Marcel Ceccaldi explose : « La Libye, c’est le casse du siècle ! »

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Voici une nouvelle fois un entretien sans langue de bois. Marcel Ceccaldi a été l’avocat français de l’État libyen jusqu’à la chute du régime. Avocat de la Jamarihiya arabe libyenne, de la famille Kadhafi et de plusieurs anciens ministres libyens, Marcel Ceccaldi revient sur les affaires libyennes qui défraient la chronique et il nous explique pourquoi la chute de Tripoli a des conséquences sur la géopolitique française et mondiale.

Marcel Ceccaldi est aussi l’avocat de chefs d’État africains. C’est un grand connaisseur des politiques officielles et secrètes en Afrique et dans le monde arabe. Il dénonce le rôle secret du Qatar dans les révolutions arabes et les conséquences que pourrait avoir demain la chute de Damas sur la paix en Occident…

Cet entretien avec Marcel Ceccaldi permet de comprendre à quel point le public est manipulé et il met aussi en lumière l’irresponsabilité des hommes politiques qui s’expriment sans complexes sur des sujets qu’ils ne maîtrisent absolument pas… Marcel Ceccaldi était l’invité de Yannick Urrien mercredi 26 juin 2013 sur Kernews 91,5 FM.

Kernews : Les Français commencent à s’intéresser à l’affaire libyenne. Il y a deux ans, on nous avait expliqué qu’il s’agissait d’une intervention contre un méchant dictateur arabe et que tout allait bien se passer. Un an plus tard, on s’est aperçu que les Libyens n’avaient jamais été aussi malheureux. On se rend à présent compte que le développement du terrorisme islamique en Afrique est la conséquence de cette guerre… Avez-vous le sentiment que les esprits commencent à s’ouvrir sur ce sujet ?

Marcel Ceccaldi : Les choses commencent à évoluer, mais lentement car, au moment de l’intervention armée de l’OTAN en Libye, il y a eu une véritable méga propagande qui s’est abattue sur l’opinion publique internationale, particulièrement française, à qui l’on a expliqué, de manière très simple, que c’était la lutte du bien – c’est-à-dire les insurgés – contre le mal – à savoir les institutions de la Jamahiriya arabe libyenne. On s’aperçoit maintenant que les causes et les conséquences de cette intervention armée restent à écrire. Les causes, on commence à les écrire ; les conséquences, on commence à les toucher du doigt : l’intervention française au Mali, la Libye qui est devenue la terre d’accueil des groupes islamistes qui trouvent sur le territoire libyen la possibilité de reconstituer leurs forces, et, derrière le financement de ces organisations, on retrouve le Qatar où notre président de la République vient de se rendre.

Finalement, on peut remercier Bernard-Henri Lévy qui a été l’initiateur de cette attaque !

Je dirais merci à la pensée unique… Je rappelle qu’au moment de l’intervention armée de l’OTAN, la posture de la France, celle adoptée par Nicolas Sarkozy, dont les motifs restent à éclaircir, a été appuyée par le Parti socialiste. On se trouve dans une situation assez curieuse. L’ambassadeur de France actuel auprès du Conseil de sécurité – il n’a pas changé – est aujourd’hui sur la même ligne que celle du précédent gouvernement. On essaie de nous présenter la Libye comme étant un État qui s’est libéré du joug dictatorial alors que, dans le même temps, si vous regardez sur le site du ministère des Affaires étrangères la rubrique «Conseils aux voyageurs », vous verrez que la Libye est classée en zone rouge, tandis qu’elle ne l’était pas auparavant.

On peut faire un parallèle avec ce qui s’est passé en Irak…

Bien entendu. Alors, pour aller au cœur des affaires libyennes, parce que c’est à partir de là que la vérité commence à intervenir sur le plan de l’opinion publique, il s’agit des questions financières entre la Libye et la période Sarkozy. Le meilleur moyen de lever tous les doutes sur la question, parce qu’il y va de l’honneur des hommes qui sont mis en cause – je pense à tout ce qui a été dit sur Claude Guéant et sur le financement de la campagne de Nicolas Sarkozy, mais il en va surtout de l’image que la France donne d’elle-même à l’extérieur – le meilleur moyen, c’est d’entendre les gens les plus aptes à s’expliquer sur la question. Or, ces gens font tous l’objet d’une notice rouge délivrée par Interpol qui, à l’époque, était dirigé par un Texan et ces gens ne peuvent pas venir s’expliquer en France. S’ils venaient en France, en vertu de la notice rouge délivrée par Interpol, à la demande de la Libye actuelle, ils seraient immédiatement arrêtés.

Or, si l’on veut faire la lumière sur l’ensemble de ces affaires, comme un État souverain n’est jamais tenu d’exécuter les ordres d’arrestation provisoire délivrés par Interpol, il suffirait que la France refuse d’exécuter ces ordres. Il y aurait bien des motifs pour le faire… Par exemple, en Libye, les détentions arbitraires sont monnaie courante, les violations des droits des personnes sont monnaie courante. Il suffit de se référer à tous les rapports des organismes internationaux à la compétence reconnue comme Amnesty International, Human Rights ou la Ligue internationale des droits de l’homme… Si la France accepte d’exécuter les ordres d’arrestation provisoire délivrés par Interpol, cela signifie tout simplement que les autorités actuelles refusent que toute la vérité éclate sur les relations financières qui ont pu exister entre la France et la Libye…

La France n’est-elle pas obligée de se soumettre aux demandes d’Interpol ?

Non, tous les dirigeants libyens actuels ont une double nationalité avec les États-Unis, la Grande-Bretagne ou le Qatar… Les États-Unis, la Grande-Bretagne ou le Qatar, à l’époque, n’ont jamais accepté d’exécuter les ordres d’arrestation provisoire diffusés par Interpol à la demande de la Jamahiriya arabe libyenne. Tout cela pour une raison très simple : Interpol, c’est un statut large, mais ce n’est pas un traité. Ce n’est pas la France qui a adhéré à Interpol, c’est une autorité gouvernementale qui a demandé qu’un service de police soit intégré à Interpol. C’est une pratique policière, les notices rouges d’Interpol ne sont qu’une pratique policière, et elles n’ont pas de valeur juridique en droit en tant que telles. Cette pratique policière n’engage pas la France en tant qu’État souverain. D’ailleurs, ces gens-là se trouvent pour la plupart actuellement sur des territoires d’États membres d’Interpol et ces États ont refusé d’exécuter les ordres d’arrestation provisoire.

Donc, la France peut très bien le faire. Je peux même dire que si la France acceptait d’exécuter un ordre d’arrestation provisoire délivré par Interpol à la demande de la Libye actuelle, elle violerait ses engagements internationaux. En effet, elle a signé la convention contre la torture et les traitements inhumains – c’est ce qui se déroule tous les jours en Libye – elle a signé la Déclaration universelle des droits de l’homme, elle a signé le Pacte universel des droits de l’homme et elle a signé toutes les grandes résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies concernant les droits garantis de la personne humaine.

Il y a cette affaire du financement, mais il y a aussi celle du mandat de l’ONU pour intervenir en Libye, ou plutôt pour tuer le colonel Kadhafi et renverser son régime… Qu’en est-il sur le plan du droit international ?

Il n’y a jamais eu de mandat du Conseil de sécurité de l’ONU autorisant les États membres de la coalition armée de l’OTAN à intervenir comme ils l’ont fait en Libye. C’est une évidence. Il y a eu une zone d’exclusion aérienne. Les États membres de l’OTAN n’avaient pas pour mandat de bombarder comme ils l’ont fait et de prendre parti dans un conflit interne comme ils l’ont fait. Le résultat pratique c’est que, désormais, des milices islamistes sont aux commandes de la Libye. C’est un peu paradoxal car, selon certaines sources, les otages français, après l’offensive française au Mali, auraient été transférés et détenus en Libye. Et on continue à avoir de tels rapports avec un pays sur le territoire duquel des otages français ont été pris par des groupes armés islamistes !

Y a-t-il une action juridique en cours sur cette intervention hors mandat de l’ONU ?

Non, puisque la Jamahiriya arabe libyenne a disparu. À l’époque, nous allions saisir la Cour de justice de l’Union africaine concernant l’illégalité de l’intervention armée de l’OTAN, mais la chute de Tripoli ne nous a pas permis de mener à bien cette action jusqu’à son terme.

Cela signifie donc que la Jamahiriya arabe libyenne n’est plus une entité reconnue…

La Jamahiriya arabe libyenne, en tant qu’institution, n’existe plus. Vous avez une opposition libyenne. Tout le monde parle des 2 millions de réfugiés syriens, la Syrie c’est plus de 20 millions d’habitants… Depuis la chute de Tripoli, vous avez 1,6 million de Libyens qui se sont réfugiés à l’étranger, sur une population totale de 6,4 millions d’habitants. Vous avez donc plus du quart de la population libyenne qui a fui la Libye depuis la chute de Tripoli. Ce chiffre suffit pour démontrer aux autorités les conséquences dramatiques de l’intervention armée de l’OTAN.

Le président tchadien a tout résumé dans un entretien au Figaro du 8 juin : il a expliqué que dès lors que la guerre a été déclarée en Libye, l’ensemble des chefs d’État africains connaissaient par avance les conséquences de cette intervention sur l’Afrique de l’Ouest et sur la Libye elle-même. Il était tout-à-fait clair que, agissant comme ils l’ont fait, les États membres de l’OTAN n’ont fait que précipiter dans le désordre l’Afrique de l’Ouest en créant un pôle de fixation des groupes islamistes dans lequel on retrouve le Qatar comme financeur. Tout le monde sait que le Croissant Rouge islamique du Qatar était installé dans le nord du Mali et, à côté de ses actions humanitaires, il finançait les groupes islamistes qui s’étaient emparés du nord du Mali.

On parle beaucoup du retour de Nicolas Sarkozy dans quatre ans. Cette affaire peut-elle l’empêcher d’être à nouveau candidat ?

Les impostures ont la vie dure. Il suffit que la vérité éclate et je pense que l’on ne parlera plus de ce retour. Soyons clair, quand je parle d’imposture, l’intervention française au Mali, quelle en était la cause ? C’étaient les conséquences de l’intervention française en Libye. Qui est comptable, désormais, des soldats français qui sont tombés au Mali et de ceux qui risquent de tomber dans les semaines ou dans les mois à venir ? Qui est comptable des victimes des attentats commis pratiquement quotidiennement au Mali ou au Niger, si ce n’est celui qui a pris l’initiative d’engager la France dans une entreprise qui n’était pas conforme à l’intérêt général de la France…

La bien-pensance et le politiquement correct sont aussi comptables de tout cela…

C’est exceptionnel ! La chute de Tripoli, c’était début septembre 2011. Nous sommes en 2013, il a fallu attendre deux ans pour que, petit à petit, la vérité commence à émerger.

Sommes-nous en train de recommencer la même erreur avec la Syrie ?

C’est exactement la même chose ! Croyez-vous vraiment que ce que l’on appelait le printemps arabe correspondait à un mouvement spontané ? Pensez-vous qu’il est anodin qu’au même moment éclatent des manifestations en Tunisie et la rébellion de Benghazi qui a toujours été un fief islamiste ? Le chef des MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest) qui a été tué au nord du Mali était en poste comme consul général du Mali en Arabie Saoudite. Il a démissionné de ses fonctions et, ce que personne ne sait, c’est qu’il est ensuite allé à Benghazi où il est resté deux à trois ans, avant de rejoindre le Pakistan, et ensuite il a été prendre les armes au nord du Mali. Donc, vous avez une entreprise qui a été menée de longue date. Dans le même temps, vous aviez le Sud tunisien, la Libye et la Syrie…

Quand on nous parle de la livraison des armes aux rebelles syriens, cela va avoir comme conséquence de livrer des armes aux groupes jihadistes qui recrutent, pas simplement en Syrie, mais à l’échelle du Moyen-Orient, du continent africain, et surtout à l’échelle du continent européen… Donc, nous sommes directement concernés. Tant que l’on acceptera de laisser un pays faiseur de guerre comme le Qatar, nous irons au devant de grandes difficultés. On nous parle aujourd’hui en France des recherches d’économies de la part de l’État et de l’abandon des niches fiscales, mais les mauvaises habitudes ont la vie dure… Trois semaines après son élection, Nicolas Sarkozy a reçu l’émir du Qatar. Trois semaines après son élection, François Hollande a reçu le Premier ministre du Qatar… Mais la convention fiscale privilégiée entre la France et le Qatar a-t-elle été abrogée par le gouvernement socialiste ?

Absolument pas…

Absolument pas : ce qui fait que les investissements d’un État faiseur de guerre en France bénéficient d’une fiscalité privilégiée ! Les intérêts cruciaux de la France sont en danger dès lors qu’elle collabore avec un pays comme le Qatar. Le Qatar, ce n’est rien, c’est 160 000 nationaux qui tiennent sous leurs bottes 1,5 million d’étrangers qui se trouvent pratiquement en situation d’esclavage. Les passeports sont retirés aux Philippins, aux Thaïlandais ou aux Sri lankais qui travaillent là-bas ! Eh bien, le gouvernement français a accepté que la participation du Qatar dans Total passe de 5 à 15%. Or, personne n’en a parlé !

Ce sont des affaires extrêmement graves, mais les Français commencent à ouvrir les yeux…

Oui, c’est la raison pour laquelle il ne faut pas arrêter de dénoncer cet état de fait. C’est contraire aux intérêts de la France. Chaque fois que l’on porte atteinte aux intérêts de la France, on porte atteinte aux intérêts particuliers des Français, même s’ils ne se confondent pas avec les intérêts de la France. En l’espèce, porter atteinte aux intérêts de la France, c’est porter atteinte aux intérêts des Français, à qui l’on demande aujourd’hui de grands efforts.

Enfin, un mot sur la situation actuelle en Libye : cela semble être un chaos gigantesque…

C’est le chaos. On ne connaît pas le nombre de personnes qui sont détenues arbitrairement… On ne connaît pas le nombre de personnes disparues… Vous avez des villes entières qui ont été vidées de leur population… Les Libyens de race noire font l’objet de persécutions au motif qu’ils auraient été des mercenaires de Kadhafi, alors que 35% de la population libyenne est de race noire. Le chef d’état-major de l’armée libyenne, qui a été tué avec Kadhafi, était de race noire… Les migrants africains font l’objet de spoliations et de violences absolument inadmissibles et vous avez des autorités dont l’autorité s’arrête au perron de l’immeuble où ils sont retranchés.

De nombreux témoignages font également état de tortures à l’égard des migrants subsahariens qui arrivent en Libye…

Je vous renvoie au rapport de la Fédération internationale des Droits de l’homme et tout cela se déroule dans l’indifférence générale. Tout cela parce que les médias ne transportent pas ces éléments d’information. On nous parle de la démocratie, mais le Qatar est un pays où un poète qui a osé critiquer l’Émir, a été condamné à la prison à perpétuité.

On parle d’un pays, la Libye, où, il y a deux ans, personne ne mourait de faim…

Non seulement personne ne mourait de faim, mais il y avait aussi un régime de protection sociale qui n’avait pas son équivalent en Afrique. L’éducation était gratuite, tous les soins de santé étaient gratuits, les Libyens qui ne travaillaient pas avaient droit à une donation gouvernementale, les jeunes mariés avaient droit à un appartement, etc. Maintenant, c’est le chaos le plus total, parce que cette intervention permet aux groupes pétroliers de réaliser des bénéfices qu’ils ne pouvaient pas réaliser du temps de Kadhafi.

Désormais, Total peut pomper tout ce qu’il veut en Libye sans que le gouvernement français le sache, d’ailleurs… Il pourrait très bien dire au gouvernement français qu’il extrait chaque jour 100 tonnes de brut, alors qu’il va en extraire 1000, et les 900 tonnes de différence peuvent passer sous le couvert de sociétés installées aux Îles Vierges. La Libye, c’est le casse du siècle ! Voici quelques chiffres…

Montant de la dette américaine à l’égard de la Libye pour des livraisons de pétroles effectuées et non payées : 45 milliards de dollars.

Montant des avoirs bloqués sur des comptes bancaires aux États-Unis : 36 milliards de dollars.

Montant des investissements libyens gelés aux États-Unis : 133 milliards de dollars.

Vous avez également des sommes de la Libye qui se trouvaient à la Banque de France, à Londres, à Genève, à Bruxelles et à Vienne, dans les comptes des banques centrales, tout a été gelé… Vous aviez plus de 88 tonnes d’or libyen dans les banques des pays membres de l’Union européenne… C’est bien le casse du siècle, non ?

Yannick Urien pour kernews

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