Retrouvé noyé dans le Danube en avril 2012, l’ex-ministre libyen du Pétrole Choukri Ghanem en savait long sur les différents placements réalisés par le régime de Kadhafi.
À 70 ans, ne sachant pas nager, Choukri Ghanem, ancien ministre libyen du Pétrole et ancien président de la National Oil Corporation, se serait-il imprudemment trop penché pour admirer le Danube un soir à Vienne ? Le lendemain, on l’a retrouvé tout habillé flottant dans les eaux troubles du fleuve. C’est du moins la thèse retenue par les autorités autrichiennes, peu pressées de plonger leur nez dans un dossier apparemment plutôt embarrassant. Comme l’a rappelé le journal Die Presse, la Libye a longtemps financé le Parti de la liberté de Jörg Haider, une organisation d’extrême droite. Choukri Ghanem était l’un des gardiens des secrets du régime libyen, du temps de Muammar Kadhafi. Mais il avait brutalement fait défection en juin 2011, alors que le Printemps arabe rattrapait Tripoli.
Une société aux îles Vierges…
« Cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Choukri Ghanem a été assassiné. Les Autrichiens ne sont pas clairs dans cette sale histoire. C’était un homme que j’appréciais beaucoup », lâche Pierre Bonnard, spécialiste de la Libye, consultant auprès du gouvernement actuel de Tobrouk. Si l’ancien ministre s’était installé à Vienne, ville qu’il connaissait bien pour avoir représenté son pays auprès de l’Opep, en revanche, Choukri Ghanem passait par la Suisse pour mener ses opérations financières. Est-ce un hasard ? Alors qu’il s’est noyé le 29 avril 2012, un mois avant, le 30 mars, la justice helvétique ouvrait une instruction à l’encontre de son fils, Mohamed Ghanem, pour « blanchiment d’argent » et « corruption d’agents publics ». Les magistrats ont bloqué le compte ouvert à l’UBS par Mohamed, au nom de la société Goldent Petal, domiciliée aux îles Vierges, dans les Caraïbes. C’est le début d’une procédure, en cours d’instruction, comme nous l’a confirmé Nathalie Guth, du ministère public de la Confédération, à Berne.
Deux sociétés en Suisse, une aux Pays-Bas
Le dictateur libyen ne se contentait pas d’amasser des milliards dans de grands coffres, il multipliait les placements. La Lybian Investment Authority (LIA) avait notamment investi dans une société norvégienne Yara, championne dans la production de fertilisants. L’argent passait par deux filiales de Yara à Genève, Balderton Fertilisers SA et Yara Switzerland Ltd. Le journaliste tessinois Federico Franchini, dans le mensuel La Cité, tente de suivre la trace de quelques-unes de ces sociétés qui permettaient d’évacuer la manne du pétrole libyen. Il découvre ainsi l’entreprise Nitrochem, dans le demi-canton de Bâle-Campagne, filiale d’Ameropa, numéro deux mondial de la production d’ammoniaque. Retenons également les transferts entre Mohamed Ghanem et la société néerlandaise Palladyne International Asset Management, établie aux Pays-Bas et administrée par Ismael Abudher, mari de Ghada Ghanem, la sœur de Mohamed et la fille de Choukri Ghanem, l’ancien ministre libyen du Pétrole, mort noyé dans le Danube, à Vienne.
70 milliards de dollars prospèrent toujours dans des pays occidentaux
Par ailleurs, Ismael Abudher est soupçonné de « prises illégales d’intérêts », commises lors de l’entrée de la Banque centrale libyenne et de la Libyan Investment Authority (LIA) au capital de l’italien UniCredit. Quant à Mohamed Ghanem, qui disposerait d’un passeport des Émirats, il est aujourd’hui à la tête de la banque bahreïnie First Energy Bank. Ce n’est donc pas demain qu’il viendra rendre des comptes à la justice suisse. En attendant, l’argent reste bloqué. « Pour déposer les armes, après la chute de Kadhafi, les combattants libyens demandaient à être indemnisés. Il en était de même pour les victimes des bombardements occidentaux. Leur préjudice était estimé à quatre milliards de dollars. Faute d’argent, les combats n’ont jamais cessé depuis », constate le consultant Pierre Bonnard. En d’autres termes, chacun cherche depuis à se payer sur la « bête » en accaparant des puits de pétrole. Pendant ce temps, les 70 milliards de dollars placés par l’ancien dictateur prospèrent toujours en Occident.
Ian Hamel
Le point
{fcomment}