« L’intelligence de la plus grande partie des hommes est nécessairement façonnée par leurs emplois ordinaires », disait Adam Smith, le père de l’économie politique. Et les pays industrialisés qui se sont engouffrés dans le libéralisme ont multiplié à l’envie les emplois ordinaires répétitifs pour limiter le développement de l’intelligence des ouvriers et des fonctionnaires. Méfions-nous du libéralisme économique, nulle part en ce monde il n’a mis le développement humain au centre de ses préoccupations !
Le linguiste américain Noam Chomsky, dans un essai intitulé « Qu’est-ce que le bien commun », cite cette phrase d’Adam Smith sur le rapport intime qui lie l’intelligence aux gestes ordinaires, pour en déduire que « L’homme qui passe toute sa vie à accomplir un petit nombre d’opérations simples, dont les effets sont peut-être toujours les mêmes ou presque, n’a point d’occasion d’employer son intelligence […] et devient généralement aussi bête et ignorant qu’une créature humaine peut le devenir. » Néanmoins il parle, bavarde, jacasse, pérore, salue et fait des courbettes.
La médiocratie a besoin d’ignorants
Et plus il est bête et ignorant, plus « l’homme » sera obéissant, davantage il sera soumis à ses conditions d’esclavage (travail / salaire sans autre horizon) ont longtemps cru les « puissants », mais cette donnée-là est erronée, ce système de pensée est obsolète, et les politiques ultra-libérales fondées sur le manque d’intelligence de la majorité « silencieuse », tout juste bonne à emplir les urnes le moment venu, doivent faire face à des résistances inattendues, car outre les récalcitrants, les mécontents aux yeux dessillés et les altermondialistes (car il y en a au Faso, nombreux sont ceux qui veulent d’un autre monde !), d’autres systèmes basés sur la soumission sont entrés dans la ronde et veulent faire tourner le manège à leur avantage, ainsi les régimes libéraux vont-ils dans le mur s’ils persistent dans leur mécompréhension des « nouvelles donnes », individuelles et collectives.
Les ignorants veulent-ils d’une médiocratie, ou d’un humanisme ?
Noam Chomsky poursuit ainsi : « Mais dans toute société améliorée et policée, c’est là l’état dans lequel tomberont nécessairement les pauvres, les laborieux, c’est-à-dire la grande masse du peuple, à moins que le gouvernement ne s’efforce de le prévenir. »
Il enchaîne :« L’attachement au bien commun devrait nous inciter à trouver les moyens de venir à bout des conséquences funestes de politiques désastreuses qui touchent tant le système d’éducation que les conditions de travail, afin d’offrir à l’être humain des occasions d’employer son intelligence et de se développer dans sa diversité. »
Développer les capacités et potentiels des individus, par l’école, l’éducation et la diversification des activités et l’apprentissage de métiers pour qu’adultes, ils soient en mesure de subvenir à leurs propres besoins et à ceux de leur famille dans la mesure du possible, mais aussi qu’ils aient le désir de s’instruire, et de se cultiver, et de lire, d’écrire, de participer à l’élaboration de journaux de quartier, de développer des activités associatives, mais aussi autant que possible de défendre la personne humaine dans ses droits, et de la reconnaître dans ses droits parce qu’ils supposeraient qu’elle peut évoluer moralement, c’est cela l’humanisme. Mettre l’humain au centre de tout, c’est encore cela l’humanisme. Alors, « quelles formes d’organisation sociale sont-elles propices à la reconnaissance des droits, au bien-être et à la satisfaction des aspirations légitimes des gens ? »
Il suffit d’observer le village planétaire pour comprendre que le libéralisme économique, le capitalisme, l’impérialisme, tout comme le colonialisme et le néocolonialisme, mais aussi les monarchies, sont des systèmes d’organisation sociale d’exploitation, où une minorité exploite la majorité, non au profit des exploités, mais des exploiteurs. Ainsi, et pour retrouver une dernière fois Noam Chomsky, « Les institutions qui entravent le développement humain sont illégitimes si elles se montrent incapables de justifier de leur existence d’une manière ou d’une autre. »
La médiocre-social-démocratie
Chez nous, depuis la rectification qui a suivi la révolution de 1983, le CDP a prétendu durant un quart de siècle, et maintenant le MPP prétend, faire de la « social-démocratie », mais c’était et c’est toujours un mensonge grossier, un masque prétendument humaniste néanmoins trompeur qui cache une politique qui a été, est et sera toujours libérale, pour ne pas dire ultralibérale, malgré le saupoudrage (maquillage) social entrepris ces derniers temps pour satisfaire aux promesses électorales.
Qu’il soit clair que tant que nous serons gouvernés par des financiers et des comptables, nous ne « méritons » pas autre chose qu’une médiocratie ! Pendant ce temps la Coris Bank va être cotée en bourse, de nouvelles banques vont voir le jour, et les financiers vont se frotter les mains. Soyons assurés que sur ce point, le Burkina Faso va connaître un essor sans précédent, mais la grande majorité des Burkinabè ne récupérera que des miettes de cette réussite-là !
Déroute du système scolaire et éducatif
La déroute du système scolaire, garante de la réussite d’un système de non-développement, nous en avons parlé récemment dans un article intitulé « Réformes du système éducatif », et il y a peu, sinon rien, à attendre du pouvoir actuel pour y remédier. Le problème du développement du potentiel humain et de son intelligence, c’est dans l’environnement familial et à l’école qu’il doit se résoudre, mais cela suppose une volonté politique et un virage radical, une véritable et indispensable révolution qui n’arrivera pas d’ici 2020 du fait du pouvoir en place.
Et comment une révolution serait-elle possible dans un pays où l’intelligence de la grande majorité des citoyens de demain est brimée, et où les intellectuels sont, pour la plupart, dans une logique contre-révolutionnaire ? Il suffit de voir comment la révolution d’octobre a été réduite par eux, nos grands intellectuels, à une simple insurrection. Christophe Dabiré, dans sa Chronique « Où sont passés les insurgés (4) » se demande d’ailleurs « si une certaine élite intellectuelle burkinabè, pour ne pas dire toute l’élite burkinabè, même insurgée, n’est pas réfractaire au changement et si, donc, elle ne s’active pas plutôt pour que tout reste comme avant ».
Les corrompus de naissance
Il y a aussi dans ce pays, depuis qu’une fracture sociale (peut-être fort malheureusement irréductible) s’est opérée (peu à peu, au fil des années Compaoré qui ont affecté une génération entière), des enfants qui sont nés et continuent de naître dans un environnement familial définitivement corrompu, moralement délétère bien que réfugié derrière le masque d’une morale de bienséance, bien souvent religieuse, celle des bien assis qu’ils sont devenus. Ces enfants sont venus et viennent au monde, deviennent adultes sans avoir une seule fois dans leur vie l’occasion de prendre conscience que la pauvreté et la misère intellectuelle existe autour d’eux, non seulement parce qu’on les en a tenus éloignés, mais parce que leur esprit, gâté par une aisance matérielle (je pense à des familles d’enseignants du secondaire, où on roule en Mercédès, ou chaque enfant à une moto et, à peine obtenu le BEPC déjà un premier ordinateur personnel), y est définitivement fermé. Ces enfants-là sont pourris, corrompus par une culture de classe moyenne et petite bourgeoise qui n’enfantera jamais aucune révolution, ni personnelle, ni collective, et avant cela prédispose à un incivisme congénital qui avance masqué.
Qui veut la révolution ?
« Le bas peuple, lui, ne veut que la révolution, c’est-à-dire un changement radical des conditions et des pratiques », dit Christophe Dabiré dans le quatrième zoom de sa Chronique des insurgés.
Le « bas peuple », autrement dit la base de la pyramide dans un système de pensée vertical, pyramidal, un système de pensée qui ne peut jamais « déboucher » sur une révolution, car ce n’est jamais le sommet de la pyramide (le pouvoir actuel) qui déclenchera une révolution.
Une révolution remet tout à plat, elle détruit les pyramides et les divinités (l’argent, le pouvoir) qu’elles abritent, pour accoucher d’un système autant que possible égalitaire !
La solution préconisée par notre philosophe est de « tirer matériellement et intellectuellement le peuple d’en bas vers le haut et le mieux ». Et nous disons Oui ! Oui ! Et oui ! Mais non… car pour cela il faudrait une très ferme (et simple) volonté politique, mais aussi supposer que l’édifice en place n’est pas une pyramide (or il l’est !), car si cette volonté politique venait d’en haut, il est « physiquement » impossible de « réduire » une pyramide en la compressant, d’en tirer la base vers le sommet, alors cette volonté politique ne peut venir que de la base de la pyramide qui la secoue, l’ébranle, la met à terre et reconstruit, non pas une pyramide sinon tout redevient comme avant, mais des plateaux superposés qui deviennent, au fur et à mesure de l’élaboration de chaque nouveau plateau, le lieu d’existence de tous, sans laisser qui que ce soit sur les plateaux ou étages « inférieurs ».
Coulibaly Junwel
(coulibalyjunwel@gmail.com)
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