Pourquoi l’argent ne circule pas au sein de l’économie ivoirienne ?

0

On entend dire partout en Côte d’Ivoire que l’argent se fait rare. A cela s’ajoute la question de la vie chère. Dans les lignes qui suivent, nous tentons de passer en revue toutes ces questions.

1. Les raisons pour lesquelles l’argent ne circule pas.

La monnaie organise toute la société. Elle est un moyen d’échange entre biens et services reconnu par un ensemble de personnes, et permettant des échanges non nécessairement simultanés à l’intérieur de cet ensemble. La monnaie est donc un ensemble de signes symboliques convenus au sein d’une société pour y représenter les valeurs d’échange. Il ne faut en aucun cas confondre les valeurs signifiées avec les symboles qui les signifient.
La plupart des économistes se résignent à dire “ne cherchez pas la nature de la monnaie, mais sachez comment elle fonctionne”. Il me semble nécessaire que l’économiste découvre la nature juridique de la monnaie, au travers de son fonctionnement.  Les économistes en distinguent trois: une unité de compte qui permet d’exprimer les prix des biens; un moyen d’échange reconnu par tous, qui permet d’effectuer des transactions; et une réserve de valeur, une des formes de la richesse, qui permet de reporter dans le futur l’acquisition d’un bien ou d’un service.

Si l’argent ne circule, c’est pour plusieurs raisons : soit il est thésauriser, soit le système de production et d’échange est enroué, soit le système bancaire bloque l’argent dans ses coffres.

Etudions le premier cas. La thésaurisation est un terme technique économique décrivant une accumulation de monnaie pour en tirer un profit ou par absence de meilleur emploi. La  thésaurisation est le fait de conserver son argent sans le faire fructifier. C’est une forme d’’épargne. cela ne fait donc pas circuler l’argent et donc cela ne stimule pas l’économie. En intégrant dans les phénomènes monétaires et l’incertitude dans la vie économique comme influençant bien les prévisions des agents économiques et particulièrement des entrepreneurs, il va sans dire que qu’en période d’instabilité politique et d’insécurité, les agents économiques ont tendance à détenir une épargne de précaution qui prend la forme de thésaurisation.
La thésaurisation est également le fait de la politique de déflation du gouvernement. l’effet déflationniste de la thésaurisation. Le sujet est aujourd’hui sensible. Il parait, dans beaucoup de domaines, que de nombreux agents économiques sont portés à la thésaurisation et sont justifiés dans ce comportement par la conjonction de deux évènements : des tendances déflationnistes et le très bas niveau des taux d’intérêts.

La déflation, c’est-à-dire la diminution des prix nominaux génère des attitudes d’attente, par le simple fait que les prix de demain seront moins élevés que ceux d’aujourd’hui. Dans ces conditions, si rien n’impose un achat immédiat, il sera différé et les sommes qui y auraient été consacrées, seront thésaurisées.

La déflation des prix touche aussi les taux d’intérêts : si ceux-ci sont très bas, l’incitation à placer ses encaisses est faible et est d’autant moins forte que le détenteur de liquidités s’attend à une baisse des prix des biens et des services dans l’avenir. Le risque de thésaurisation est plus élevé lorsque les agents économiques, entreprises et particuliers perçoivent un environnement économique déflationniste dans un contexte de taux d’intérêt très bas.

Le deuxième cas est le ralentissement de l’économie. Une économie où l’argent ne circule pas beaucoup, c’est une économie en récession . A contrario, une économie où l’argent circule vite est une économie vivante et énergique. On parle de vélocité de la monnaie, et c’est une donnée essentielle d’un système monétaire. En effet, l’argent représente pour l’économie ce qu’est le sang chez l’Homme. La monnaie dans notre système économique, c’est comme le sang dans le corps humain : si elle s’arrête de circuler, c’est la mort du système. Et c’est ce que nous mangeons qui augmente la quantité de sang dans notre corps. Une économie amorphe est une économie où l’argent ne circule pas. Pourquoi l’économie ne fonctionne-t-elle plus alors qu’il n’y a eu ni tsunami, ni guerre, ni épidémie ? En fait, il s’agit d’un simple problème de lubrification. Les échanges sont bloqués parce l’argent, qui est à l’économie ce que l’huile est à un moteur, ne circule plus suffisamment. Si l’économie ne redémarre pas, les investissements continueront à ne pas être rentables. Si aucune relance de l’activité ou autre ne vienne interférer avec la chute des prix, il en découle une chute encore plus importante dans les valeurs nettes des affaires. Une chute des profits, ce qui conduit les firmes qui font des pertes à procéder à une réduction de la production, du commerce et de l’emploi. Les pertes, faillites et chômage mènent à un pessimisme et une perte de confiance, ce qui a son tour conduit à la thésaurisation et une diminution supplémentaire de la vitesse de circulation.  Il sera toujours vrai que les profits dépendent de la cherté ou du bas prix des salaires, que les salaires sont réglés par le prix des denrées de première nécessité, et que le prix de ces dernières tient principalement à celui des aliments.

Le non-paiement de la dette intérieure par l’Etat de Côte d’Ivoire handicape sérieusement l’activité économique et donc la relance économique. En outre, l’augmentation des retards de paiement de l’Etat a de graves conséquences sur la confiance des entreprises privées vis-à-vis de l’Etat et des banques vis-à-vis des entreprises. Dans ce cas, l’activité économique va connaître un ralentissement. On se demande d’ailleurs si cela ne se produit pas déjà avec la morosité économique que l’on observe actuellement.

L’Etat a également favorisé la fuite des capitaux hors du circuit économique ivoirien puisqu’il octroie des marchés aux opérateurs économiques étrangers. Une bonne partie des paiements effectuée se dirige vers le pays d’origine des entreprises réceptrices. 

Il y a également l’irréversibilité de l’investissement. En effet, dans une période d’instabilité politique, les entrepreneurs préfèrent attendre des périodes de paix, pour investir. Or les grandes entreprises en Côte d’Ivoire sont financées par les filiales des banques françaises, qui attendent la réconciliation pour vraiment financer les investissements lourds.

Le troisième cas est imputable aux banques. Le comportement des banques.  L’argent ne circule pas si les banques enfermeraient dans ses caisses tout l’argent qu’elles auraient reçu et n’augmenteraient jamais la circulation, comme cela se fait d’ordinaire.  Les banques drainent les fonds d’épargne et les prêtent à des emprunteurs. En jouant ce rôle d’intermédiaires, les banques créent de la monnaie. Elle participe donc à la vitesse de circulation de la monnaie. La vitesse de circulation de la monnaie exprime le nombre de fois qu’une même unité monétaire (un euro par exemple) est utilisée dans les transactions effectuées dans une période donnée. Les agrégats servent au calcul de la vitesse de circulation de la monnaie et elle traduit le comportement des agents non financiers en matière de dépense et de placement. La  mesure la plus courante est la  vitesse-revenu : V = PIB / Masse monétaire. Laisser l’argent inactif dans des coffres ne rapporte rien à la banque. Pourquoi ne le prêterait-elle pas contre rémunération? Un entrepreneur a besoin d’argent pour acheter du matériel informatique ou autre équipement utile pour son affaire. En Côte d’Ivoire, les banques ne prêtent pas ou assez. Cette attitude persistance en période d’incertitude peut accentuer la thésaurisation.  La faiblesse de la circulation monétaire peut également s’expliquer par  la faiblesse de la création monétaire nette. Cette dernière est la différence entre la création monétaire et la destruction monétaire.  La destruction monétaire se fait lors du remboursement d’un crédit par le bénéficiaire, d’un titre d’emprunt arrivé à échéance ou lors de la vente de devises par une banque à un agent non financier.  Les dépôts en 2011 s’élevaient à 3694 milliards de franc  CFA contre  3136 milliards de franc CFA en 2010. Quant aux crédits bancaires, les banques ont injecté dans l’économie 3.113 milliards de franc CFA en 2011 contre 2679 milliards de franc CFA en 2010. En 2011, les banques n’ont pas financer le développement, mieux, elles ont  retiré l’argent de la poche des ivoiriens pour le garder dans leurs coffres.

2. L’argent ne circule pas et la vie est chère.

Le panier de la ménagère ne cesse d’être désespérément vide au point où tout espoir d’un lendemain meilleur semble perdu. Quelles sont donc les causes de la cherté de la vie.

Premièrement, si l’on étudie bien l’environnement politico-financier, l’on constate qu’il est caractérisé par la mal gouvernance sous toutes ses formes. On ne peut pas dire que les fonds manquent, mais le problème c’est au niveau de la gestion judicieuse à en faire pour orienter dans chaque rubrique, surtout celle sociale, les retombées de la prospérité. A prix constant, la faiblesse des revenus peut entrainer la cherté de la vie. Or, les mesures de licenciement massif à la RTI, à la Sotra, à la Société Les Palaces de Cocody, au Port autonome d’Abidjan, à la CEI et dans bien d’autres secteurs, n’ont pas d’impacts positifs sur le panier de la ménagère.  Dans ce même ordre d’idées, les décrets portant augmentation du taux de cotisation de la pension de retraite de 18 à 25 % dans le secteur public et de 8 à 12% dans le secteur privé, sans au préalable avoir débloqué les salaires ni relevé le Smig, conformément aux accords avec les Centrales, impactent négativement le budget des ménages ivoiriens.

Deuxièmement, il y’a le  non-respect de l’application du protocole signé par le ministère du commerce et les commerçants. Les contrôleurs de prix sont particulièrement utiles dans les grands magasins,  dans les marchés et boutiques afin de faire respecter les décisions gouvernementales. Or, aux temps présents, que les contrôleurs fassent efficacement les contrôles.

Troisièmement,  le  port d’Abidjan étant très cher, le coût de revient est très lourd pour les importateurs. Ce quoi fait que le prix de détail est parfois hors budget pour le ménage.  En application de la méthode du prix de revient majoré, qui consiste à déterminer le coût de revient du bien ou du service vendu ou fourni à une entreprise liée, et à y ajouter une marge bénéficiaire de pleine concurrence, obtenue en utilisant un comparable interne ou externe à l’entreprise, la cherté du port ivoirien renchérit les prix de revient des biens importés.  Le port d’ABIDJAN serait 5 fois plus cher que le port de TEMA au Ghana, 4 fois plus que celui de LOME et 3 fois le port de DAKAR.  Les sommes exigées pour chaque tonne de riz par exemple importée au titre des frais portuaires ont pour effet de renchérir le prix du riz sur les marchés. Il faudra que le gouvernement. Ici également, il faut signaler les rackets qui alourdissent les charges des grossistes et commerçants.

Quatrièmement, le refus du gouvernement de faire baisser la TVA. Selon le gouvernement ivoirien, le budget 2012 a été mis sur pied en tenant compte de cet impôt. Pour le chef du gouvernement, ce n’est qu’après la suppression des surcoûts et frais parallèles qui alourdissent les prix qu’éventuellement le gouvernement pourra envisager de baisser la TVA. Or, dans pareille situation, les gouvernements peuvent bloquer les prix des biens de premières nécessité ou bloquer les dépenses courantes des ministères pour subventionner les biens de premières nécessités.

Cinquièmement, l’endettement excessif du pays après le 11 avril 2011 a eu pour effet d’accroître la pression sur les prix. En effet comme les prix se fixeront en raison composée du total des choses avec le total des signes, et de celle du total des choses qui sont dans le commerce avec le total des signes qui y sont aussi ; et, comme les choses qui ne sont pas dans le commerce aujourd’hui peuvent y être demain, et que les signes qui n’y sont point aujourd’hui peuvent y rentrer tout de même, l’établissement du prix des choses dépend toujours fondamentalement de la raison du total des choses au total des signes. Les emprunts de l’Etat forment des rentes financières  car cela contribue à augmenter « de plus en plus les fortunes pécuniaires stériles » puisqu’ils ne sont pas la contrepartie d’une activité nationale.  Lorsqu’une quantité quelconque d’argent est importée dans une nation, elle n’est pas tout d’abord répandue en beaucoup de mains ; elle est renfermée dans les coffres-forts d’un petit nombre d’individus qui cherchent aussitôt à l’employer fructueusement. Il est aisé de suivre le numéraire dans sa marche à travers la communauté. Mais une fois que l’argent circule en dehors des amis du petit nombre, il créé une pression inflationniste sur les marchés.

3. Le cas du riz en Côte d’Ivoire

Les gouvernements  doivent intervenir sur deux fronts rivaux, à la fois pour stimuler la production de riz et maintenir les prix du riz abordables pour les consommateurs. La possibilité d’accroître la production de notre pays existe. Aux temps présents, ce sont 800 milliards de franc CFA que l’Etat  de Côte d’Ivoire dépense pour importer du riz. Or notre pays regorge de nombreux bas-fonds : celui de Yabra à Yamoussoukro, le périmètre rizicole de Sassandra, le bas-fond de Zebra à Daloa, mayo à Soubré, celui de Korhogo, de Danané, de Touba, de Buyo etc. Des coopératives existent comme la Coopérative pour le développement de la riziculture (CODERIZ). Elle a été créé par le programme d’urgence riz (PNR).  Ces coopératives existent dans plusieurs villes du pays : à Abengourou, Bangolo, Bondoukou, Daloa, Daoukro etc. elles ont pour rôle de blanchir le riz paddy et de la vendre sur l’étendue du pays. Il y a aussi l’office nationale de développement de la riziculture.  En Côte d’Ivoire, le riz est devenu l’aliment principal de la population avec une consommation estimée à 1 300 000 tonnes de riz blanchi par an, soit environ, 58 kg par an et par habitant. Le riz est cultivé sur les plateaux et dans les bas-fonds dans toutes les régions du pays (les zones forestières, les zones de savanes, les zones montagneuses de l’ouest du pays). La production nationale a été de 683 671 tonnes de riz paddy en 2008.

En attendant, le gouvernement peut augmenter les stocks pour être à l’abri des hausses éventuelles ;  Diminuer ses prélèvements lors de l’importation du riz importé et créant la concurrence dans le secteur afin de casser les monopoles déguisés dans le secteur. Il doit aussi suppression des mesures de double imposition sur les produits actuellement concernés.

Le gouvernement doit sévir au niveau de la corruption car elle crée des distorsions au niveau de l’économie et agit comme un virus dans la fixation des prix. 

4. Les mesures globales contre la vie chère

Au-delà du riz, le gouvernement doit investir tous les secteurs de l’économie. Le salaire minimum, la retraite des travailleurs, les prix et surtout revoir un secteur souvent oublié , celui du logement. Lorsque le budget du logement greffe lourdement votre budget, votre pouvoir d’achat diminue. Il faut une loi pour encadrer les sommes exigées lors de la location d’une maison. A Abidjan, les propriétaires réclament souvent 1 an de loyer, ce qui est exorbitant . Cela permettra de loger convenablement les ivoiriens à défaut de leur donner la possibilité d’être des propriétaires.  Le gouvernement devra encourager la production locale de tous les biens de premières nécessités (bœufs, poulets, riz, maïs etc).

Cette démarche globale vise également à agir sur les revenus des plus démunis ou des personnes fragilisées et notamment des personnes âgées ou des jeunes qui n’ont pas encore réussi à s’insérer socialement dans la vie active.

L’Etat doit mettre en place l’Observatoire des prix : structuration des prix, suivi
hebdomadaire.  Il peut également créer un économat virtuel (Les meilleurs prix aux meilleurs endroits). Il doit amplifier une politique volontariste en faveur de l’activité vivrière.

DR PRAO Yao Séraphin, délégué national au système monétaire et financier à LIDER

Partager

Laisser une réponse