La région de la Savane est l’une des régions stratégiques pour cette présidentielle 2010. Région la plus pauvre du Togo, près de 90% de la population y est en dessous du seuil de pauvreté. Les inondations de 2007 qui ont détruit les récoltes n’ont fait qu’aggraver la vulnérabilité de cette population. La Savane est aussi la parente pauvre des plans de développement au Togo.
A part Dapaong, la capitale régionale, les autres villes ne sont que des vestiges du passé colonial, des appendices. A commencer par Mango, ville allemande abandonnée, mangée par la poussée du Sahel. Même le plan de reboisement de la ville conçu par les Allemands n’a jamais été repris ni repensé. Inutile de parler du Tandjouaré, du Kpendjal ou du Mandouri, coincé dans cette excroissance Nord-Est du territoire vers la frontière du Bénin. Ce sont de petits villages passés au statut de ville. Les rares cadres de ces préfectures qui composent la région et travaillent à Lomé, peinent à descendre régulièrement dans leurs préfectures d’origine et penser à leur développement. Ils préfèrent acheter des terres dans les régions Maritime ou des Plateaux, propices à l’agriculture. Les gens d’ici peuvent crever en douce….jusqu’à ce qu’on se souvienne d’eux à la prochaine élection présidentielle ou législative !
Et quand arrive une élection, ici c’est le remake de l’esclavage. Les consciences s’achètent comme de petits pains. Le parti qui a l’argent, en l’occurrence, le RPT achète. La mentalité et la culture s’y prêtent. Le Moba est travailleur mais il est pauvre. «Il suffit d’un petit quelque chose pour le détourner de son intention», avance un militant de l’UFC. «Ils sont tellement pauvres que si vous leur donnez un verre d’eau, leur mentalité change ; ils pensent que vous les aimez, que vous leur avez sauvé la vie», dit toujours ce militant de l’UFC. «Ils ont un T-Shirt de campagne, celui à l’effigie de Faure Gnassingbé, alors que l’UFC vend les siens ; pour eux ils ont un habit pour au moins deux ans. Car ici, le vêtir et le manger, ces besoins primaires, relèvent du principal», constate amèrement ce militant. Les fameux investissements de Faure Gnassingbé pourraient faire leurs effets ici. Il a donné des dabas par ici, des motopompes, des forages, un peu d’argent pour les maraîchers. On donne tout ça, pourtant les cultures maraîchères se vendent mal et les tomates pourrissent ici sans atteindre Lomé. Une chose est de faire les tomates, une autre est de leur trouver des débouchés. Soit les routes sont dans un état catastrophique, comme la Nationale Numéro 1, notamment entre Tandjouaré et Dapaong- un préfet s’y est tué récemment, soit elles sont absentes. Il n’y ni eau ni piste rurale. En 2007, quelques paysans se sont suicidés à cause des dettes. A cause de l’engrais. L’engrais, car ici le sol rocailleux et pauvre se nourrit d’engrais. Les intrants agricoles qui se vendent chers par des intermédiaires RPT du bled qui s’enrichissent sur le dos des paysans. Les engrais reviennent chers aux paysans et pourtant le Togo produit des phosphates mais n’a jamais pensé à les transformer. Le comble, même l’engrais donné par la coopération est vendue aux paysans, au même coût que l’engrais importé. Quel pays !
La Savane bénéficie de climat plus clément que le Burkina et le Niger, mais ne produit pas de riz alors que ces deux pays en produisent, exportent des tomates vers le Togo. Les bas-fonds dans ces pays sont aménagés pour produire du riz. Au Togo, on n’y a jamais pensé et pourtant on pourrait aménager, dit l’UFC, les bas-fonds de l’Oti, de Nano et du Mandouri pour l’expansion de la riziculture. Les gens de la Savane se nourrissent de riz tout comme les Sahéliens. Le riz, ce sont les sociétés dont les pontes du RPT sont actionnaires, qui en revendent chers aux paysans. Le comble, le riz subventionné vendu à 2010 F est un don de pays amis, dit Gogué. « Pourtant, Faure vous le vend pour que vous votiez pour lui ! ». Il y avait une décortiqueuse de riz à la SORAD, mais Eyadema en bon tribaliste l’a renvoyé à Kara, et depuis la décortiqueuse a cessé de fonctionner. Et le riz de la Savane aussi.
La mouche ne suit pas un anus sec !
Le président Faure Gnassingbé entend engranger un maximum de voix ici d’autant plus que les populations que l’on croyait naïves ne le sont pas pour autant. Le RPT a un slogan terrible dans le coin : «La mouche ne suit pas un anus sec !» Et pour cause, les militants de l’opposition ont des problèmes pour convaincre les électeurs. «Le RPT nous a donné ceci, et toi ? » ou «Ce que nous voulons, c’est manger. Vous voulez prendre le pouvoir pour manger, eh bien donnez, nous voulons manger d’abord », sont les répliques auxquelles sont confrontées les militants sur le terrain. Ils sont désarmés, surtout ceux de l’UFC et du FRAC dans son ensemble. Ils ont demandé à la direction nationale de mettre les moyens. Mais quel parti peut rivaliser avec les moyens du RPT qui sont ceux de l’Etat ? On ne peut agir que sur la conscience, réveiller les consciences endormies.
Il y a pire, dit le militant. Notre campagne est entravée par l’administration locale, de manière très subtile. «Impossible pour nous de louer les moyens de transport, ils ont interdit à tous les transporteurs de le faire, et pourtant nous avons l’argent ; le bureau national a mis les moyens pour la campagne, mais avec notre argent, on n’a pu louer qu’un bus pourri», continue le militant de l’UFC. Le RPT a des stratégies de corruption et de cooptation des cadres, à destination des familles «Dès qu’il y a quelqu’un qui émerge d’une famille, on fait de lui un sous-chef, un notable. Et un notable ça prend des voix, car il est écouté. Cette société est quelque peu féodale », ajoute encore ce militant au sens politique aigu mais avec un niveau d’éducation bas. Bizarre.
La pieuvre politique RPT étend ses tentacules même dans le domaine du commerce. « Si vous êtes reconnu militant de l’opposition, il vous sera impossible de faire des affaires ou de créer une société », se lamente Maurice Kwakuvi, membre du bureau préfectoral de Tône, originaire d’Aného mais de mère Bassar, profondément enraciné dans la culture bassar et moba. «Tous mes projets ont été sabotés. Le préfet m’a appelé un jour et m’a dit pourquoi je suis venu exploiter ses frères ; il m’a dit de ramener le projet chez moi dans le Sud.» M.K, père Guin, mère Bassar. Plus bassar que Guin, plus Nordiste que Sudiste, et pourtant considéré comme un Sudiste. Puissance de l’eau spermatique du père ?
Vu un tel environnement, l’UFC pourra-t-il l’emporter ? « Oui, mais ce sera au coude à coude », dit Kwakuvi. Pourtant, la Savane est une région historiquement favorable à l’opposition. Pour des raisons liées à Sylvanus Olympio, dont la mère était originaire de la Région. La région avait d’ailleurs fourni deux ou trois ministres au premier gouvernement Olympio : Laurent Djagba, Martin Sankarédja. Et aujourd’hui, il y a une forte personnalité dans l’opposition : Professeur Aimé Tchaboré Gogué, président de l’ADDI, natif du Tandjouaré, moba et très populaire ici. Aux législatives 2007, le RPT avait remporté les trois sièges mais Dieu seul sait comment les choses se sont passées. Kwakuvi raconte : «La nuit des législatives, ADDI était devant, avec un siège, l’UFC aussi un siège, il restait un siège qui était disputé entre les trois partis. Mais à 9 heures lundi, les choses ont changé et vous savez comment ? Lamboni Gbiente, de l’UFC et représentant à la CELI, suspendu depuis d’activité au sein du bureau préfectoral, a vendu les voix au RPT. Nos PV ne correspondent pas du tout avec ceux des CELI.»
Maintenant, avec l’argent investi par Faure, les choses sont encore compliquées. Mais cela ne décourage pas l’UFC. «Nous avons l’Ouest du pays, le Tône sera repris par l’opposition, mais c’est à l’est que ce sera difficile, surtout dans la préfecture du Kpendjal, dont les villages sont éparpillés et donc difficilement contrôlable à cause de nos moyens», dit un responsable de l’UFC.
Il y a également l’Oti. Ici, c’est le travail du bureau qui est mis en cause, trop concentré sur Mango Ville, et qui a délaissé des zones comme Gando (chez Natchaba) et Barkoissi », explique un autre militant de l’UFC Oti.
Meeting du FRAC à Dapaong et Tandjouaré
Flash back. En réalité, la stratégie électorale du FRAC est des plus efficaces. Seul le Mandouri, région arriérée pourra voter RPT. Le Tandjouaré est acquis, grâce à Gogué, le Tône relativement. Les deux préfectures respectives sont les plus peuplées. Le Kpendjal est disputé.
Le FRAC a décidé d’agir sur les consciences. Au meeting du FRAC à Dapaong le 22 février, beaucoup sont venus. De leurs propres moyens. Ils n’ont pas été chargés comme des bêtes de somme dans des camions, comme on le voit au cours des meetings du RPT. Patrick Lawson, directeur de campagne de Jean-Pierre Fabre, joue au directeur de conscience. «Mes frères et sœurs musulmans, Si on vous donne l’argent et on vous demande de jurer sur le Coran, ne jurez pas, car Dieu ne vous suivra pas », dit le moraliste improvisé. «Mes frères et sœurs chrétiens, Si on vous donne l’argent et on vous demande de jurer sur la Bible, ne jurez pas, car Dieu ne vous suivra pas, parce que ça fait 40 ans qu’ils prennent tout pour eux et rien pour vous», adresse-t-il aux chrétiens. La Savane est une région ou coexistent pacifiquement plusieurs religions. Les musulmans mangeurs de porc cohabitent et boivent leur coca à la même table que les chrétiens et animistes buveurs de bières togolaises. Le comble, c’est le commerce de la chair dans les hôtels, que pratique tout le monde.
Accueil massif et insolent dans le Tandjouaré. Etonnée, Nathalie E. demande au professeur Gogué: « pourquoi leur avez-vous donné de l’argent pour venir au meeting ? » «Tu es folle, où l’Addi trouvera cet argent ?».
Quant à Fabre, peu éloquent mais toujours mordant, il excelle à démontrer par les chiffres ce que le Président dépense à lui tout seul, en se référant au budget des dépenses en matériel du cabinet du président de la République. L’objectif est de montrer que c’est la corruption, le vol et le gaspillage des ressources, l’incompétence et l’ignorance du clan au pouvoir, qui ont littéralement détruit le Togo, arriéré la Savane. Mais combien de gens dans la foule comprennent grand-chose aux chiffres astronomiques qu’avance le député Fabre ? Visiblement le candidat de l’UFC est comme un albatros dans l’arène. Il est trop sobre, trop technique là où on a besoin d’être emphatique. Il faut au FRAC un harangueur, un verbeux et cet homme c’est Kofi Yamgnane. Mais l’homme de Sursaut-Togo et porte-parole du FRAC, est loin de la Savane. Il s’occupe à retourner un à un les Bassar contre le régime. Il sera rejoint par la caravane du FRAC aujourd’hui à Bassar. «Ca va chauffer dans le Bassar», dit Maurice Kwakuvi, dont la mère est originaire de cette préfecture.
Après la région de la Kara, le FRAC ira à Sokodé, dans la région des centrales. Les Cotocolis votent toujours «nationaliste» mais en 2007 on les a corrompus et on leur a fait jurer sur le coran pour qu’ils votent RPT. Ils l’ont fait, mais cette année, il sera difficile, très difficile pour les pontes cotocolis du régime de le faire une fois encore. Faure leur a «offert un stade de 300 millions Cfa ». Mais les Cotocolis n’y croient pas trop. «Ce n’est pas l’argent de Faure, c’est celui de Kadhafi», disent-ils. C’est pourquoi, le stade qui devrait s’appeler Faure Gnassingbé est finalement rebaptisé «Essofa», car les gens là-bas ont réitéré leur menace : «Si vous mettez Faure, on va écrire UFC partout». Du tac au tac.
Décidément, la lutte a changé de méthode. Tout le Nord est en train d’être bouleversé par une campagne des plus stratégiques. Le FRAC composé pour l’essentiel de partis qui ont leur fief dans le Nord se charge de briser l’électorat supposé de Faure Gnassingbé. Et la mayonnaise est en train de prendre. L’UFC n’y avait jamais pensé, cette stratégie d’alliance avec les partis du Nord, car « le FRAC réalise ce que Péré demande au RPT depuis des années, à savoir la création d’une vraie nation autour d’un vrai projet national. A travers la démarche du FRAC, tout le pays semble emballé dans un processus de changement», dit Nathalie E, une militante de Synergie.
Sefenya Dzaké MO5