Les USA, une hyperpuissance en déclin

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Le complexe de supériorité intrinsèque à tous les agissements des USA est parfois à tel point baroque et grotesque qu’il prête à rire. Pourtant, comment pourrions-nous rire quand des nations entières sont annihilées par les foudres hégémoniques d’une Amérique qui ne puit se défaire de son passé colonial, achetant tout ce qu’elle peut acheter en échange d’une verdure sans équivalent et d’un relent de propagande impérialiste sentant la putréfaction ?

Au mieux pourrait-on dire, nuançant la réalité, que les Américains se pavanent de leur élitisme. Or, reprenant la définition de Jean-Marc Tonizzo qu’il appliquait plutôt au domaine social, l’ «élitisme est une pathologie que l’humanité n’a pas encore décrété comme telle ». Cet état d’esprit cherche « à s’affirmer aux dépens d’autrui (des autres nations, en l’occurrence) pour thésauriser les privilèges ». Selon Alfred Adler, fondateur de la psychologie individuelle, ce type de complexe dissimule un complexe d’infériorité sous-jacent. « Par manque de sentiment de communauté le sujet cherche la compensation de son sentiment d’infériorité en développant son agression pour dominer les autres ». Cette observation, bien qu’extraite du grimoire psychothérapique de M. Adler, n’en est pas moins représentative de la mentalité des élites politiques américaines, masquant misère culturelle et immaturité profonde.

Les racines de cet état jusqu’à présent incurable remonte à bien loin. Voici ce qu’en pense M. Richard Labévière, géopolitologue de renom, rédacteur en chef de La Défense, revue de l’IHEDN.

La VdlR. Le complexe de supériorité US est constamment réaffirmé par leurs dirigeants, notamment après la tragédie du 9/11. On en voit les résultats directs à travers les dégâts flagrants qui ont frappé les pays du Moyen-Orient, de l’Irak à la Syrie en particulier. A quoi tiendrait, selon vous, ce complexe ? Ne reflète-t-il pas en somme, selon les dires de certains experts assez condescendants, une mentalité mal défrichée et profondément immature sur le plan étatique ?

Richard Labévière. Je pense qu’il faut remonter au commencement même de l’histoire des USA avec les premiers voyageurs du Mayflower qui sont des réfugiés protestants et qui étaient persuadés de s’inscrire dans une voie de prédestination et dont la recherche, sinon l’affirmation du bien puisqu’ils ont survécu à la traversée de l’Atlantique, a détermine leur vison de l’Histoire. La guerre qu’ils ont menée contre la tutelle coloniale britannique fait que l’histoire des USA dès son commencement est pétrie d’une espèce de parousie, de fantasme de la prédestination cultivée par les grandes lignes de l’idéologie protestante. Je vous renvoie à Max Weber sur l’esprit du protestantisme et l’esprit du capitalisme, considérant que dans ce pays du Nouveau Monde qui va très vite exploser économiquement, cette explosion sera le signe d’une prédestination et d’une faveur de Dieu.

Il s’agit d’un fondement idéologique qu’il faut toujours garder à l’esprit, qui est très important et qui ne va être conforté que par toute l’histoire du développement politique et économique des USA … leur première constitution, Jefferson… bref, tout un système de pensée positiviste et qui fait que les USA dans leurs premières guerres régionales contre l’Espagne et contre le Mexique n’auront de cesse que d’affirmer cette supériorité, sinon cette arrogance européenne nouvellement implantée dans le Nouveau Monde. Je crois que plus récemment, il est clair que cette confirmation va se faire d’abord durant la I Guerre Mondiale puisqu’en 1916 les US

Ensuite, deuxième pallier, c’est bien évidemment le choix de Roosevelt qui a été de déclencher la guerre contre le Japon, même si l’attaque de Pearl Harbor a précipité les choses. Cela dit, au sortir de la II Guerre Mondiale, il est sûr que les USA vont apparaître comme la grande puissance victorieuse du III Reich et se rendront à Yalta où ils vont, en février 45, se partager le monde avec Staline. En tout cas, dans toutes les anciennes zones des empires coloniaux français et britanniques, les USA vont supplanter les vieux empires et donc, il est certain que le troisième et dernier pilier de l’affirmation de cette supériorité est ce que l’ancien Premier Ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, a taxé d’hyperpuissance qui elle va ressortir dans tout son éclat à la fin de la confrontation est-ouest, c’est-à-dire, de la guerre froide à la fin des années 80.

Et c’est là que, avec beaucoup d’irresponsabilité, les élites américaines vont se considérer comme les grands vainqueurs d’une guerre froide qui de la fin de la II Guerre Mondiale jusqu’à la fin des années 80 aurait confronté deux systèmes : le système de l’ouest, dit le monde libre, à celui de l’est, autrement, du monde soviétique. C’est à ce stade que, sans grande réflexion, les élites politiques américaines ont rangé les dividendes de cette victoire entre guillemets et sur le plan économique, et sur le plan militaire, et sur le plan culturel.

Je reviens à cette notion d’hyperpuissance développée par Hubert Védrine qui effectivement s’explique par le fait que là se trouvent accumulés et additionnés ce qu’on appelle le hard power, c’est-à-dire la supériorité économique et militaire, le soft power ensuite qui est la supériorité sinon l’hégémonie culturelle, voire le smart power qui est un pouvoir de séduction par la culture et par les nouvelles technologies, le progrès scientifique etc. L’ensemble de ces facteurs nous donne la configuration d’un pays qui a toujours oscillé entre sa responsabilité soi-disant universelle et son retrait isolationniste. Je vous renvoie au livre du politologue américain Paul Kennedy qui représente une bonne étude de cette alternance régulière entre l’impérialisme à vocation universelle et le repli sur les problèmes nationaux.

Dans cette alternance, cet aller-retour entre l’impérialisme et le retrait, il st certain que les USA conservent toujours une supériorité économique qui est lié au dollar, la monnaie-monde dont Nixon a aboli la conversion en or en août 71, cela de manière arbitraire et unilatérale, ce qui a déclenché des crises économiques structurelles successives à travers le premier choc pétrolier de 73, ce qui par la suite a déclenché l’inflation, ce qui a mis fin au système monétaire international et s’est traduit en Europe par des vagues de chômage récurrents.

Ces différents éléments montrent comment les USA demeurent dans l’évolution même de l’économie mondialisée, dans un capitalisme libéral et néolibéral qui s’est déterritorialisé, c’est-à-dire qui s’est redéployé d’une manière globale, sinon planétaire, à travers des sociétés dont la plupart garde leur siège social dans des pays anglo-saxons, en des endroits comme la City de Londres ou Wall Street et donc, à travers ce redéploiement économique et financier, les USA ont réussi à imposer une norme économique au monde qui est devenue la norme financière et ont réussi à financiariser les économies réelles, donc, à affirmer une forme d’hégémonie très destructrice et très barbare sur l’ensemble de la planète mais toujours avec cette bonne conscience de créer de la richesse, par conséquent, de faire le bien et de le faire non seulement pour les citoyens américains mais pour l’ensemble de l’humanité.

La VdlR. N’avez-vous pas l’impression que ce sentiment d’exclusivité jusque là cultivé par les USA est en passe de reculer si on en juge par les tergiversations d’Obama par rapport à la résolution du dossier syrien et leur reconnaissance de la victoire diplomatique de la Russie dans cette affaire ?

Richard Labévière. Vous avez raison … Je pense que cette arrogance est sur le déclin. Je pense que l’hyperpuissance américaine est sur le déclin pour différentes raisons. D’une part, parce que sur le plan de son hard power, à travers son économie, les USA connaissent passablement des problèmes intérieurs et extérieurs dans leurs échanges commerciaux, même s’ils se targuent de pouvoir bénéficier d’une autonomie énergétique avec les gaz de schiste. En tout cas, le modèle américain, sa monnaie, son endettement font que le pays est en déclin.

Sur le plan militaire et international, les USA ont subi, bien avant Obama, du temps des deux administrations de Bush, des revers et des chutes bien sévères qui ont commencé de manière significative sur le plan militaire en 2003 avec la deuxième guerre d’Irak menée par la Grande-Bretagne et les USA. Plus récemment, il est certain que le cinglant revers que l’administration Obama et l’Occident sous l’égide de la France et la Grande-Bretagne ont reçu sur la crise syrienne indique une perte d’influence et d’hégémonie flagrante. Si on prend la seule région du Proche et du Moyen-Orient élargie, en 2014 vous verrez le retrait de l’OTAN et des troupes américaines d’Afghanistan qui constateront sans doute sinon le retour au pouvoir, du moins le regain d’influence des Talibans sur toute la zone afghano-pakistanaise qui sert de profondeur stratégique aux katibas d’Al-Qaïda et qui sont conjointement engagés en Irak, en Syrie et dans le Kurdistan d’Irak, on l’a vu dernièrement.

Il est donc question d’un cinglant revers pour la diplomatie et la présence militaire américaine qui en plus s’est doublé d’un échec fracassant des Frères Musulmans en Egypte avec le départ de Morsi, avec les difficultés récurrentes de ces mêmes Frères en Tunisie et avec l’implosion de la Lybie. Il faut rappeler que les USA ont toujours favorisé les Frères Musulmans depuis Nasser, c’est-à-dire le milieu des années 50, considérant qu’avec les Frères Musulmans au pouvoir il n’y aurait pas de parti communiste, pas de parti nationaliste et il y aurait une économie libérale. Le fait d’avoir cru que les Frères Musulmans géreraient les mal-nommées révolutions arabes a été une erreur terrible qui fait qu’aujourd’hui, dans tout le monde arabo-musulman du Maroc jusqu’au Pakistan, les choix des partenaires américains, y compris des monarchies pétrolières wahhabites (Arabie Saoudite, les Emirats, le Koweït etc.) sont confrontés à des difficultés croissantes face à la fitna, c’est-à-dire la confrontation entre les mondes sunnite et chiite.

De ce point de vue-là, les choix américains se sont avérés absolument désastreux et très contreproductifs pour l’influence et les intérêts américains. Alors maintenant, M. Obama nous dit que de toute façon comme avec le gaz de schiste les USA sont autonomes sur le plan énergétique, le Proche-Orient l’intéresse moins et il veut investir ses efforts du côté de l’axe Asie-Pacifique … On verra la suite. Ceci dit, ce qu’il faut noter, c’est que, heureusement, la diplomatie de Serguei Lavrov a été tout à fait ingénieuse et a remporté une très grande victoire sur la crise syrienne qui fait que cette hégémonie américaine s’en trouve durablement atteinte et qu’on peut parler à travers la gestion de la crise syrienne d’un nouveau Yalta, d’un rééquilibrage entre la Russie et les USA marquant la fin de l’unilatéralité come ce fut le cas, par exemple, en Lybie avec la résolution de 1973 qui a permis aux Occidentaux de reconfigurer le monde selon leurs intérêts.

Justement, parlant de Lybie, cette dernière est à l’heure actuelle entre les mains de mafias et de factions islamistes. Ainsi donc, cette réaffirmation de la puissance russe sur une région vitale de la mer Noire à la Méditerranée, sur l’ensemble irano-syrien est le signe d’un rééquilibrage devant mener à terme à la construction d’un monde multipolaire. C’est également cette réaffirmation de puissance de la Russie dans l’Arctique de Mourmansk à la mer de Béring sur le plan géopolitique qui montrera aux USA qu’ils ne sont plus la seule hyperpuissance mondiale qui puisse décider de l’avenir de l’humanité.

Françoise Compoint

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