est pourquoi Samir Amin a ajouté au cours de notre échange, que tant que l’Afrique continuera de souffrir d’un certain déficit de nationalisme, son économie demeurera squelettique, par comparaison avec les Dragons d’Asie connus pour leur sens aigu de la souveraineté nationale.

Qu’en est-il s’agissant de la Côte d’Ivoire ? Je préfère laisser parler des observateurs ou groupes d’observateurs neutres ou proches du clan Ouattara. Le 14 juillet 2011, à l’occasion de sa visite de travail à Abidjan, le Premier ministre de M. Sarkozy, M. François Fillon a déclaré à la télévision ivoirienne que c’est la France qui paye les fonctionnaires ivoiriens, là où Laurent Gbagbo se serait opposé parce qu’allergique à l’endettement. Il est allé plus loin en prévenant les autorités ivoiriennes que, aussi longtemps que séviront le rançonnage et l’insécurité, aucun investisseur français ne prendra le risque d’investir en Côte d’Ivoire. C’est exactement ce qu’a répété le patronat français le mercredi 4 juillet dernier, dans le cadre d’un forum économique qui a réuni hommes d’affaires ivoiriens et français, et je cite de mémoire : « Nous n’allons pas utiliser la langue de bois. Il y a des problèmes à traiter en préalable : le problème sécuritaire et le problème judiciaire ». Il n’y a pas si longtemps, M. Jean-Louis Billon, président de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Côte d’Ivoire a stigmatisé le manque de patriotisme économique chez les nouveaux dirigeants, faisant remarquer qu’ils utilisent leurs titres et fonctions pour handicaper la marche de l’économie nationale. En moins d’un an, la Côte d’Ivoire sous Ouattara s’est endettée plus que sous Laurent Gbagbo en dix ans, avec pour conséquence un accroissement de la pauvreté ; de sorte que l’admission de notre pays au statut de PPTE s’apparente davantage à un coup d’épée dans l’eau qu’à un stimulant de développement. Pour n’avoir pas respecté le principe du « budget sécurisé » cher à Laurent Gbagbo et Bohoun Bouabré, la Côte d’Ivoire a mangé son riz en herbe. Les fournisseurs nationaux crient au scandale, s’estimant lésés par rapport à leurs homologues étrangers. L’Assemblée Nationale vient d’emboîter le pas aux Observateurs cités plus haut en décidant de convoquer les ministres de l’Education Nationale, de l’Economie et des Finances, du Commerce, de la Défense – le Chef de l’Etat est détenteur du porte-feuille de la Défense – pour les entendre sur l’Economie, la cherté de la vie, l’assainissement de l’environnement des affaires, les questions sécuritaires considérées comme les préoccupations actuelles de la Côte d’Ivoire. Plus symptomatique est l’opinion de l’ambassadeur des Etats-Unis sur « l’économie politique ivoirienne ». Dans une interview accordée le 29 juin 2012, à un quotidien abidjanais, le diplomate a lâché, à propos de la réforme de l’armée ivoirienne : « le gouvernement a fait beaucoup de bla-bla-bla, mais pas vraiment posé les bases d’une vraie réforme ». Le 2 juin dernier, à l’issue de la réunion de son bureau politique, le PDCI-RDA a reproché beaucoup de manquements de gouvernance au RDR, son allié au sein du RHDP. Il a dit tout clairement qu’il fallait une armée « véritablement nationale et républicaine » – ce qui rejoint les préoccupations de l’ambassadeur des Etats-Unis – une Assemblée véritablement nationale, une Administration inclusive et non exclusive. Lorsqu’on met bout à bout ces manquements, on obtient quoi ?

Lynx.info : ….. mais le seul budget de la présidence évalué à 300 milliards ne remet pas en cause « le bon économiste » qu’il dit être ?

Il n’y a pas que le budget de 300 milliards de la présidence, en contexte de paix, alors qu’en contexte de guerre sous Laurent Gbagbo, l’Opposition d’hier, aujourd’hui au pouvoir estimait qu’un budget de 70 – 80 milliards était un scandale. Il y a le fait que les biens du nouveau président ont été déclarés fin juin 2012, c’est-à-dire plus d’un an après sa prise de fonction, contrairement à l’esprit et à la lettre de la Constitution. Bien plus, les biens ont été déclarés, mais on ne sait ce que ça représente en termes de nos francs CFA : un milliard ? Ou un peu plus que Laurent Gbagbo qui a 900 millions sur son compte après 10 ans de pouvoir ? Le public ivoirien attend toujours cette information constitutionnelle qui aurait dû être donnée le jour même de l’investiture.

Lynx.info : Gouvernement avec toutes les composantes ethniques. Equilibre nord-sud. Ouattara nie en bloc  son « rattrapage ethnique » avec l’Express. Quelle est sa grande faiblesse comme homme politique ?

Moi, je ne parlerais pas de « faiblesse » ici. Je parlerais plutôt d’une grande qualité : le courage. Car il a bien avoué le rattrapage face à un journaliste de L’Express, du nom de Hugueux, ce mercredi 25 janvier 2012. E t c’est sur cette base que Souleymane Alex Bamba, conseiller en communication du Président intérimaire du RDR, parti d’Alassane Ouattara, a pu dire que le rattrapage était pleinement justifié, les Nordistes ayant été les sous-hommes esclavagisés du pays depuis au moins 1960. Est-il possible de nier tant d’évidences reconnues par toutes les consciences, y compris celles qui, hier, ont soutenu les victimes d’une certaine ivoirité ?

Lynx.info : Avec le confrère RFI  Ouattara dit : « Gbagbo était chef des armées et l’armée a tué plus de 3000 personnes ». Comment expliquez-vous cette manière de nier les tueries des FRCI qu’il dirigeait ?

S’il y avait une justice internationale impartiale et désireuse de prévenir les atrocités des années 1939 – 1945 au profit des peuples quelle que soit la couleur de leur peau, la rébellion de septembre 2002 n’aurait pas abouti au renversement de Laurent Gbagbo le lundi 11 avril 2011. Comme disait la fable de La Fontaine, « la raison du plus fort est toujours la meilleure » et le plus fort ici, c’est l’Occident qui scrute ses intérêts dont les puits de pétrole et les plantations de cacao. C’est pourquoi Gbagbo est accusé de tous les crimes et ses adversaires, totalement innocentés.

Lynx.info : Marine le Pen dit que : « sans la France Alassane ne serait pas là où il est ». Lui-même sur RFI dit « qu’il n’a pas été aidé par la France ». Où se trouve le mensonge ?

Plutôt, « où se trouve la vérité ? ». La vérité se trouve dans les révélations de pas mal de sachants dont SEM Jean-Marc Simon, ambassadeur de France en poste à Abidjan au moment des faits ; plus récemment, Médiapart, site français connu pour ses révélations jamais démenties et bien d’autres personnalités des domaines diplomatiques, religieux, littéraire et journalistique. Nous ne devons pas nier des évidences puisque l’histoire ni sourde ni aveugle. Elles sont encore visibles sur bien des sites les images de soldats français exhibant le drapeau ivoirien sur les décombres de la résidence de Laurent Gbagbo après la capture de celui-ci. Personne ne peut nier cela et le Président Laurent Gbagbo n’a rien inventé en le soulignant devant la CPI lors de sa première comparution le 5 décembre 2011. Et tout est parti de la résolution 1975 du 30 mars 2011 engageant l’option militaire contre Laurent Gbagbo, une option que la Force Licorne devait mener de concert avec l’ONUCI et l’OCOMOG. Les archives de l’ONU existent et peuvent confirmer ce que je dis. Naturellement, la France sarkozyenne et ses soutiens ivoiriens ou africains n’avoueront jamais que se sont des connivences diplomatiques qui ont eu raison de Laurent Gbagbo et de son pays.

Lynx.info : Finalement ce n’est pas le non respect des accords de Ouagadougou qui disait que les chefs rebelles aillent à la retraite qui font qu’on voit tout ce désordre avec les FRCI en Côte d’Ivoire ?

Le désordre que vous évoquez a été stigmatisé dès juillet 2011 par Ban-Ki Moon lui-même. Le Secrétaire Général de l’ONU disait que les éléments des FRCI sont particulièrement indisciplinés. Avant ou après cette déclaration, un Com’Zone FRCI de San-Pedro disait à peu près la même chose lorsqu’il a avancé sur ton amer que ses éléments son pour la plupart des analphabètes. Cela n’étonne personne puisque dans leur rang, il y la catégorie dozo, une confrérie de chasseurs traditionnels injectés dans ce qu’il est convenu d’appeler les FRCI, en lieu et place des Forces de Défense et de Sécurité dont on sait qu’elles sont intellectualisées. La logique villageoise et tribale n’ayant rien à voir avec les principes républicains, il est normal que le désordre en question règne sur tout le pays. C’est pourquoi l’Etat de droit a disparu au profit de l’Etat de nature.

Lynx.info : Alassane dit que les pays africains doivent créer des  Etats de droit. Donne t-il déjà l’exemple dans son pays ?

L’Etat de droit suppose réunies un certain nombre de conditions : le respect de la différence à travers le respect de la libre expression des idées, la liberté d’association, l’égalité des individus et des groupes devant la loi, le droit à la vie, à la propriété privée, à la libre circulation, le droit au travail, à l’éducation, etc. Outre ces dispositions qui rappellent la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, la Constitution ivoirienne interdit l’exil : « aucun n’ivoirien ne doit être contraint à l’exil ». Créer un Etat de droit, c’est respecter ces dispositions-là. La plupart des Etats africains sont très loin de cet idéal dans la mesure où ce qu’il est donné de constater, ce sont des arrangements pour traquer et harceler des opposants contraints à l’exil, des licenciements massifs de travailleurs sur des bases idéologiques et/ou ethniques. Pour l’instant, nous subissons un Etat de nature perceptible à travers le bâillonnement des Oppositions et de la presse indépendante, les enlèvements ou le massacre de ceux qui ne pensent pas comme les clans au pouvoir. Quant à l’Etat de droit, il considère que l’Opposition est utile et indispensable, l’unanimité étant certitude de naufrage collectif.

Interview réalisée par Camus Ali

 

 

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