Le Lynx a eu un entretien avec l’économiste et Directeur du groupe de réflexion, d’action et d’influence « Afrology », Dr Yves Ekué Amaïzo, un habitué de la presse internationale. Dans cette longue, très longue interview, le Lynx vous en livre le contenu en dossier spécial.
Ici l’économiste décortique la très mauvaise gouvernance togolaise sous Faure. De la difficulté d’investir en passant par la lourde dette du Togo, l’économiste brosse, s’interroge et propose. Faure va-t-il enfin l’écouter, ou va-t-il continuer par faire de la fuite en avant. L’interview est un condensé de tout le drame de la pauvreté au Togo qui prend l’allure d’une fatalité . Dossier spécial : « D’après la Banque africaine de Développement, le solde de la balance courante en 2008 pour le Togo était négatif avec un record de -212 millions de $US soit -123 108 millions de FCFA. Pour 2010, le déficit serait autour de -6,7 % du PIB (Economist intelligence unit, avril 2010), ce qui veut dire que les revenus de l’Etat avec les dons reçus moins les dépenses et les arriérés de paiement demeurent négatifs. Faut-il rappeler qu’il n’était que de -77 million de $US soit -44 513 millions de FCFA en 2005 lors de la prise de pouvoir sans vérité des urnes de Faure Gnassingbé ? Depuis 2005, le Togo n’a jamais réussi à avoir un solde de la balance commerciale positif avec, en 2008, -578 millions de $ US soit -335 424 millions de FCFA. Alors la bonne nouvelle dont vous parlez relève plus de l’ignorance de la réalité des chiffres de l’endettement du Togo. » à lire et à méditer. Bonne Lecture ! Interview réalisée par Camus Ali Lynx.info
Lynx.info : Qu’est-ce que la situation socio-politique actuelle au Togo fait courir comme risques en termes d’investissement ?
Dr Yves Ekué Amaïzo: Je vous remercie pour l’invitation. Il y a lieu d’abord lieu de préciser que selon la Conférence des Nations Unies pour le Développement et le Commerce (CNUCED), les conséquences de la crise financière de 2008 sur les pays en développement et en transition ont fait chuter de 39 % l’investissement étranger direct vers ces régions et près de 67 % pour l’Afrique au cours du 1er trimestre 2009 (UNCTAD, World Investment Report 2009: Transnational Corporations, Agricultural Production and Development).
Le Togo paradoxalement est sur une tendance baissière bien avant la crise financière entre 33 % du PIB en 2000 à 31,4 % en 2008 malgré la zone franche. Il faut aussi constater que le type d’investissement contribue de moins en moins à la formation de structure pérenne (de 19 % à 13,1 % de la formation du capital fixe brut entre 2006 et 2008) et préfère des bénéfices de court terme à des fins de rapatriements et d’investissement dans le pays, encore moins en termes de redistribution sous forme de salaires ou emplois. Cela se ressent sur la chute du revenu national (PIB) qui est passé sous la gouvernance de Faure Gnassingbé de 3,2 % en moyenne entre 1995 et 2005 à 2 % en 2010 (Banque mondiale, Perspectives économiques régionales 2010: p 161).
Il faut donc ne pas séparer les analyses portant sur la politique, la démocratie et l’économie car les premières influent directement sur la dernière. Au plan de l’investissement, c’est la confiance qui prime. Les investisseurs de long terme fuient le Togo et ceux de court terme tendent à faire des affaires en évitant de s’inscrire dans un moyen ou long terme. Au delà de ce risque de manque à gagner en termes d’investissement étranger direct y compris en provenance des pays africains, le climat d’investissement délétère tend à attirer des affairistes de moins en moins éthiques, voire mafieux, ce qui nuit à la transparence. Certains possèdent d’ailleurs le passeport diplomatique togolais dont ils font usage en Occident échappant ainsi souvent à la fiscalité dans leur pays d’origine. L’absence de séparation des pouvoirs entre le pouvoir exécutif et les pouvoirs judiciaires tend à faire fuir les investisseurs des petites et moyennes entreprises alors que les entreprises multinationales ne sont guère touchées par ce problème puisqu’elles traitent en direct avec l’exécutif lequel n’hésite pas alors à faire des concessions importantes sur la fiscalité et la législation sociale, ce qui fragilise l’argument de la création d’emplois, puisque les emplois créés sont souvent précaires avec des salaires bas… Ainsi, en ne soutenant pas le pouvoir d’achat des travailleurs togolais, le Togo semble tomber dans le piège d’attirer des investisseurs étrangers à influence forte qui réduisent d’ailleurs considérablement la marge de manœuvre du gouvernement et à la marge, la souveraineté effective de l’Etat.
Le Togo risque simplement d’institutionnaliser un environnement non favorable des affaires, ce que confirme le dernier rapport de « Doing Business in Africa 2010 ». Les investisseurs sérieux font de moins en moins confiance aux autorités togolaises alors que le risque pays est relativement élevé, ce qui augmente le coût du crédit auprès des institutions financières pour investir au Togo. Il y a d’ailleurs un problème important quant à la demande de garantie souvent de l’Etat pour attirer les investisseurs étrangers téméraires. Ceci est d’autant plus dommage que le peuple togolais est considéré comme accueillant et travailleur avec des compétences en interne comme dans la Diaspora et qui s’adapte rapidement.
La situation socio-politique actuelle au Togo contribue à réduire la confiance des potentiels investisseurs pour choisir le Togo comme une terre d’investissement à moyen et long terme. Ce sont donc de nombreux emplois, des salaires mais aussi les innovations et la création de richesses qui se perdent du fait de la situation politique et électorale. L’absence de vérité des urnes ne trompe pas les investisseurs attachés à la responsabilité sociale de l’entreprise et, malheureusement, le résultat est qu’ils décident d’aller investir ailleurs… La mission d’un futur gouvernement passe par une stabilisation de la situation politique qui ne peut être unilatérale. Le cadre légal et l’environnement des affaires ne peuvent être structurés uniquement pour faciliter le commerce et l’exportation sans le développement dans la proximité des capacités productives créatrices d’emplois décents et de pouvoir d’achat.
Lynx.info : Dr Amaïzo, la Banque Mondiale (BM) vient de mettre 18 milliards de FCFA pour le Togo. Pour le Togolais ordinaire c’est une bonne nouvelle. Vous êtes aussi du même avis ?
Il faut préciser votre question car le groupe de la Banque mondiale a des guichets du secteur privé, un guichet de fond concessionnel et un guichet de prêt avec des conditions d’accès alignées sur le marché international. Il s’agit vraisemblablement des tranches de décaissements signés dans le cadre de demande de soutien budgétaire de l’Etat. Avec un solde de la balance courante du Togo structurellement déficitaire depuis 1995 avec une moyenne de -9,6 % du revenu national (PIB) entre 1995 et 2005, il faut constater qu’au cours de la gouvernance de Faure Gnassingbé, on est passé à un déficit moyen entre 2005 et 2010 estimé à -7 %, avec un trou en 2008 de -11,2 % du PIB (selon la Banque mondiale, PER 2010, p. 161).
D’après la Banque africaine de Développement, le solde de la balance courante en 2008 pour le Togo était négatif avec un record de -212 millions de $US soit -123 108 millions de FCFA. Pour 2010, le déficit serait autour de -6,7 % du PIB (Economist intelligence unit, avril 2010), ce qui veut dire que les revenus de l’Etat avec les dons reçus moins les dépenses et les arriérés de paiement demeurent négatifs.
Faut-il rappeler qu’il n’était que de -77 million de $US soit -44 513 millions de FCFA en 2005 lors de la prise de pouvoir sans vérité des urnes de Faure Gnassingbé ? Depuis 2005, le Togo n’a jamais réussi à avoir un solde de la balance commerciale positif avec, en 2008, -578 millions de $ US soit -335 424 millions de FCFA. Alors la bonne nouvelle dont vous parlez relève plus de l’ignorance de la réalité des chiffres de l’endettement du Togo.
Le Togolais devrait demander au Ministre de l’économie et des finances des explications approfondies sur l’utilisation effective de ces sommes, les délais de grâce obtenus et la partie de cet argent qui retourne vers les pays occidentaux sous forme de remboursement de prêt, d’achat d’équipements en provenance de l’Occident et le financement des experts internationaux. Il n’y a pas de mal à cela si les fonds servent à construire le Togo ou à permettre la création de richesses ou l’augmentation des compétences et savoir-faire dans le pays. Je serais donc plus prudent sur l’argent qui vient de bailleurs de fonds qui ont introduit le plan d’ajustement structurel et les privatisations sans mesure d’accompagnement et qui ont conduit le Togo vers une dépendance accrue vis-à-vis des bailleurs de fonds. La marge de manœuvre budgétaire restreinte ne permet pas véritablement de répondre aux multiples attentes des populations surtout lorsque la corruption petite ou grande, échappant aux statistiques officielles, n’est pas répertoriée. La démocratie économique c’est aussi rendre des comptes aux populations et favoriser des arbitrages qui vont dans le sens de l’autodétermination économique. Il faut aussi dire que s’il faut rembourser ses prêts avec 5 ou 10 ans de délai avec des taux d’intérêts, des commissions d’engagements et autres frais, alors le poids des erreurs économiques d’aujourd’hui limitera la marge de manœuvre des générations futures.
Entre-temps, si le Togo n’utilise pas cette somme pour construire ses capacités productives afin de générer de l’argent, alors il va de soi que le Togo s’installe dans l’endettement en vivant à crédit et au-dessus de ses moyens. Ce serait une bonne nouvelle si cet argent créait des richesses au Togo pour le peuple togolais… Là dessus, il faut demander à ceux qui gouvernent le Togo d’apporter des explications et les moyens de vérifier librement ce qu’ils annoncent en dehors des intimidations habituelles.
Lynx.info : Il paraît que le Togo est très endetté et selon « Doing Business » classé au 165e rang. Avez- vous une idée de la dette du Togo et pourquoi ce pays à défaut de faire du surplace fait des bonds à reculons ?
Il ne « paraît » pas que le Togo est très endetté. Le Togo EST très endetté et est inscrit sur la liste d’annulation des dettes des pays créanciers intitulé le Programme des Pays Très Endettés, le fameux PPTE. Mais il y a de nombreuses conditionnalités à remplir qui ne sont pas nécessairement à l’avantage des populations. Ce n’est pas le rapport que vous citez qui traite de la dette en soi. « Doing Business » traite plus particulièrement de l’environnement des affaires tant sur le plan légal, institutionnel que politique pour réduire les coûts de transaction pour faire des affaires au Togo. C’est dans « Global Finance Development 2009 » de la Banque mondiale que vous pourriez lire exactement le niveau d’endettement du Togo mais d’autres institutions offrent les données à partir des recoupements avec le Ministère de l’économie et des finances du Togo.
Selon la Banque africaine de développement, la dette extérieure totale du Togo était de 1 906 millions de $ US en 2008 soit environ 195 $ US par Togolais (113 000 FCFA) que chaque Togolais doit débourser pour solder entièrement et instantanément la dette du Togo. Cette dette est entièrement publique et on ne peut reprocher cela au secteur privé, bien marginalisé au Togo. On peut se demander quelle gestion des affaires économiques de l’Etat a contribué à un tel résultat ? On ne peut donc parler de bonne gestion. Les solutions passent donc par des alternatives et surtout des anticipations et analyses stratégiques qui permettent d’éviter de recommencer de telles erreurs.. Car si certains fêtent le cinquantenaire de l’indépendance togolaise, il faut se demander quelle sera la dette du Togo d’ici 50 ans, soit en 2060, si la gestion du Togo doit continuer dans l’état… Je vous laisse calculer le niveau d’endettement qui sera tel que rien n’empêchera que le Togo en tant qu’espace ne soit vendu pour solder les dettes… Certains pays comme Madagascar ont commencé à céder la terre à des investisseurs étrangers mais à l’allure où se traitent les affaires en toute non transparence, il n’est pas impossible que le Togo soit vendu d’ici 50 ans… Il faut que la population togolaise insiste que le Togo n’est pas à vendre surtout si cette population n’est en rien responsable des erreurs d’arbitrages économiques qui ont conduit à l’endettement du pays.
A ce titre, il importe de rappeler que la gouvernance du Togo entre 2000 et 2007 a augmenté l’endettement du pays. Cela fait que chaque Togolais qui est censé recevoir 18 $US par habitant (soit environ 10 000 CFA par habitant) en provenance de l’aide publique au développement envoyée au Togo en 2007 n’en voit pas la couleur…. Au delà des chiffres, c’est bien l’accumulation de la dette qui pose le problème de la bonne ou mauvaise gestion des comptes de l’Etat avec les inégalités qui tendent à se concentrer autour de quelques familles et reposent sur la force militaire. Le vrai problème est que la gestion patrimoniale de l’Etat témoigne d’une incompréhension des mécanismes économiques de création de richesses pérennes fondées sur le développement des capacités productives et une répartition plus équitable du pouvoir d’achat entre les Togolais et Togolaises. L’appui tacite en provenance d’un réseau d’affairistes ayant des entrées dans les partis politiques et les gouvernements occidentaux tend à rendre encore plus difficile une gestion transparente au service des populations.
En fait, le Gouvernement se comporte comme s’il était en sous-traitance en donnant la priorité aux intérêts étrangers. Ces derniers, adeptes des la fameuse « Françafrique » lui retourneraient l’ascenseur en l’assurant de leurs soutiens jusqu’au dans l’exécutif de certains pays occidentaux. Mais cet automatisme pourrait ne pas fonctionner comme avant en référence au Gabon justement du fait des mécontentements qui pourraient ne plus pouvoir être canalisés.
Lynx.info : Pouvez-vous levez le voile sur le Fonds Européen de Développement (FED), dont est bénéficiaire le Togo et pourquoi la population ne voit pas les retombées de ces aides ?
Il n’y a aucun voile à lever car il s’agit d’une institution publique de l’Union européenne qui sur la base de l’argent des contribuables européens soutient le développement structurel de l’Europe. Dans le cadre de ses attributions élargies et en souvenir des liens historiques tumultueux entre certains pays européens et l’Afrique et comme s’il s’agit de faire une sorte de mea culpa sur les méfaits de la colonisation et l’exploitation, le FED peut offrir des financements spécifiquement pour des projets à long terme à des conditions avantageuses. Il s’agit de prêts concessionnels ou de dons.
Suite aux longues années d’embargo mais aussi de mauvaise gestion, tous les secteurs de l’économie togolaise sont dans le rouge en termes de création de richesse. L’administration nationale qui devrait être un soutien aux populations et au secteur privé est devenu un poids, voire un handicap pour produire de la richesse. Le résultat se retrouve au niveau des indicateurs sociaux de moins en moins bons. Le FED soutient en principe les pays démocratiques avec des élections libres et transparentes, ceci en ligne avec les accords de Cotonou signés entre l’Union européenne et les pays d’Afrique, Caraïbe et Pacifique (ACP). Le programme du FED pour 2008-2013 se propose d’aider le Togo au plan macroéconomique sous la forme de prêts concessionnels ou dons sous quatre formes principales sous le 10e FED :
• aide budgétaire sous la forme de l’appui à l’amélioration de la gouvernance et soutien aux réformes institutionnelles et économiques… Il est d’ailleurs question de renforcer l’Etat de droit et la démocratie tout en améliorant la gestion des finances publiques… Avec la crise électorale actuelle, le FED devrait certainement réviser ses critères d’allocations de ressources ou mieux choisir les gens auxquels il confie l’argent des contribuables européens ;
• aide projet ou aide programme pour soutenir l’amélioration des infrastructures avec en filigrane le redressement économique avec une priorité particulière pour l’intégration régionale notamment avec les connectivités dans les transports, l’amélioration de l’environnement et l’infrastructure sanitaire y compris le traitement et le recyclage des déchets ménagers ou industriels et en tentant d’introduire des projets à forte intensité de main d’œuvre afin de contribuer à la réduction du chômage ;
• aide financière sous forme de transfert de fond pour solder une partie des arriérés de la dette extérieure afin d’empêcher la défaillance de l’Etat togolais vis-à-vis de la communauté financière internationale et pouvoir se qualifier sur les programmes de réduction ou d’annulation de la dette notamment sous le contrôle du Fond monétaire international ;
• aide spécifique vers l’augmentation du rôle des organisations de la société civile (OSC) notamment pour ce qui est des initiatives qui recouvrent des questions transversales (environnement, genre, SIDA, microfinance/microcrédit, etc.)
Rappelons que les interventions du FED comme au demeurant de la Banque européenne d’investissement au Togo ne deviendront réellement réalité que si les arriérés de dettes de l’Etat emprunteur sont apurés.
Sur les grands objectifs, il n’y a en principe pas de problème. La réalité est que l’essentiel de ces fonds passent par l’Etat et cet Etat togolais souffre de légitimité auprès d’une grande majorité de la population, et de défiance auprès des investisseurs étrangers avec des doutes en provenance des bailleurs de fonds de la communauté internationale…
Mais avec la nouvelle approche du Gouvernement chinois fondée sur l’absence de « conditionnalités politiques » et le rôle des fonds arabes qui financent plus sur une base d’affinité religieuse avec l’islam, il faut croire que d’ici une demi-douzaine d’années, les fonds structurels comme ceux provenant du FED pourraient venir de l’Asie notamment de la Chine avec les risques que cela comportera sur les engagements cachés et une immigration massive jaune sur le sol africain.
Lynx.info : Pour le pouvoir au Togo, il faut éponger d’abord la dette intérieure….
Oui, le Gouvernement a parfaitement raison. Je soulève ce point depuis 1998 dans mon premier livre portant sur « De la dépendance à l’interdépendance » où je demande de favoriser l’économie de proximité. Il faut surtout éviter que cette dette intérieure ne se reconstitue justement parce que le Gouvernement n’honore pas ses engagements vis-à-vis du secteur privé. Dans les faits, il y a beaucoup d’interférences de l’Etat et ses relais dans les procédures judiciaires.
Mais le Gouvernement, sur la base des soutiens venus de l’extérieur, a décidé de rembourser environ 320 milliards de FCFA (selon le site gouvernemental du Togo) en 2009, montant de la dette intérieure officielle. Le problème est que la cessation de paiement par l’Etat a conduit plusieurs sociétés à la faillite ou à se retrouver en créances douteuses ou irrécouvrables dans les comptes des banques qui ont financé les entreprises sur la base des créances des entreprises sur l’Etat… Il n’est pas sûr que cela va faire ressusciter les entreprises fermées mais pour les entreprises qui ont survécu, cela peut être une véritable bouée de sauvetage sauf qu’une partie des ces remboursements se font faits sur des bases électoralistes… Le pouvoir togolais a contribué à l’accentuation de la concentration des inégalités.
Lynx.info : Les Togolais voire le Gouvernement ne comprennent toujours pas pourquoi leurs ressources (phosphates, ciment, port, etc.) ne suffisent pas pour les sortir de la misère. Comment l’économiste que vous êtes l’explique ?
Quand les comptes d’amortissements, de renouvellements d’équipements par exemple alimentés normalement par le comptable de l’entreprise gérant ces ressources ne servent plus à amortir ni à renouveler l’équipement, il y a des interventions de l’Etat qui gênent la bonne gestion de l’entreprise. Quand les comptes du port ne peuvent faire l’objet d’audit avec la participation de la société civile et que les fonds ne vont pas directement dans le financement des services de santé, alors il y a déperdition dans les transferts… Bref, c’est bien un manque de transparence et de vérité des comptes qui explique d’abord l’impossibilité de porter un jugement objectif et crédible sur les chiffres fournis aux médias.
Mais, comme mentionné précédemment, c’est bien une mauvaise compréhension de la dynamique systémique de création de la richesse qui pose problème. On devrait après plus de 40 ans d’exploitation du phosphates par exemple disposer d’un chaîne d’entreprises liées à ce produit avec des pôles d’agglomérations production et de création d’emplois. L’anticipation et la gestion à vue ont fait la différence.
Il y a en fait une gestion patrimoniale des structures productives… Dans le cas du ciment, on peut s’interroger sur les coûts engendrés par les expertises internationales alors que des expertises régionales peuvent faire l’affaire… On peut s’interroger sur l’opportunité parfois de s’approvisionner sur le marché international où le prix du ciment est plus compétitif et se contenter de faire de l’emballage dans l’entreprise… Enfin, il y a lieu de s’interroger aussi sur les nuisances environnementales notamment la fumée pour l’usine de ciment, la pollution de la mer par les mines et la transformation du phosphate avec les conséquences sur les pays voisins…
Au plan de la gestion interne, les dirigeants de ces entreprises ont souvent du mal à obtenir des actionnaires et de l’Etat les ressources promises tout en n’ayant pas de contrôle sur les rentrées d’argent… Gérer dans ces conditions reste une gageure… Il suffit de rappeler que le phosphate est un secteur parfaitement rentable pour la Tunisie.
Enfin, les conséquences indirectes des programmes d’ajustement structurels imposés sans nuances et sans accompagnement ont conduit à un démantèlement de l’appareil productif avec pour objectif de faciliter les transferts de propriété par les privatisations. Paradoxalement et face à la « vache à lait » que constitue le port, les phosphates… au Togo, les pratiques gouvernementales ont opté pour des circuits informels, ce qui fait que les bailleurs de fonds eux-mêmes ne savent plus trop ce qui relève de l’exactitude des comptes et ce qui relève des annonces proposées par un Etat souverain… qui n’oublie pas au passage ses relais clientélistes. Pris en étau entre la priorité donnée à leur intérêts sur ceux de la population, il ne reste plus que le silence et la légitimation pour faire perdurer le système. Faire semblant de ne pas en prendre conscience relève de l’illusion, cette forme de rêve que certains s’évertuent à administrer au peuple togolais en organisant systématiquement un système d’accaparement des pouvoirs et en offrant l’union nationale et le pardon en guise d’arrangement qui neutralise les résistances pour refonder les bases d’une gouvernance économique au service des populations.
Lynx.info : Sur le journal online Afrology vous énumérez quelques pistes pour sortir le Togo de la crise. L’idée peut toujours être d’actualité quand la Cour constitutionnelle a depuis donné son verdict ?
Afrology est un groupe de réflexion, d’actions et d’influence organisé sur forme d’association, pour ramener la vérité et faciliter l’avènement d’une société de confiance. Les analyses s’y font sur la base de l’Afrocentricité, du point de vue des Africains par opposition à l’occidento-centricité… C’est donc plus qu’un journal en ligne.
Le fondement des analyses de sortie de crises politico-économiques au Togo après 43 ans d’une gestion patrimoniale reste toujours hypothétique. Mais personne ne peut remettre en cause le besoin de créer une société de confiance sur la base de la vérité des urnes et de la vérité des comptes de l’Etat. C’est aussi cela la responsabilité que de rendre compte de sa gestion à la population avec les possibilités de contrôle par les représentants indépendants de la société civile. Vous savez qu’il n’y a pas de séparation de pouvoir entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif et que les représentants des partis de l’opposition, qui ont signé l’accord global de Ouagadougou, se sont bien fourvoyés en ne prenant pas au sérieux ces négociations et en croyant au passage en force… car il suffit alors d’une manipulation intelligente des votes, du fichier, des bulletins de vote et des calculs par des institutions dont les membres sont désignés ou acceptés unilatéralement par l’Etat pour comprendre la profondeur et la responsabilité des partis qui ont participé à cette aventure.
La solution du Togo ne peut faire l’économie de la vérité des urnes… Celle-ci se décline en court, moyen et long terme…. Que ce soit dans les semaines qui viennent que le pouvoir sortant décide d’enclencher un processus de transition et donc de réconciliation pour de nouvelles élections présidentielles, que ce soit dans le cadre d’un gouvernement d’union nationale qui dissout le parlement ou organise des élections législatives et communales ou encore s’il faut attendre les prochaines élections présidentielles en 2015 selon la constitution, la vérité des urnes devra s’imposer pour qu’émerge enfin une société de confiance au Togo. Oui, la mise en place d’un mouvement citoyen soutenant la vérité des urnes n’est pas tributaire des arrêts de la Cour constitutionnelle surtout quand celle-ci se voit confier la tâche de devenir le prolongement de la loi fondamentale togolaise. En effet, 15 jours après la décision finale, Faure Gnassingbé aurait dû prêter serment. Pour des raisons inconnues, il a été demandé à la Cour constitutionnelle de prolonger le délai au 3 mai 2010, date de la fin du mandat en cours de celui qui s’est hissé à la tête de l’Etat togolais en 2005 suite à un bain de sang, des morts et des blessés avec une impunité totale.
Le Togolais et la Togolaise doivent aussi faire de l’autocritique sur les comportements d’opportunisme politique malgré les résultats peu glorieux en économie et le nombre de pauvres avoisinant les 65 % de la population. Mais il est vrai que le manque d’unité chronique des chefs des partis de l’opposition font du Togo le pays où les chefs de l’opposition refusent de pratiquer les règles simples d’unité d’action, d’anticipation et d’organisation collective des programmes communs et donc de candidature commune pour réussir une alternance. Ce péché d’orgueil fractionne les efforts… le Collectif pour la vérité des urnes a pour objet d’aider à retrouver, peut-être, cette unité d’action… Mais comme il s’agit d’une résistance marathon au service des populations togolaises, il est clair que si les résultats économiques passés en 5 ans se renouvellent dans les 5 années qui arrivent, il y aura toujours un peu plus de Togolais et de Togolaises pour soutenir les actions qui vont dans la direction de la Vérité des Urnes.
Lynx.info : Vous épinglez tour à tour l’UE qui a financé les élections au Togo, la CEDEAO, l’UA qui semblent tous reconnaître la victoire de Faure. Que leur reprochez-vous ?
Le mot « épinglé » n’est pas commun dans mon vocabulaire. Par ailleurs, ce n’est pas la mise à disposition d’un financement en provenance des contribuables européens qu’il faut critiquer… C’est le fait qu’une grande partie du budget est en fait transmise quasiment sans contrôle par la société civile et les partis politiques dans les mains de l’Etat, qui devient juge et partie. Avec l’absence de séparation des pouvoirs, l’UE a finalement fourni des fonds à des structures intermédiaires comme l’Agence française de développement (AFD) et le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) qui sous-traitent à un maître d’œuvre qui n’est personne d’autre que l’Etat togolais… Ce dernier met en place la Force d’intervention sécurité électorale 2010 qui blesse plus de 100 personnes lors d’une veillée pacifique, enlève des manifestants, fait main basse sur des données prouvant les résultats obtenus par certains partis, refusant de libérer encore 4 prisonniers politiques sans compter ceux anonymes qui n’ont pas pu faire parvenir leurs doléances… Oui, l’UE a financé la confusion électorale au Togo et devrait penser à prendre sa part de responsabilité dans le retour à la vérité des urnes. En attendant que les factures des soins de la centaine de blessés soient payées en dernier ressort par l’UE, il importe de rester vigilant sur le rapport final de ses observateurs, lesquels, pour le moment, sauvent en partie la crédibilité de l’UE.
Pour ce qui est de la CEDEAO et de l’UA, je partage le sentiment général d’une majorité des Togolais qui ne voient plus à quoi servent ces institutions dans le domaine électoral. Il leur est reproché de n’être pas en mesure d’observer correctement les élections et de s’empresser sans preuves à 1’appui de déclarer vainqueur le candidat qui appartient au syndicat des chefs d’Etat. Cet alignement automatique sur les dirigeants des pays non sans s’être assuré que cela aura l’assentiment de quelques pays européens nous amène à ne plus souhaiter la présence des observateurs de ces deux institutions au Togo dans le futur. Malheureusement, c’est le Gouvernement qui décide de les inviter selon des termes de référence qui pourraient se résumer en « légitimation, mode d’emploi ». Il est reproché à ces deux institutions d’être partiales, et de n’avoir observé qu’un nombre lilliputien de bureaux de vote, sans d’ailleurs avoir pu voir grand-chose. C’est en fait la crédibilité de ces institutions qui est en cause et cela pourrait servir d’amorce pour reconsidérer la participation du Togo à des institutions qui méprisent la vérité des urnes en cas de véritables changements dans le pays.
Lynx.info : Pour beaucoup de Togolais, le spectre des années de crise est de retour avec les élections du 4 mars 2010. Êtes-vous du même avis ?
Avec le financement de l’Union européenne, la vigilance des Togolais et Togolaises de la Diaspora, la volonté d’une Togolaise et d’un citoyen français de mener une grève de la faim pour aider au retour de la vérité des urnes, la réalité d’une partie de l’armée républicaine et les exemples de coup d’Etat démocratiques au Niger par exemple font que tout renouvellement de l’expérience sanglantes et malheureuse postélectorales en 2005 ne devraient pas avoir lieu. Il y a malgré tout une sorte de recherche de solutions qui ne trouvent pas preneur. Le Togo n’est pas le Gabon, ni la Guinée. Les velléités d’aller vers l’expérience du Kenya reste importantes même si rien n’exclut l’expérience du Niger. Mais en tant que pacifiste, il faut donner le temps au temps et laisser les Togolais et Togolaises décider s’il y a lieu de démontrer pacifiquement leur soutien à la vérité des urnes.
Il sera tôt ou tard question de clarifier le jeu politique des pays, entre ceux qui défendent la vérité des urnes sur la durée et ceux qui préfèrent des arrangements circonstanciels, souvent monétaires, qui ont produit le serpent électoral où la démocratie palliative et de façade gérée par une junte militaro-civile et une opposition fractionnée sur la valorisation des égos a survécu. Une dose de fatalité devra nécessairement rentrer en jeu pour arrêter le mépris du peuple togolais par les uns et les autres, nationaux comme internationaux comme Africains.
Lynx.info : Merci
Non c’est moi.
Interview Camus Ali Lynx.info