Mali: Le Mali en feu, le Burkina panique

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La situation sécuritaire du Mali inquiète ses voisins, en particulier le Burkina échaudé par les dégâts collatéraux de la crise ivoirienne. Le Faso pouvait-il échapper au statut de médiateur?

Après avoir éternué quand son voisin ivoirien s’enrhumait, le Burkina Faso a de nouveau des picotements dans les narines. Cette fois-ci, c’est la situation d’un autre pays limitrophe qui suscite l’inquiétude. L’offensive éclair, de Kidal à Tombouctou, du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) déploie le spectacle d’un Mali coupé en deux où s’enchevêtrent, dans la confusion, intérêts loyalistes, putschistes, rebelles et islamistes. Et la ville malienne de Gao se trouve à moins de 200 kilomètres de la frontière burkinabè…

Déjà, du côté du “pays des Hommes intègres”, les autorités de la ville nordique de Dori se remettent péniblement d’échauffourées qui nécessitèrent, fin mars, un couvre-feu suite au mécontentement d’un mouvement de jeunes à l’égard d’une compagnie minière canadienne. Déjà, il y a moins de deux ans, les Volontaires du Corps de la paix, les Peace corps américains quittaient le Nord du Faso sur la pointe des pieds, arguant que l’ombre d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) planait sur le pays.

Conséquences économiques et humanitaires

Sur le plan économique, et même si le Mali ne représente pas un corridor aussi déterminant que la Côte d’Ivoire, des effets collatéraux de la crise militaire malienne ne peuvent manquer de se faire sentir au Burkina. Au-delà du risque supportable de pénurie de bazin, aujourd’hui, comme d’attiéké (semoule de manioc), hier, c’est à la complexification de la gestion de la crise alimentaire annoncée que se heurte le Burkina.

L’insécurité croissante au Mali perturbe, en effet, l’approvisionnement en denrées à prix abordables des communautés menacées de famine. Selon l’ONG Oxfam, cette crise affecte 13 millions de personnes au Sahel. Au Mali, c’est quelque 3.575.000 personnes qui vivraient dans des zones à risque. Dans des villes comme Gao, directement concernées par le conflit nord-malien, les prix des céréales seraient déjà 70% plus élevés que la moyenne de ces cinq dernières années.

Pris dans un étau, entre des marchés régionaux qui ne fonctionnent plus normalement et une situation politico-militaire confuse, les populations maliennes n’ont souvent d’autres choix que de quitter leurs villages. Le HCR, le 19 mars dernier, évaluait le nombre total de personnes déplacées à 206.000. Plus de 23.000 auraient passé la frontière du Burkina Faso, exacerbant les problèmes de vivres, d’eau potable ou d’hygiène.

Risque de contagion

«Quand la barbe de ton voisin brûle, arrose d’eau la tienne», indique un proverbe sahélien. Mais quand c’est la case du voisin qui brûle, il devient dérisoire d’enfouir sa tête dans le sable. Les destins du Mali et du Burkina sont historiquement parallèles. Même si les populations des deux pays n’ont pas oublié la «Guerre de Noël» qui les opposa brièvement en décembre 1985, autour de la bande de terre semi-désertique d’Agacher, c’est à une franche coopération qu’elles assistent depuis les années 90, amitié sahélienne sublimée par l’entente cordiale d’Amadou Toumani Touré et de Blaise Compaoré, deux anciens militaires officiellement ou officieusement adeptes de putschs «moralisateurs».

Mais où le parallélisme s’arrêtera-t-il? Le Burkina célèbre le premier anniversaire des mutineries qui secouèrent le régime pendant de longues semaines. Alors, pour que le concept de destins parallèles ne se mue pas en oracle pour le président du Faso, les autorités burkinabè ne peuvent pas se contenter d’arroser d’eau leur menton.

Si l’Ivoirien Ibrahim “I.B.” Coulibaly avait pu tranquillement préparer son hypothétique destin national à Ouagadougou, en 2002, les rebelles maliens présents sur le territoire burkinabè, eux, se sont vu rapidement remis à leur place. Lorsqu’en février, le quotidien burkinabè L’Observateur Paalga donna la parole à un colonel touareg présent au Burkina, le Conseil supérieur de la Communication déplora officiellement la légèreté avec laquelle le journal ouvrait ses «colonnes à des rebelles qui tiennent des propos racistes et appellent à la partition d’un Etat souverain voisin.»

Pendant le bras de fer entre l’organe de régulation et la presse, le ministre des Affaires étrangères et de la coopération Régionale, Djibrill Bassolé, enfonçait le clou en rappelant leur droit de réserve à tous les réfugiés présents sur le territoire national. Pas question que le Faso, longtemps considéré comme un pompier-pyromane dans les crises de la région, ne devienne une base arrière de la rébellion malienne. Pour mieux empêcher toute contagion putschiste, le régime a choisi d’annihiler toute importation politique.

Le Burkina, éternel médiateur

Mais l’implication du Burkina Faso n’a pu se cantonner à la neutralité passive et à la bienveillance humanitaire. La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) n’est-elle pas désormais incarnée par un Burkinabè, le frais émoulu président de la commission Désiré Kadré Ouédraogo, ancien Premier ministre du président du Faso Blaise Compaoré? Blaise Compaoré, lui-même, doyen des chefs d’Etat de la sous-région, n’est-il pas considéré comme un médiateur tout-terrain, depuis ses interventions directes dans les crises togolaise, ivoirienne ou guinéenne et indirectes au Soudan ou en Guinée-Bissau?

Dès les années 90, n’avait-il pas été mis à contribution pour résoudre les problèmes qui opposaient des Touaregs –déjà– au pouvoir nigérien? Nommé officiellement médiateur dans la crise malienne, par la Cédéao, en sommet extraordinaire en Côte d’Ivoire, le président du Faso semble unanimement soutenu par les chancelleries occidentales. Le 30 mars dernier, le chef de la délégation de l’Union européenne au Burkina, l’ambassadeur Alain Holleville, affirmait que l’institution qu’il représente ne pouvait «que s’associer aux efforts actuellement déployés dans la sous-région (…) surtout par le médiateur, de façon à favoriser un retour à l’ordre constitutionnel au Mali».

Le week-end du 1er avril a été un feu d’artifice d’images incarnant cette intervention burkinabè dans la crise malienne. Au Burkina, un Compaoré empêché d’atterrir quelques jours plus tôt à Bamako, recevait une délégation de la junte menée par le colonel Moussa Sinko Coulibaly. Quelques heures plus tard, c’est sous l’œil d’un Djibrill Bassolé omniprésent médiatiquement, que le capitaine Amadou Haya Sanogo annonçait le retour à l’ordre constitutionnel.

Pas de triomphalisme prématuré. Les accords de Ouagadougou, signés en 2007 par les parties ivoiriennes, n’avaient pas empêché la douloureuse crise postélectorale de 2010. De même, le chassé-croisé diplomatique du week-end dernier ne reconduit pas Amadou Toumani Touré au pouvoir, de même qu’il n’établit pas de négociation formelle avec les rebelles du Nord-Mali. Mais Compaoré a attiré l’attention sur les dangers que la crise malienne fait courir à son pays. Une communauté internationale bienveillante, maintenant, ne devrait pas manquer d’eau pour arroser la barbe burkinabè. Pour le reste, il faut apprécier le billard à trois bandes à la fin des parties.

Damien Glez

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