Le journalisme africain en deuil : On peut rendre hommage à ses collègues tués sans pour autant injurier notre intelligence.

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Au moment où l’on entend retentir de façon stridente les cris d’orfraie suite à l’assassinat au Mali de deux journalistes de RFI (Radio France Internationale), la voie de la Métropole française exclusivement tournée, et pour cause, vers les colonies et autres dépendances, nous soumettons de nouveau à lecture un texte publié en juin 2012 sur le rôle des médias, notamment étrangers en Afrique. Par corporatisme naïf, zélé et complètement déphasé, des milieux dits journalistiques africains versent des tonnes de larmes sur les corps de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon. Loin de nous l’idée de bénir ce meurtre. Mais, que penser lorsque depuis 48 heures, on lit des communiqués et des déclarations de fameuses organisations de journalistes, de syndicats de presse et des éditoriaux de fameux journalistes africains? Ainsi, le corporatisme enfantin en bandoulière et plus français que les français, le journal LE PAYS du Burkina Faso monte sur ses grands chevaux ce lundi matin 4 novembre et écrit: « Encore une fois, le journalisme d’investigation, le journalisme tout court, est menacé. Ceux qui tuent et ceux qui font tuer des journalistes, appartiennent à la même race de prédateurs. Les acteurs politiques africains qui font des journalistes leur cible de choix, doivent se sentir coupables de la répétition d’actes aussi vils. La mort de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon, ne doit pas rester impunie, pas plus que celle de tous ceux qui les ont devancés sur le sol d’Afrique. Car, quels que soient les reproches à l’endroit de la presse, on ne peut négliger la part contributive des journalistes à l’avènement d’un monde de paix, au rapprochement des peuples, à la responsabilisation des acteurs politiques, à la défense des plus faibles et de tous ceux qui militent pour un monde débarrassée de la vermine.

 

Tuer un être humain est inadmissible. L’éliminer parce qu’il a librement choisi d’exercer un métier, est tout aussi détestable. Et ceux qui se livrent à de tels exercices ou en font la commande, ne méritent ni pardon, ni pitié. Ils sont tout simplement méprisables. »

On aurait aimé avoir la même verve de la part de notre « éditorialiste » de Le Pays quand quotidiennement des Africains sont tués, lui qui découvre ce matin que « tuer un être humain est inadmissible. » On aurait aimé lire une verve du même genre sur l’assassinat, il y a 15 ans maintenant de Norbert Zongo carbonisé dans sa voiture par la soldatesque de Blaise Compaoré, un habitué du rituel sanglant non seulement au pays des Hommes intègres, mais aussi au-delà. Pour ne donner qu’un exemple, le 15 août 2008, non loin de là, au Togo, Atsutsè Agbobli, directeur du bimensuel Afric’Hebdo fut froidement abattu, son corps jeté à la mer avant que celle-ci, dégoûtée, ne la rende à la plage de Lomé. Les auteurs de ces deux crimes courent toujours. Pourtant, on n’entend pas trop le corporatisme journalistique s’exprimer. Peut-être que ces crimes là sont commis trop loin des territoires de nos éditorialistes et autres associations dites de presse qui pourtant, pleurent toujours Guy-André Kieffer et Jean Hélène, par exemple. Osons dire les choses: la mort sous les tropiques d’un Occidental, surtout d’un journaliste occidental a toujours suscité une grande émotion. Lorsqu’on parle d’assassinat de journalistes en Afrique, combien sont-ils ces africains à s’émouvoir sur les cadavres de la dizaine journalistes tués au Kongo (RDC) depuis 2006? Combien sont-ils, ces Africains, à se rappeler de la mort en 2010 de Pius Njawé, une des plumes les plus tranchantes contre le despotisme obscurs de Biya dans un étrange accident de circulation en Virginie, aux Etats-Unis d’Amérique? Qui sait qu’il y a des milliers d’Africains qui meurent au Kongo, au Nigeria, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Togo, en Centrafrique, au Tchad, en Somalie, au Burkina Faso tous les jours de manières diverses? Dans la balance des africains pro-ceci ou pro-cela, les cadavres étrangers ont toujours eu plus de poids que ceux des « nègres ». En toute chose, sous les tropiques, la tête est avant tout orientée vers l’étranger.

Lorsque notre « éditorialiste » de Le Pays écrit ce passage d’anthologie « quels que soient les reproches à l’endroit de la presse, on ne peut négliger la part contributive des journalistes à l’avènement d’un monde de paix, au rapprochement des peuples, à la responsabilisation des acteurs politiques, à la défense des plus faibles et de tous ceux qui militent pour un monde débarrassée de la vermine », sait-il vraiment de quoi il parle? Qu’il y ait des journalistes consciencieux et amoureux de la vérité des faits qui font leur travail en affrontant les dangers les plus graves dans différents endroits du monde, notamment en Afrique où les despotes obscurs, véritables chiens de garde de l’ordre colonial cannibale imposé n’hésitent pas à canarder tout contestataire qui ne peut ou veut s’exiler, ni mordre à l’appât des billets de banque, nul ne peut le nier. Mais de là à verser dans cette dithyrambe niaise à l’égard de LA PRESSE qui contribuerait « à la paix, au rapprochement des peuples, à la responsabilisation des acteurs politiques, à la défense des plus faibles et de tous ceux qui militent pour un monde débarrassée de la vermine », il faut oser le dire. Vraiment!

La presse, si elle peut informer, est d’abord un outil de guerre au service d’intérêts puissants étatiques ou privés. Elle est une machine de guerre dont le moteur principal est la propagande et le mensonge. Ceci est connu depuis la nuit des temps, sauf, certainement chez nos bons éditorialistes et professionnels associatifs en journalisme africains pour qui chaque occasion est la bonne pour taper dans l’oeil des sources de financements et des fournisseurs de bourses ou de conférences. Cette presse a montré de quoi elle est capable sur les questions de la Côte d’Ivoire et de la Libye où elle a relayé la désinformation des pays agresseurs, de l’ONU, des multinationales pétrolières et commerciales, de leurs agents locaux ainsi que celle de leurs ailes marchantes que sont les inénarrables organisations de défense des droits de l’homme, c’est-à-dire, droits de l’homme blanc. Sur l’Irak, la Syrie, l’Afghanistan, l’Iran, le Venezuela, le Cuba, la Corée du Nord, la Russie, la Chine…il n’est même pas la peine de parler des mensonges véhiculés par LA PRESSE. Il faut des milliers de pages pour en parler. On a en mémoire le charnier de Timisoara en Roumanie où en décembre 1989 pour laminer Cauecescu LA PRESSE a inventé des charniers comportant 70.000 cadavres. On a aussi en mémoire les dossiers de LA PRESSE sur Bokassa qui « conservait dans ses frigidaires de la viande humaine » , son mets favori. Si LA PRESSE a ses démons, elle a ses anges aussi. Ceux-ci sont les pires dictateurs, les pires criminels de guerre, c’est-à-dire la « vermine » pour reprendre les mots de Le Pays, mais la vraie vermine cette fois-ci. Les Bush, les Blair, le Chirac, les Obama, les Sarkozy, les Netanyahou, les Simon Perez, les Cameron, les Hollande, les Kissinger et les différents serviteurs locaux en Afrique et ailleurs dans le monde sont de cette espèce. Affirmer, à l’occasion de l’assassinat des deux journalistes de RFI, depuis le Burkina Faso, sans doute par corporatisme et aussi par une lecture complètement fausse des réalités de ce monde, que LA PRESSE défend « les plus faibles », rapproche les peuples et travaille pour « un monde débarrassé de la vermine » relève d’une injure à l’intelligence des Africains. On peut rendre hommage à ses collègues tués au Mali, sans pour autant injurier notre intelligence. Car, nous autres le savons: LA PRESSE informe par accident. Mais elle désinforme, milite, vend, ment, biaise, détourne, détruit, désoriente par métier. Sous nos cieux, LA PRESSE, celle qu’on pleure actuellement dans les rédactions africaines, a toujours présenté l’Afrique comme une terre misérable, minée par des conflits fratricides et ethniques, pauvre et demandant éternellement l’aide d’un Occident généreux, bienfaisant et bon samaritain pendant que les richesses africaines sont drainées vers l’étranger. LA PRESSE a installé dans le décor africain l’Occident, ses intérêts, ses vues, ses désirs, ses projets, ses hommes. Cette présence est présentée comme normale, légitime puisque purement humanitaire. Ailleurs, l’Occident défend ses intérêts. En Afrique, il est en mission humanitaire. Il n’y est que, parce qu’épris d’amour pour l’homme noir qu’il a tant aimé au point de l’avoir mis dans les fers de l’esclavage et de la colonisation, pour l’aider au développement. Il en est ainsi de la présence des bases militaires françaises en Afrique qui y seraient rien que pour « sauver les africains et empêcher des guerres ethniques ». « L’ethnie » serait la mesure de toute chose en Afrique, selon les spécialistes médiatiques occidentaux.

Quand celles et ceux qui prétendent en Afrique informer les Africains sauront lire le monde réellement en sortant des sentiers battus et du sentimentalisme bon teint ou intéressé par étroitesse d’esprit, on pourra se dire qu’un petit pas, un tout petit pas est fait en direction d’une Afrique meilleure.

KPOGLI Komla

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