Par une décision qui a surpris bien des observateurs de la vie politique, des membres du principal parti de l’opposition, présidé par Gilchrist Olympio, sont entrés au gouvernement. Le fils du premier président s’explique sur les raisons de ce tournant stratégique.
Gilchrist Olympio, fils de Sylvanus Olympio, assassiné en 1963 ne veut pas jeter ses partisans dans une bataille perdue d’avance, préférant agir « de l’intérieur ». Pour un meilleur essor du peuple togolais. C’est sous ce titre qu’a été rendu public l’accord passé entre le Rassemblement du peuple togolais (RPT), parti au pouvoir à Lomé, et l’Union des forces de changement (UFC), son opposant traditionnel, conduit par Gilchrist Olympio.
Son premier effet, le plus visible, a été la reconduction du premier ministre Gilbert Houngbo par le président Faure Gnassingbé, réélu, et, surtout, l’entrée au gouvernement de sept ministres issus des rangs de l’UFC, au premier rang desquels se trouve un ancien secrétaire général, Elliott Ohin, dont le père fut ambassadeur du Togo aux États-Unis, qui a été nommé ministre d’État, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération. Le délicat portefeuille des Droits de l’homme revient à Léonardina Wilson, l’une des cinq femmes ministres, qui aura pour tâche de parfaire la réconciliation nationale. L’Enseignement technique et la Formation professionnelle ainsi que l’Enseignement supérieur reviennent également à l’UFC, avec à leur tête respectivement Brim Bouraïma-Diabacte et François Galley.
Pourquoi avez-vous accepté que votre parti, traditionnellement dans l’opposition, collabore avec le gouvernement de Faure Gnassingbé ?
Nous sommes devant une situation difficile. Nous avons combattu ce régime pendant quarante ans. Lors de l’élection présidentielle de mars 2010, il y a encore eu des fraudes, les listes électorales ont été à nouveau truquées. Cette fois-ci, l’Union européenne a déclaré que le scrutin était acceptable, même s’il y a encore des choses à améliorer. Le rapport de l’Union africaine n’a rien objecté. Nous étions contraints de vivre cinq nouvelles années avec un pouvoir qui exerce un monopole total sur toutes les institutions. J’ai donc convoqué mon état-major pour lui demander ce que nous allions faire.
N’y avait-il pas d’autres moyens d’action ?
Nous avons signé l’Accord politique global (APG) [1] au Burkina Faso, grâce à la médiation du président Compaoré, mais après la présidentielle ce dernier n’a plus de mandat réel. Ni peut-être la volonté de jouer un rôle dans cette crise que les grandes puissances, dont la France, considèrent globalement résolue.
Sur le plan de l’action politique intérieure, avez-vous épuisé toutes les ressources ?
La frustration est réelle dans le pays. Mais je ne crois pas que ce que nous appelons « Résistance au Togo », une marche de deux heures toutes les semaines, puisse bouleverser la situation. Je ne suis pas opposé, bien au contraire, à manifester le mécontentement de nos électeurs. Mais cela ne peut qu’égratigner le pouvoir. Les femmes au marché, les hommes de bonne volonté vont nous suivre puis chacun va rentrer chez soi. Nous n’avons plus de structures de résistance civile dans le pays. Tout a été détruit par Eyadéma. Nous n’avons plus de syndicats actifs. Nous pouvons faire des opérations « villes mortes », comme dans les années 1990. Mais aujourd’hui, nous avons beaucoup d’immigrés, des Ibo nigérians, des Nigériens, des Burkinabè qui vont ouvrir leurs magasins. L’effet sera donc limité. D’ailleurs, nous avons connu neuf mois de grève générale illimitée : médecins, magistrats, ingénieurs… Le président s’est installé dans son village, il a fait venir ses provisions de France et il a attendu.
C’est donc une solution de la dernière chance ?
Quarante ans d’attaques frontales n’ont mené à rien. Je suis comme le général qui dit : je ne peux pas jeter mes troupes dans une bataille que je suis sûr de perdre. Comme je vous disais, la résistance civile pacifique a ses limites. Certains jeunes de notre parti voudraient lutter les armes à la main, mais nous n’avons pas envisagé cela, d’autant que les conséquences d’une telle décision seraient imprévisibles et en tout cas catastrophiques pour le pays. J’ai longuement réfléchi et j’ai dit : puisque nous sommes invités à participer à ce gouvernement, il faut accepter afin de rééquilibrer, un tant soit peu, la représentativité populaire au sein de l’exécutif et faire des nouvelles propositions pour sortir le pays de l’impasse politique, mais aussi économique.
Jusqu’où allez-vous « accepter » ?
Participer à un gouvernement ne signifie pas être d’accord avec tout ce que fait le chef de l’État. Nous avons eu sept portefeuilles, dont un ministère d’État. Le plus important n’est d’ailleurs pas le nombre de ministres, mais les conditions dans lesquelles ils peuvent travailler. Nous en avons beaucoup débattu : nous avons signé un accord portant création d’un comité de pilotage, dirigé par moi-même, qui gère la présence des ministres UFC dans le gouvernement. C’est une commission de quatre personnes. S’il y a un problème, la majorité présidentielle ou nous-mêmes pouvons saisir cette commission. Si l’on n’arrive pas à se mettre d’accord, toute l’équipe UFC part.
Quelles garanties d’autonomie avez-vous ?
En effet, nous nous sommes posés la question, le problème étant que le président Gnassingbé contrôle toutes les institutions du pays : Parlement, exécutif, Cour constitutionnelle, Cour suprême, les médias, l’armée, la police… La Constitution est de type présidentiel, comme aux États-Unis. Faure Gnassingbé peut nommer et limoger les ministres comme bon lui semble. L’accord entre nous stipule cependant qu’il ne peut pas renvoyer nos hommes à sa guise. Sinon, tout le groupe quitte le gouvernement.
Tout s’est fait très vite…
Oui, pourquoi pas ? Il y a eu passation de pouvoir le dimanche 29 mai et le 30, le ministre des Affaires étrangères était dans l’avion pour Nice, pour assister au sommet Afrique-France. Il a toute liberté de venir en France, de voir son homologue Bernard Kouchner ou le président Sarkozy… Tous nos ministres sont autonomes, avec leur propre budget.
Est-ce le président Gnassingbé qui vous a sollicité pour cette ouverture ?
Oui. Par le biais du premier ministre. Je lui ai délégué quelques-uns de mes collaborateurs, dont Isaac Tchiakpé. Ils sont revenus porteurs d’un message : Houngbo voulait qu’on lui transmette une offre. Nous avons travaillé toute la nuit pour établir une base de coopération. Je riais en la lisant, car on demandait à être présents partout : dans les entreprises d’État, dans les banques, pour la gestion du port franc de Lomé, de l’aéroport…
Qu’avez-vous obtenu ?
Ils ont dit qu’on n’était pas sérieux. Personne ne peut obtenir ce genre de choses, au Togo moins qu’ailleurs. Mais c’était à eux de nous dire ce qu’ils jugeaient acceptable. Vingt quatre heures plus tard, ils nous envoyaient leur proposition : sept ministères, autonomes, avec des budgets propres, la liberté de choisir leurs directeurs de cabinet, etc. Ils voulaient maintenant les noms et les CV de nos ministres car certaines personnes sont considérées par eux comme « difficiles ». Faure a rejeté deux personnes, dont Djovi Gally, car il défend son demi-frère Kpatcha Gnassingbé.
Avez-vous vraiment été suspendu de l’UFC par Jean-Pierre Fabre ?
C’est une blague ! Comment un secrétaire général pourrait-il suspendre le président ? Les réunions du bureau politique ne peuvent se faire que sur convocation du président et les décisions ne sont valides qu’après sa signature. Lors de notre dernier congrès, les structures du parti ont été révisées pour mettre en place un nouveau bureau national mais les statuts n’ont pas été modifiés. De facto, ces changements sont devenus illégaux.
Selon l’ancien statut, il y a seize membres du bureau national et pas de clause de suspension.
Il n’y aura donc pas partition de l’UFC…
Chacun est libre de quitter un parti politique. Personnellement, je ne connais pas ce fameux Front républicain pour l’alternance et le changement au Togo (Frac). Quand j’étais malade, aux États-Unis, certains responsables de l’UFC sont entrés dans cette association mais ils ne m’ont pas consulté. La représentativité des partenaires de Fabre dans le Frac est très faible. C’est une enveloppe vide. J’ai demandé quels avantages et quelles contraintes nous aurions à nous associer avec eux. Pour le moment je n’ai pas de réponse.
Jean-Pierre Fabre semble quand même désapprouver totalement cette participation…
En fait, il y avait déjà des discussions entre lui et Pascal Bodjona, (porte-parole du gouvernement de Faure Gnassingbé). Donc son problème n’est pas d’avoir ou non des discussions avec le RPT, c’est qu’il les conduise lui-même, et non moi. S’il veut partir, il est libre.
Propos recueillis par Augusta Conchiglia et Valérie Thorin – Afrique Asie