FMI et BM: déstabilisateurs communs des économies africaines

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Dans les années 1970, de nombreux pays africains connaissent un relatif progrès économique grâce à l’embelli crée par le boom des cours mondiaux de matières premières. La Côte d’Ivoire est le pays-modèle de cette époque. La flambée des prix du cacao et du café ivoiriens, s’accompagnant d’importants gains en recettes d’exportations, inaugurent l’ère ce qu’on appela le « miracle ivoirien ». En 1978, l’année de grâce, le pays se réjouit d’un taux de croissance du PIB réel de 10,9% accompagné d’un PIB réel par habitant de 111,7 US Dollar. Il connait une augmentation des termes de l’échange et un solde commercial positif. Grâce à la richesse de la rente cacaoyère et caféière, la Côte d’Ivoire devient un pays à revenu intermédiaire. Elle est accréditée d’un statut de solvabilité confortable et d’une signature financière qualitative.

Or, nous sommes à une époque où les ressources financières « oisives » des pays riches sont en quête de rendements et de profits élevés. Les bailleurs de fonds multilatéraux (Banque mondiale, FMI), bilatéraux regroupés au sein du Club de Paris et les prêteurs internationaux privés du Club de Londres se lancent alors à l’assaut du pays. La guerre froide et la nébuleuse Françafrique aidant, les facilités de prêts sont accordées à tour de bras par l’Occident au pays d’Houphouët Boigny par clientélisme et par complaisance « lucide ». Le gouvernement ivoirien se lance dans un cycle infernal d’endettement.

En Côte d’Ivoire, c’est l’ère des drames économiques qui se vivent sous diverses formes : la gabegie, les détournements de deniers publics, la construction des « éléphants blancs » qui nécessite d’énormes dépenses d’importations, les surfacturations et la célébration par Konan Bédié de « ses milliards », car les « pluies de milliards » viennent de tous les cieux : la rente cacaoyère et caféière et la générosité trompeuse des bailleurs de fonds internationaux. Aussi le pays vit-il ce qu’on a appelé le « Syndrome hollandais ». En effet, durant ces années fastes, les entrées massives de devises étrangères et le relèvement du niveau de vie porté par un pouvoir d’achat confortable grâce au boom du cacao-café créent une certaine appréciation du Franc CFA. Les produits d’importation (biens d’équipement surtout) mais également ceux fabriqués localement par les compagnies françaises « d’import-substitution » qui dominaient le secteur privé ivoirien dans les années 1960 et 1970 sont rendus attractifs et financièrement plus abordables. Il se développe alors une « culture de consommation sans calculs » tant au niveau du gouvernement que des ménages. Or, nous sommes à une époque, où la Côte d’Ivoire connait le taux d’inflation le plus élevé de son histoire (27.5% en 1977). Tous les gains et acquis financiers du « miracle ivoirien » se volatilisent et le gouvernement s’endette massivement pour les compenser.

 

Bientôt, on assiste à un retournement de la conjoncture favorable des années 1970. A la suite du choc pétrolier de 1979 et l’effondrement des cours du cacao et café au début des années 1980, auxquels il faut ajouter la surévaluation du Franc CFA vers la fin de cette même année, la Côte d’Ivoire vit une crise économique aigüe. Elle connait son taux de croissance du PIB le plus faible de son histoire en 1980 : il est de -10,95%. Le déficit courant atteint plus de 60% de la valeur des exportations. Le pays subit la dégradation des termes de l’échange : pendant que les prix de ses matières premières agricoles chutent sur les marchés internationaux, les prix des produits d’équipements que le gouvernement importe massivement pour les programmes d’aménagement du territoire (port d’Abidjan, routes, etc.), mais aussi pour l’érection des « éléphants blancs », augmentent à tel point que les recettes d’exportation ne suffisent plus pour les financer. Ce qui cause un déficit chronique de la balance de paiements. La récession économique est doublée d’une crise de la dette publique, puisque l’Etat ivoirien n’est plus capable d’honorer ses engagements vis-à-vis de ses créanciers internationaux. Le traquenard de l’endettement se referme sur le pays. Le « miracle ivoirien » se transforme en un « mirage » et cela jusqu’aux années 1990. Tout comme la Côte d’Ivoire, les autres pays africains croulent sous le poids de la dette extérieure et vivent une récession sévère.

De 1980 jusqu’aux années 1990, la Banque mondiale et le FMI interviennent pour imposer aux pays africains des Programmes d’Ajustement Structurel (PAS). L’objectif affiché est d’aider ces pays à résoudre le double déficit des comptes macroéconomiques et macrofinanciers : l’équilibre de la balance de paiements, la réduction du déficit budgétaire. Au fond, il s’agit de les amener à entreprendre des reformes capables de générer des revenus suffisants pouvant leur permettre de rembourser leurs dettes.

Les institutions de Bretton Woods exigent aux pays africains l’amorce d’une politique de libéralisation et d’économie de marché. Elles passent leur politique commerciale et budgétaire au scanner. Elles leur imposent la réduction des budgets d’investissements et une partie du budget de fonctionnement compressible. Les Etats perdent ainsi leur souveraineté budgétaire. La réduction du budget d’investissements et la suppression des subventions aux entreprises publiques, leur privatisation ou leur démantèlement pur et simple conduisent à une désindustrialisation de l’Afrique. L’Etat africain est affaibli et exposé aux frustrations populaires : l’abaissement de ses dépenses sociales dans l’éducation, la santé, les logements, les salaires et la réduction des subventions des prix des denrées alimentaires l’empêchent de jouer le rôle qui lui revient de travailler « au maximum de bonheur pour le plus grand nombre », comme le diraient les utilitaristes.

Aux misères vécues par les populations sous les dictatures prévaricatrices viennent s’ajouter les injustices sociales dues à l’application « bêtement » des PAS sur fond de politique suicidaire d’austérité. C’est l’époque des licenciements abusifs et des retraites anticipées, de la déscolarisation des plus jeunes, du démantèlement des avantages sociaux alloués aux étudiants, du chômage pandémique, de la paupérisation chronique des couches sociales. La dévaluation du Franc CFA en 1994, qui était censée garantir la compétitivité extérieure des pays de la zone FCFA en vue du rééquilibrage du solde de leur commerce extérieur et apporter des « pluies de milliards », fut en grande partie une désillusion. Son efficacité a été réduite par une spécialisation commerciale régressive des pays de la zone se limitant à la monoculture et à l’exportation de produits primaires à valeur ajoutée nulle sur un marché mondialisé hautement compétitif et dominé par des produits manufacturés à grande plus-value.

C’est dans ce contexte que surfant sur les tensions sociales et les contestations politiques populaires des années 1990, des bandes armées et des seigneurs de la guerre viendront écumer l’Afrique et en rajouter sur l’émasculation de l’Etat africain. L’enfance brimée par la « mondialisation sauvage » leur servira de chairs à canons. La jeunesse déchue et sans repères et l’adulte désillusionné leur serviront de bras armés.

Au total, les PAS ont un échec. Les politiques de libéralisation et de privatisation ont été un frein au développement socio-économique des pays africains. Elles ont conduit à l’appauvrissement de l’Afrique et causé la désintégration de l’appareil de ses Etats. La Banque mondiale et le FMI reconnaitront eux-mêmes plus tard ce qu’ils ont euphémiquement appelé « quelques erreurs ». Mais cette confession partielle n’a été possible que grâce aux actions et coups de boutoir partis du cœur même du système. Il s’agit de ceux du célèbre prix-Nobel d’économie américain, le néo-keynésien Joseph Stigliz. En novembre 1999, alors vice-président de la Banque mondiale depuis 1997, l’économiste claque la porte de l’institution non sans avoir cloué au pilori ses politiques préconisées et celles du FMI vis-à-vis des pays pauvres. En gros, il élabore un véritable réquisitoire contre la mondialisation, les principes de l’économie de marché défendus par les institutions de Bretton Woods et le « Consensus de Washington » qui en est la base idéologique. A cet effet, il écrit en 2002 son brûlot et bestseller « La Grande Désillusion » (en anglais « Globalisation and its Discontents ») et publie en 2003 « Quand le capitalisme perd la tête » (en anglais « The Roaring Nineties », littéralement traduit : les Rugissantes années 1990).

Mais comme un serpent à multiples têtes, le système de Bretton Woods va se revigorer ailleurs sous le manteau de l’Initiative Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) lancée en 1996 et renforcée en 1999. Cette Initiative a pour but de permettre aux pays les plus pauvres de sortir de la spirale de la pauvreté par le biais d’annulation de leur dette extérieure. Mais les mécanismes et conditionnalités afférant à ce programme ne sont pas non plus sans failles ou travers.

D’abord, l’Initiative répond à une logique contre-productive. Pour qu’un pays en soit bénéficiaire, il faut qu’il démontre qu’il est très pauvre et très endetté. Face à cette « promotion » de la pauvreté, de l’endettement, voire de la médiocrité, la tentation est grande pour que les pays qui ambitionnent de recevoir la manne « providentielle » s’abstiennent de combattre la pauvreté et d’honorer le service de leurs dettes. Ceci est d’autant plus vrai que les Etats qui fournissent de grands efforts pour effacer leurs dettes se trouvent exclus du programme. L’Initiative n’est pas loin d’une politique sournoise d’humiliation de l’homme noir et de l’Afrique à laquelle l’Occident, qui fait main basse sur ses richesses naturelles, demande de crier misère à la face du monde avant de recevoir toute aide. Elle a tout l’air d’une politique subtile de « mendiatisation » et d’infantilisation des pays africains.

Une autre conditionnalité de l’Initiative est la réalisation par le pays candidat de « saines politiques économiques » et le respect des obligations du programme arrêtées avec le FMI et la Banque mondiale. Ces « saines politiques économiques » sont en effet les héritières sous une autre appellation des « Programmes d’Ajustement Structurel » contre-productifs des années 1980 et 1990, assortis des mêmes conditionnalités libre-échangistes : limitation du rôle de l’Etat dans l’économie, libéralisation, politique fiscale et monétaire restreinte, etc. Ainsi, comme hier, la nouvelle forme d’interventionnisme et de politique de substitution de ces deux institutions ont fait perdre aux PPTE leur « souveraineté » en matière de politique budgétaire et d’orientation économique.

Mais entretemps, la Banque mondiale et le FMI ont reconnu une certaine nécessité de l’intervention de l’Etat dans l’économie telle que prônée par les néo-keynésiens comme Joseph Stigliz. Mais un tel changement est juste bon pour servir comme un instrument de récompense aux Etats « amis » de l’Occident. C’est le cas notamment du régime de Dramane Ouattara en Côte d’Ivoire à qui les bailleurs de fonds occidentaux ont donné le quitus de ramener la filière cacao-café, dont ils avaient exigé et obtenu la libéralisation totale sous Laurent Gbagbo, dans le giron de l’Etat ivoirien avec la création du Conseil du Café-Cacao (CCC), l’organe public de régulation de la filière. C’est également sous le regard approbateur de ces institutions néolibérales que le pouvoir Ouattara a créé la nouvelle compagnie aérienne Air-Côte d’Ivoire que l’Etat ivoirien détient à 51%, 35% revenant à Air-France et seulement 14% au privé ivoirien. C’est l’inverse de la défunte Air-Ivoire qui était majoritairement détenue par le secteur privé de Côte d’Ivoire au nom de la politique de déréglementation. En ce siècle de grande compétition économique entre pays, et où les secteurs privés nationaux sont considérés comme les leviers essentiels d’une économie qui réclame sa part des marchés internationaux, une telle politique est une véritable régression et à la longue contre-productive.

Une autre conditionnalité de l’Initiative est le Programme de Réduction Stratégique de Pauvreté (PRSP). Par elle, la Banque mondiale et le FMI exigent aux pays PPTE l’adoption de politiques de réduction de la pauvreté par le soutien des secteurs sociaux (santé et éducation) et par la redistribution équitable des bénéfices générés par la croissance. Autrement dit, l’Occident a voulu donner, dans un élan de mea-culpa qui ne dit pas son nom, « un visage humain » aux Programmes d’Ajustements Structurel version PPTE. Mais ce programme est tout simplement irréaliste et hypocrite : sa réalisation est demandée aux Etats africains dans le même contexte de conditionnalités néolibérales que celles des années 1980 et 1990 qui avaient conduit à la destruction de tous les fondements sociaux et du jeune tissu industriel générateur d’emplois en Afrique.

L’Initiative PPTE est avant tout un instrument géopolitique par lequel l’Occident récompense des régimes « amis ». Si bien qu’en Côte d’Ivoire, le pouvoir de Dramane Ouattara en bénéficiera sans aucun doute des retombées du point d’achèvement. Mais c’est une utopie de croire que les fonds que recevra ce régime aideront à  la réduction de la pauvreté dans ce pays. Un pays dont l’avenir a été sabordé et les bases socio-économiques expressément endommagés et ramenés plusieurs années en arrière par la récente guerre totale que l’Occident avec en tête les institutions de Bretton Woods a livré à coups de sabotage (boycotts et embargos inhumains) à l’économie ivoirienne via la guerre de mise à mort du régime de Laurent Gbagbo.

En outre, les  pays en développement, tout comme les pays industrialisés, importent divers types de capitaux pour financer leur croissance. Mais l’Initiative PPTE a fait perdre aux Etats africains cette liberté et marge de manœuvre en matière de recherche de financements pour leur politique de développement. En effet, ces pays sont astreints à la conditionnalité de ne consentir que les « prêts concessionnels » offerts par le FMI et la Banque mondiale. Bénéficiant certes de conditions beaucoup plus favorables et souples, les « prêts concessionnels » sont un peu comme une sorte de « dettes paresseuses » que les pays bénéficiaires considèrent comme « granted », c’est-à-dire comme une « manne providentielle », et pour lesquelles aucun effort n’est fourni pour le remboursement. Plus exactement, leurs échéances de paiement donnent lieu à des spectacles de génuflexions humiliantes aux pieds du FMI et la Banque mondiale. Ce qui finit par faire pérenniser l’idéologie « paternaliste » de l’Occident vis-à-vis de l’Afrique.

Condamnés à ce type de prêts, les pays PPTE sont exclus des autres sources de financement que sont les marchés internationaux de capitaux, notamment les instruments d’emprunts obligataires. D’ailleurs, le statut de PPTE donne de ces pays un certain signal d’insolvabilité. Ce qui détériore leur image et leur probabilité d’émergence financière. Ils sont peu fiables au regard des marchés financiers et des agences de notation. Ils en sont frappés par ce qu‘on appelle le « double péché originel », c’est-à-dire leur incapacité à accéder aux marchés internationaux dans leur propre devise redoublée de leur absence d’accès à ces marchés dans une devise forte. L’exemple isolé du Ghana, qui en 2007 a placé avec succès une émission d’obligations souveraines sur les marchés ne peut être exagéré outre mesure et généralisé.

En ce siècle de la mondialisation, la compétitivité extérieure et le progrès économique  d’un pays dépendent de ses capacités à diversifier son économie et à atteindre une croissance tirée par l’exportation de produits manufacturés. Il n’est plus à démontrer que d’énormes opportunités de développement résident pour un pays comme la Côte d’Ivoire dans la transformation locale de son cacao – ou à défaut de larges volumes de cette matière – en produits semi-finis (poudre, liqueur/pâte, beurre de cacao) ou finis (barre de chocolat) à grande valeur ajoutée. Une telle politique aurait le triple avantage d’augmenter les revenus de l’Etat, de renforcer le tissu industriel national et de créer des opportunités d’emplois. Mais Cette dimension de politique commerciale n’est pas prise en compte ou privilégiée dans les différents PAS qu’imposent depuis les années 1980 la Banque mondiale et le FMI aux pays africains. Il ne pouvait en être autrement, car ces deux institutions qui symbolisent l’Occident n’ont pas intérêt à bousculer la « règle d’or » du pacte colonial et néocolonial qui veut que l’Afrique soit uniquement pourvoyeuse de matières premières agricoles, minières et énergétiques pour les industries occidentales.

L’économie africaine est conçue de l’extérieur, les crises économiques du continent viennent de loin et le clientélisme au sommet des Etats affaiblis en donne un effet d’accélérateur. Les politiques inappropriées du FMI et de la Banque mondiale mais également de l’Union européenne, qui détruisent ses potentialités et capacités de progrès, sont opérées de concert avec des oligarchies régnantes prévaricatrices. Une élite africaine responsable et digne doit émerger pour construire une vision de développement de l’Afrique telle que voulue par les Africains eux-mêmes.

Cesar Jesse Gadji

Business Consultant

MSc. in International Business Economics

Londres, United Kingdom

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