L’abbé Norbert Abékan se trompe [Par Jean-Claude DJEREKE]

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Le 11 août 2020, celui qui se fait appeler “l’âne du Christ” a produit un texte qui, tout en appelant à juste titre à l’unité et au dialogue pour parvenir à des décisions consensuelles avant la participation à l’élection présidentielle du 31 octobre 2020, n’en laisse pas moins perplexe à cause de quelques âneries que j’y ai dénichées. Ces âneries, je les exposerai et je dirai pourquoi elles sont des positions irrecevables.

L’âne du Christ commence par faire le constat que l’Ivoirien est “pro un tel, pro un tel autre” au lieu d’être “pro-Afrique et pro-Côte d’Ivoire”. Présenter les choses de la sorte, c’est faire fausse route car l’un n’exclut pas l’autre. Avec l’Argentin Ernesto Laclau, je crois qu’il y a une imbrication de l’universel et du particulier. Il ne s’agit donc pas de choisir l’un plutôt que l’autre, mais d’aimer et de soutenir tel ou tel acteur politique, la Côte d’Ivoire et l’Afrique aussi longtemps qu’ils sont porteurs de valeurs moralement acceptables.

Menacer de blesser ou de tuer des chrétiens catholiques qui voulaient marcher pacifiquement pour la paix, tuer froidement des populations parce qu’elles ont voté pour Laurent Gbagbo, emprisonner ou exiler les partisans de son adversaire, ordonner la fermeture des banques ou un embargo sur les médicaments, ne promouvoir que les gens d’une seule région ne sont pas des pratiques acceptables et tout le monde sait qui a introduit cette étrange façon de faire la politique dans notre pays.

Il n’est pas davantage acceptable d’affirmer que seuls les Ivoiriens devraient demander pardon à Houphouët, Bédié, Gueï, Gbagbo et Dramane Ouattara. Ce quatuor doit, lui aussi, demander pardon aux Ivoiriens : Houphouët pour avoir nommé Ouattara Premier ministre et fait croire qu’il était Ivoirien, Bédié pour l’avoir soutenu en 2010 et 2015 après avoir lancé un mandat d’arrêt international contre lui pour fraude sur la nationalité ivoirienne, Gueï pour n’avoir pas tenu sa promesse de nettoyer la maison et de retourner à Kabacouma, Gbagbo pour avoir autorisé en 2005 la candidature de Ouattara et Ouattara pour avoir déstabilisé le pays et pour avoir terrorisé et appauvri les Ivoiriens depuis le 24 décembre 1999.

Une autre ânerie que je trouve inacceptable consiste à considérer que “nous avons tous tort” et que “nous avons tous écouté le diable”. Hannah Arendt (1906-1975) a critiqué cette notion de « culpabilité collective » qui relève, selon elle, d’une « confusion morale ». Pour la philosophe allemande d’origine juive, affirmer que tous sont fautifs revient à dédouaner les véritables coupables qui, à mon avis, sont Houphouët, Bédié, Gbagbo, Philippe Yacé, Gueï, Soro, Henriette Dagri Diabaté, Kablan Duncan et d’autres pour avoir dealé avec Ouattara et pour l’avoir aidé à prendre le pouvoir dans le sang. Pour Arendt, si tout le monde est coupable, alors personne ne l’est véritablement et on blanchit donc « ceux qui avaient réellement fait quelque chose » (H. Arendt, ‘Responsabilité et jugement’, Paris, Payot, coll. Petite Bibliothèque Payot, 2009, p.60). Et puis, si nous nous limitons à ceux qui ont dirigé le pays, force est de reconnaître que Laurent Gbagbo n’a jamais pris les armes pour attaquer l’État de Côte d’Ivoire, que ce soit sous Houphouët ou Bédié. Peut-on en dire autant de Dramane Ouattara qui promit de rendre le pays ingouvernable et envoyait 25 millions par mois aux rebelles installés au Burkina selon Koné Zakaria et de Bédié qui, d’après Sidiki Konaté, aurait financé la rébellion de Dramane à hauteur de 4 milliards de f CFA ?

Je voudrais conclure sur ce point en disant ceci : de même qu’il ne s’agissait pas, au tribunal international de Nuremberg, “d’inculper tout le peuple allemand mais les seules personnes qui ont commis des crimes” (Robert Jackson, procureur américain), de même, il ne me semble ni juste ni honnête de mettre tout le monde dans le même sac en Côte d’Ivoire, ce qui, en réalité, est une manière de disculper les vrais coupables de la tragédie ivoirienne. L’âne du Christ sait très bien qui a introduit les coups d’État dans notre pays, qui préféra la guerre au recomptage des voix qui nous aurait évité des morts et des destructions matérielles inutiles et qui, en reniant les propos tenus devant les députés et sénateurs à Yamoussoukro le 5 mars 2020, risque de mettre le pays à feu et à sang. C’est ce pyromane-menteur qu’il faut mettre en demeure quand on prétend porter le Christ ou quand on prétend être son serviteur. Le 23 juin 2019, au terme de leur 113ème assemblée plénière, les évêques catholiques de Côte d’Ivoire publièrent une déclaration dans laquelle ils demandaient aux acteurs politiques de “nous éviter une autre guerre”. Celui qui viole la Constitution qu’il est censé respecter et défendre, celui qui renie facilement sa parole parce qu’il veut se maintenir au pouvoir et échapper ainsi aux poursuites judiciaires, c’est celui-là qui expose le pays à la guerre et l’on devrait être en mesure de l’interpeller publiquement si on est vraiment au service de la paix car la paix est le fruit de la vérité et de la justice (Psaume 84, 11) au lieu de parler de façon vague et générale.

L’âne du Christ proclame qu’il est uniquement pro-Côte d’Ivoire et pro-Afrique. Qu’il me permette de ne pas être d’accord avec lui car, si cela était vrai, il aurait condamné, oralement ou par écrit, les massacres commis par les soldats fidèles à Ouattara à Anonkoua-Kouté, Nahibly, Guitrozon, Duékoué, Adébem. S’il était dans la vérité, il aurait demandé la libération des prisonniers politiques et se serait opposé quand Ouattara ordonna à Jean-Pierre Kutwã d’expulser le prêtre ivoirien Julien N’guessan Sess. S’il n’était pas pro-Ouattara, il aurait rendu visite aux prisonniers politiques et ne se serait pas affiché maintes fois avec Dominique Ouattara dans les paroisses où elle allait “prier”. Pourquoi n’éleva-t-il jamais une voix de protestation entre 2011 et 2019 ? Pourquoi ouvre-t-il la bouche maintenant ? Parle-t-il aujourd’hui parce qu’il sent que le Titanic dans lequel il avait pris place avec d’autres ecclésiastiques sombrera inéluctablement ? Sort-il de sa réserve parce qu’il veut sauver sa peau avant le naufrage ? Lui seul peut répondre à ces questions. Pour notre part, nous voulons tout simplement attirer l’attention du peuple ivoirien qui a souffert de la politique inhumaine, injuste et discriminatoire de Ouattara sur trois choses : 1) les rats qui quittent le navire Ouattara ne le font pas nécessairement parce qu’ils aiment le pays et désirent le sauver ; 2) celui qui s’est longtemps tu face à l’injustice et à la dictature n’est pas plus digne de confiance que la personne qui ne tient pas ses promesses ; 3) aux opportunistes et patriotes de la onzième heure, le peuple doit demander ce qu’ils ont dit ou fait, dans quel camp ils étaient, lorsque la constitution fut violée ou lorsque le peuple était piétiné et opprimé et dépouillés par des brigands protégés par la France ?

Jean-Claude DJEREKE

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