Même si notre pays est malheureusement encore un état de non-droit, nous avons espoir…
Un malheureux jeune homme, une vingtaine environ, nu comme au jour de sa naissance, physiquement marqué par apparemment des jets de pierres et des bastonnades de toutes sortes, essaie encore de tenir sur un morceau de brique. Entourée par une foule hurlante et menaçante, la victime du jour se libère d´un pneu qu´un de ses bourreaux vient de lui lancer autour du cou.
Une image choquante dont le caractère inhumain m´oblige à arrêter la vidéo et à la supprimer de mon portable. Car aucun être humain en possession de tous ses sens ne peut supporter une telle inhumanité, une telle barbarie quel que soit ce qu´on peut reprocher à la victime.
Pourtant, depuis plusieurs mois ça devient une habitude à Lomé, que des supposés voleurs de motos ou d´autres biens sont poursuivis, rattrapés par la foule et passés à tabac pour les plus chanceux, lynchés et brûlés pour les plus malheureux.
Avec le développement d´internet et la prolifération des réseaux sociaux l´information circule assez rapidement de nos jours et c´est ainsi que nous sommes presque quotidiennement envahis par de telles images qui normalement ne peuvent et ne doivent laisser personne indifférent.
Ce jeune homme dont j´ai décrit le calvaire au début n´est qu´un exemple parmi des dizaines de cas de lynchages publics. Hélas! Ce jeune homme sans défense, entouré d´une foule sûre de son impunité, va sans doute rendre l´âme dans quelques minutes, mis à mort de façon aussi inhumaine que violente par certains de ses compatriotes comme s´ils en avaient le droit.
Ce malheureux est pourtant un être humain, un togolais né dans son pays de parents en chair et en os comme nous, des parents comme tous les parents du monde qui avaient espoir que leur rejeton vive et fonde à son tour une famille.
Quel est le sens de tout cela? Où est l´autorité qui doit veiller à la sécurité de ses administrés?
Le rôle d´un gouvernement dans tous les pays du monde n´est-il pas de faire en sorte que des moyens soient déployés pour que ses citoyens puissent se nourrir, s´habiller, se soigner, s´éduquer, éduquer leurs enfants et se sentir en sécurité dans le pays qui les a vus naître?
Ce qui se passe n´est rien d´autre que l´illustration de la démission de l´État qui doit veiller à la sécurité des citoyens sur toute l´étendue du territoire national.
Certains me diront que les autorités font des efforts pour arrêter ce phénomène. Mais où sont les résultats? Pourquoi les lynchages publics continuent de plus belle? Si ceux qui se livrent à ce genre d´auto-justice étaient arrêtés, jugés et sévèrement condamnés, ils ne seraient pas de plus en plus sûrs de leur impunité. Si au lieu de diminuer, le malheureux phénomène trouve toujours des adeptes et a lieu presque toutes les semaines, nous ne pouvons que dénoncer le laxisme et l´incompétence des soi-disant autorités.
Et là où le bât blesse c´est que ces scènes de lynchages de présumés voleurs sont suivis par des « spectateurs »parmi lesquels on trouve des mineurs et des enfants de très bas âge. Des enfants qui vont grandir avec ces images et cette culture de la violence en tête, ne risquent-ils pas à leur tour de croire que c´est tout à fait normal de se faire justice?
S´il n´est pas rapidement mis fin à ce genre de débordements avant que le phénomène ne fasse école dans les villes de l´intérieur, ne risquons-nous pas de voir grandir toute une génération de citoyens dont le premier réflexe au moindre pépin sera l´utilisation de la violence?
Le gouvernement doit être interpelé par une telle recrudescence de la violence qui ne ressemble pas au Togolais, et prendre des mesures fortes pour juguler ce mal qui risque de faire encore plus de ravages au sein d´une société togolaise déjà mal en point.
C´est possible que les autorités de fait de notre pays se soient déjà penchées sur la question, mais quand les résultats ne suivent pas c´est que mauvaise volonté politique et incompétence s´y sont invitées.
Quand en football l´entraîneur remarque que son équipe ne joue pas bien, il change de tactique.
C´est pourquoi je crois qu´on peut s´investir autrement.
Accompagné par exemple de magistrats, de défenseurs des droits de l´homme, le ministre de la sécurité peut organiser des campagnes de sensibilisation dans tous les quartiers concernés ou non par ce nouveau fléau. Campagnes au cours desquelles les chefs de quartiers seront responsabilisés. Aux populations, magistrats et spécialistes des droits de l´homme auront à expliquer la loi et surtout le caractère sacré et l´intouchabilité de la vie humaine.
En outre les responsables des départements concernés pourraient organiser des patrouilles de policiers ou de gendarmes de jour et de nuit et ces forces de l´ordre mobiles devraient travailler avec les responsables de quartiers. Et ces chefs de quartiers, quand la patrouille est ailleurs, auront pour tâche de récupérer les potentiels « candidats » au lynchage pour les remettre à la police.
De sévères sanctions devraient être prévues pour les policiers, gendarmes, commissaires de police ou autres responsables qui seraient complices de tels actes de barbarie en n´intervenant pas pour sauver les présumés voleurs du lynchage.
S´il y a des citoyens qui pensent que cette façon de se rendre justice est une bonne chose, ils se trompent, car la violence appelle la violence et que chaque société a et aura toujours ses brebis galeuses,hélas! les vols et les braquages ne s´arrêteront pas parce que les présumés coupables sont mis à mort publiquement.
La pratique de la peine de mort dans plusieurs états des États Unis d´Amérique a-t-elle dissuadé les criminels de commettre leurs crimes?
C´est le lieu de rappeler la nécessité du travail en amont qui doit consister à éduquer, à encadrer et à faire apprendre aux jeunes qui quittent l´école des métiers qui donneront un sens à leur vie.
Mais avant de parler de métiers il faudrait qu´il y ait des centres d´apprentissage dignes de ce nom qui devraient être financés par des fonds publics ou par des ONG sponsorisées par le gouvernement. Ce serait à ce prix que le niveau de délinquance pourrait sensiblement diminuer.
Mais en attendant que mes rêves deviennent réalité, il faudrait que cette mentalité dont l´exemple vient du sommet de l´état et qui consiste à se servir d´abord, fasse place à une gestion rigoureuse des ressources du pays dont les retombées profiteront aux populations pour lesquelles les dirigeants sont supposés être là.
En attendant donc des lendemains meilleurs l´urgence de l´heure consiste à trouver des solutions rapides pour venir à bout de ce mal artificiel qui ne cesse de décimer dans les rangs de la jeunesse togolaise.
Et quel que soit le niveau de défaillance ou de démission d´un état, comme c´est le cas au Togo, nous espérons qu´il puisse lui rester un brin de dignité, d´amour et surtout d´humanité pour protéger ses populations.
Même si notre pays est malheureusement encore un état de non-droit, nous avons espoir qu´il puisse exister encore quelques pans de droit qui tiennent encore debout et qui pourraient permettre, pour des raisons humanitaires au moins, de prendre des mesures afin de sauver des présumés coupables de quelque crime que ce soit de la vindicte populaire. Il y va de l´image de notre pays, il y va surtout de la vie humaine tout court.
Samari Tchadjobo
Allemagne
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