Merci mon tortionnaire. Mais…

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Un matin j’ai été conduit comme un vulgaire brigand dans l’un des goulags modernes de mon tortionnaire. J’y suis allé avec la ferme conviction que la maltraitance aurait meilleur règne là-bas que partout ailleurs.

Le long du chemin, j’avais les mains enchaînées, les pieds alourdis par des boulets, le verbe anesthésié par la gentillesse de mon tortionnaire. Je devais le regarder sans broncher, sans énerver ses bonnes intentions, sans nier sa bonne réputation de tortionnaire au cœur plein d’amour. Il souriait de haine, il transpirait la méchanceté. Mon tortionnaire était heureux d’avoir enfin eu raison de moi certes, mais pas de mon engagement. Il m’a longtemps cherché. Pendant plus d’une décennie.

Après de longs moments passés dans ses fers chauds, il m’ouvre, ce jour, une petite fenêtre de sa dictature pour voir dehors et respirer l’air de la liberté, provisoire. Merci mon tortionnaire. Mais me diras-tu un jour les raisons qui t’ont poussé à perdre ton humanité et à me détenir arbitrairement pendant des années? Saurais-je un jour pourquoi des personnes gorgées de haine m’ont dénié mon statut d’homme libre ?

Pendant que, dans les ténèbres des goulags, je fuyais les dards intrépides des scorpions, le venin des serpents, les immondices, les maladies, l’amaigrissement, la furia des gardiens sanguinaires, dehors, cher tortionnaire, d’autres gardiens de la liberté s’enrichissaient de mes biens. Ils végétaient dans chaque pièce de mon toit, à la recherche du dernier clou qui bonifierait, sans aucun doute, leurs prouesses de gentils voleurs.

Pendant que je fuyais la mort, ma famille fuyait les calibres 12 des « gardiens de la liberté ». Elle tremblait d’effroi face aux multiples gris-gris, aux mains rugueuses d’hommes rustres, brutaux. Mais mon tortionnaire les regardait, les bénissait d’avoir pillé mon toit, dispersé ma famille. Pour rendre le crime parfait, il gela mes avoirs. Aujourd’hui que craque, contre son gré, un petit maillon de son autocratie, il me faut regagner mon toit. Merci mon tortionnaire. Mais dis-moi, à quand la libération de mon toit ? Quant est-ce que me reviendront mes biens copieusement volés par tes hommes ?  Mais, dis-moi, à quand la libération de mes avoirs dont on dit qu’ils ont été gelés ?

Dehors, mes souvenirs me secouent. Ils m’apprennent que dans la souffrance des fers chauds, je n’étais pas seul. Devant moi, défile l’interminable liste des prisonniers politiques de mon tortionnaire. Ils sont partout. Dans la prison à ciel ouvert qu’est le nord. Dans les camps de torture enfouis dans le secret du tortionnaire. Dans ces camps, gisent encore d’éminents dirigeants politiques, de vaillants militaires, des anonymes qu’il aime parce que ces derniers ne partagent pas ses méthodes rauques, sa politique gauche. Des « monsieur tout le monde » arrêtés, enlevés un matin comme ça. Pour rien. Et conduits à mes côtés. Depuis les serres de mon tortionnaire, j’ai appris qu’il avait eu le mérite d’embastiller plus de 700 personnes. Plus de 700 maltraités. Plus de 700 encore soumis aux traitements inhumains et dégradants. Plus de 700 dont les droits sont quotidiennement violés. Dans un Etat dit de droit ! Merci mon tortionnaire. Mais, je ne suis pas 13. Je ne suis pas 12. Je ne suis pas non plus 8. Je suis plus de 700 car chaque détenu est un autre moi qui crie sans cesse: « liberté! ».

Je sors, marqué au fer. J’ai encore les marques indélébiles de mon tortionnaire sur le cœur. J’ai sur le corps, la marque de la haine d’un tortionnaire tellement avide de démocratie qu’il sanctionne l’expression plurielle. Mon bien-aimé tortionnaire veut faire de moi une carpe. Un singe qui ne voit rien, n’entend rien et par conséquent ne dit rien. Je sors, sans savoir au juste qui m’a libéré, provisoirement. Tout le monde salue la « magnanimité » de mon tortionnaire. Tout le monde fait de lui le bon samaritain. Même lorsque la justice tente de faire croire qu’elle est à l’initiative de cette libération, des lambris dorés lui intiment l’ordre de se taire.

On doit rendre gloire et honneur au tortionnaire. Gloire et honneur à celui qui, par son acte de générosité, démontre sa stature d’homme d’Etat. N’est-ce pas lui qui a signé l’édit d’embastillement ? Merci donc mon tortionnaire. Mais je t’exhorte à mettre fin à ce rapport incestueux entre toi et la justice. Merci mon tortionnaire. Mais je ne me tairai pas. Je ne dormirai pas. Je prendrai ma serviette pour parcourir villas et hameaux afin que prennent fin le règne de la dictature et que vienne le règne de la démocratie vraie. Merci mon tortionnaire.

A tantôt

Alain Bouikalo

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