Mali. Une nouvelle facette du néocolonialisme ?

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La peur n’a jamais été bonne conseillère. Pas plus que la précipitation. Pas plus que l’envie de balayer ses anciennes failles en en perpétrant d’autres du même type. Oui, le titre l’indique bel et bien. J’entends par là notre ingérence au Mali.

Ce qui semble étrange, c’est l’incapacité ou, que sais-je, le refus de tirer des leçons d’un passé pourtant proche. On nous avait matraqués, il y a quelques années de là, en déclinant les éventuelles menaces que pouvaient représenter l’expansion de l’extrémisme taliban. La France avait alors forcé la souveraineté de Kaboul. Comme il fallait un prétexte plus concret, c’est la condition opprimée des femmes afghanes qui avait été sortie du panier. Je vous laisse tout loisir de juger si cette condition s’est depuis améliorée, s’il reste encore des mots pour décrire le degré de pauvreté et d’obscurantisme ambiant dans lesquels croupit tout un peuple auquel on voulait tant inculquer les spectres d’une démocratie nominale.

C’est sans compter le trafic de drogues – apport sérieux à une économie presque inexistante. Mais qu’invoquait-on à l’époque ? Sans le moindre scrupule, avec cet aplomb si éhonté de nos grands politiques ? « On va chasser le terrorisme ». Le résultat ne s’est pas fait attendre puisque ces réseaux Al-Qaïda si astucieusement formés sous les auspices d’un Oussama étasunien se sont à leur tour implantés au Pakistan d’où ils menacent un voisin indien profondément déstabilisé. Le temps de la souveraineté afghane est venu, a déclaré M. Hollande fin mai 2012. Serait-ce une blague ? Un extrait modernisé de Ionesco ? Un accès de je-m’en-foutisme colonialiste ? On se perd en conjectures.

La même réaction en chaîne se retrouve suite à l’intervention effectuée en Lybie. Chaos au Mali accentué par un dérapage très net sur les territoires limitrophes, à savoir l’Algérie. Et la partie ne fait que commencer dans la mesure où le processus engage le Niger, ligne de recul des islamistes indépendantistes. Burkina Faso et la Côte d’Ivoire se retrouvent automatiquement sous le coup, ce qui est particulièrement grave puisqu’elle est pour la France ce que la corne d’abondance était à Ploutos. Bon, heureusement que la Côte est présidée par M. Ouattara, loyal aux intérêts de l’Elysée pour la simple et banale raison qu’il avait été mis au pouvoir l’an dernier par notre armée.

Ce facteur, s’il semble rassurant, dissimule malgré tout une facette cruciale à la compréhension du conflit en cours. En léguant le pouvoir à des « gens de confiance », donc, en contrôlant tel ou centre d’intérêt sur un continent étranger aux valeurs occidentales et ravi de s’être émancipé du joug colonial, la France (ou n’importe quel autre Etat usant du même principe) passe outre à la division interne qu’elle provoque. Elle commence à faire des avances incompréhensibles à des groupes ou des peuples que personne en réalité n’opprime, à les armer, puis à les confronter, indirectement ou non, au pouvoir actuel. C’est ce qui est indirectement arrivé au Mali.

Il suffit de jeter un coup d’œil critique sur les prémisses du conflit.

– Prenant en étrange pitié ce peuple nomade que sont les Touaregs soi-disant persécutés par le Mali et le Niger, la France commence à les armer. Curieux, sachant qu’elle avait pleine conscience de les armer contre ce même Mali qui ne s’est que très passablement affranchi de sa tutelle. S’y ajoute la liquidation de Kadhafi qui savait comment soutenir les Touaregs sans que cela n’ait de répercussions fâcheuses ni en Lybie, ni sur l’ensemble du territoire nord-africain.

– Stade numéro deux, parfaitement décrit par M. Meyssan dans son dernier article. Un coup d’état de tous les points de vue inexplicable renverse M. Amadou Toumani Touré cinq semaines avant son départ (l’auteur précise bien qu’il n’avait plus l’intention de se représenter). C’est un francophile invétéré qui « gagne » la présidentielle par le truchement d’un « mystérieux Comité pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat ». Cela va de soit, la Côte d’Ivoire applaudit cette candidature inespérée qui s’accorde tant à ses violons.

Ce procédé rebattu mené à terme, on retombe sur nos pattes : démocratie, soutien d’une opposition présentée ici à travers l’image vague d’une tribu persécutée, malheureuse comme le juif errant, manipulation du pouvoir, confrontation finale de ce dernier à une opposition d’ores et déjà combattue. Seule différence : en Syrie, c’est M. Assad qui continue à être diabolisé, mais le principe n’en change pas pour autant.

Doit-on en conclure, dès lors, que le stratagème s’est retourné contre la France ? Que celle-ci avait sous-estimé les forces Touaregs consolidées par d’importants renforts islamistes maliens ?

Ce qui aujourd’hui est certain, c’est que le vieil impératif divise et règne commence à jouer de très-très mauvais tours à des puissances qui jusque là avaient l’habitude pernicieuse de l’exploiter. Pourquoi armer des Touaregs sachant pertinemment qu’il faudrait par la suite payer les pots cassés ? La même question serait à poser par rapport à Damas. La même question aurait été à poser dans le cas de la Lybie. Dans le cas de l’Irak. Les inepties stratégiques perpétrées par l’Occident lui pendent au nez et pourtant …

M. Meyssan a sa version des faits. Je vous encourage, chers auditeurs, à la consulter. Selon lui, la France (naturellement encouragée par les USA) aurait habilement orchestré le brasier malien pour déstabiliser l’Algérie et la reconquérir en tant que colonie. M. de Gaulle se retournerait sans doute dans son cercueil s’il venait à l’apprendre de là où il est. Un argument clé pourrait confirmer sa thèse. L’Algérie ne voulant pas d’islamistes sur son territoire, elle se sent automatiquement obligée d’épouser la cause française en ouvrant son espace aérien au transit de nos troupes.

La France perd pied entraînant à sa suite l’Algérie. Elle est allée trop loin, car il est faux de dire que cette poche islamiste qui se creuse à l’heure actuelle dans la région du Sahel menace nos frontières. 3642 km ! Telle est la distance qui sépare Bamako de Marseille. Pour comparaison, la distance qui sépare Paris de Moscou est grosso modo estimée à 2484 km.

Je n’avance pas ces données et ces chiffres pour condamner l’intervention actuelle de la France au Mali, dans la mesure où notre pays, on le conçoit tous, ne saurait faire fi de ses engagements relatifs au peuple malien ainsi qu’à sa grande part de responsabilité dans la situation en cours. L’erreur a été commise au stade du coup d’état qui a eu lieu fin mars 2012 … sans compter l’assassinat cynique et barbare de Kadhafi.

L’idée consiste à dénoncer des manipulations abandonnées par les USA et reprises par la France qui semble oublier que le colonialisme aujourd’hui a des revers autrement plus graves que ceux qu’il avait il y a une cinquantaine d’années.

Au lieu de s’enliser au Mali en impliquant à des fins douteuses l’Algérie, la France ferait mieux de pourchasser des réseaux Al-Qaïda bien connus en France. Une organisation telle que le « Loup solitaire » qui s’évertue à enrôler des franco-français ne fait pas exception. On lui a même dédié un documentaire détaillé. Ignore-t-on par exemple qu’il y avait un Français au nombre des preneurs d’otages du site gazier d’In Amenas ? Les Mohammed Merah multipliés aux islamistes syriens de nationalité française qui pourraient regagner notre pays dans le dessein de venger leurs Frères maliens semblent curieusement moins inquiéter M. Hollande que 6000 Touaregs parcourant les déserts…

Françoise Compoint

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