Pétition pour une monnaie africaine au service des économies et populations africaines en zone franc et ailleurs
Créé le 25 décembre 1945 pour consolider le joug colonial français, le franc des colonies françaises d’Afrique (CFA), devenu plus tard franc de la communauté financière africaine, par sa durabilité extrême et sa rigidité anachronique, est au centre de vives et ô combien légitimes critiques depuis plusieurs décennies.
Instrument importé et imposé par la France, comptable en partie d’un non-développement chronique de sa zone d’influence, il prive les pays africains d’immenses ressources monétaires indispensables à leur développement économique et social. Simultanément, du fait de la libre transférabilité des capitaux et des réseaux au sein desquels il perdure, le franc CFA est bien un pilier de la Francafrique, vaste marché ayant pour vocation historique la prédation des richesses africaines au profit de l’ancienne puissance tutélaire. Longtemps il aura freiné la décolonisation économique en renforçant les effets d’une spécialisation productive dépassée assignant les pays africains au rôle exclusif de fournisseur de matières premières au marché mondial.
Alors que tous les pays et ensembles économiques du monde, notamment l’Europe, les Etats-Unis, la Chine et le Japon, en proie à la récurrence de crises systémiques brutales et aveugles du capitalisme mondialisé, sont engagés dans des politiques monétaires actives pour sortir leurs économies de la récession, la zone franc rajoute à la damnation géologique des matières premières, la tragédie monétaire du blocage des réserves des pays africains au Trésor public français.
Au nom d’une prétendue « garantie de convertibilité » de la monnaie en usage dans 14 pays, plus de 3000 milliards de francs CFA de la zone d’émission de la BCEAO étaient déposés auprès du Trésor français fin 2011, soit près de deux fois la richesse créée au Togo en 2010, plus de quatre fois l’ensemble des salaires et traitements versés par l’Etat ivoirien en 2011 ! Pour la zone d’émission de la BCEAC, les réserves logées au «Compte d’opérations» du Trésor public de l’ancienne puissance coloniale excédaient les 6 100 milliards de francs CFA, ce qui équivaut globalement à dix fois les salaires versés par la fonction publique camerounaise!
Les deux zones d’émission de la BCEAO et de la BCEAC totalisaient en 2011 près de 14000 milliards de francs CFA de réserves de change indisponibles pour les besoins des économies africaines. Ces détentions oisives représentent pour la BCEAO un taux de couverture de l’émission monétaire de 109 % contre 20% requis et 98,7% pour la BEAC. Notons que ces sommes surpassent ce qui est officiellement désigné par le vocable «aide publique au développement» de la France aux grands récipiendaires africains que sont la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Sénégal, le Congo, le Mali et le Burkina Faso réunis ! De quoi alimenter bien des questions…
Pour apprécier le coût exorbitant des contraintes liées au franc CFA et illustrer cette destruction massive de richesses en termes de financement des infrastructures, – une urgence quasi absolue- il faut garder à l’esprit par exemple les 40 milliards de coûts estimés du projet routier de désenclavement du Sahel, les 300 milliards de francs CFA indispensables à l’assainissement urbain de la ville de Cotonou menacée par les eaux ou les près de 50 milliards nécessaires à la construction du pont devant relier Kinshasa à Brazzaville.
La confiscation des réserves africaines arrachées au financement du développement et des activités locales confine donc à une forme de crime économique. Comme pour en témoigner, le président français, Monsieur François Hollande en visite à Dakar le 12 octobre 2012, n’affirmait-il pas : « […] je suis convaincu que les pays de la zone franc doivent pouvoir assurer de manière active la gestion de leurs monnaies et mobiliser davantage leurs réserves pour la croissance et l’emploi» ? C’est l’occasion de relever que peu de responsables politiques africains de premier plan, dirigeants ou opposants, ont posé directement la question des réserves de change et plus généralement celle de la gestion monétaire scandaleuse de la Zone franc. Ce qui dénote le peu de souci que les dirigeants et élites se font au sujet du bien-être des peuples africains. Si les mécanismes de la Zone franc ont un évident tropisme néocolonial les excédents de réserves par rapport aux ratios exigés sont largement imputables aux décisions africaines incompréhensibles à l’aune des enjeux de développement économique et social.
Le bon sens et l’intérêt bien compris des Africains commandent donc, sans délai, de libérer les réserves de change bloquées à Paris, fruit du travail et des sueurs des Africains, aux fins d’investissements à long terme en vue de promouvoir le développement économique et social des pays africains afin d’améliorer les conditions de vie de leurs peuples.
La Zone franc et ses banques centrales, aujourd’hui cinquantenaires, incarnent un véritable anachronisme historique et économique. Voilà une zone monétaire née comme une variante coloniale du Franc français, qui survit à ce dernier désormais fondu dans l’euro. Voilà une monnaie qui, après avoir servi les desseins d’un empire colonial, prétend servir les destinées d’Etats indépendants. Voilà une monnaie utilisée par des pays économiquement faibles, appelés « pays les moins avancés ou pays pauvres très endettés », arrimée à l’une des monnaies les plus fortes du monde, pénalisant ainsi leurs exportations et subventionnant leurs importations, ce qui aboutit à creuser leur déficit commercial. Voilà une monnaie semi-coloniale utilisée par des pays « indépendants », affirmant l’objectif d’être à terme des « pays émergents » là où tous les pays dits émergents disposent d’une souveraineté monétaire totale, la Chine avec le yuan, l’Afrique du Sud avec le rand, le Brésil avec le real, la Corée du Sud avec le won et l’Inde avec la roupie. Que d’incohérences et que de misères générées !
Ajoutons à ces incohérences le panurgisme ou l’extraversion intellectuelle, qui fait des politiques des banques centrales de la zone franc des copies sans génie des orthodoxies libérales, que même les maîtres à penser de Washington, Paris ou Bruxelles ont abandonnées sur l’autel du pragmatisme et de l’impératif de relance économique. Malgré les piètres résultats d’une croissance atone, à peine positive une fois pris en compte l’accroissement démographique et l’inflation, rien ne parvient à changer les orientations fondamentales de la politique monétaire, pas plus l’expansion de la pauvreté que les écarts de développement explosifs avec d’autres parties du monde. Cette dimension de dépendance intellectuelle et culturelle du CFA rappelle l’enjeu de libération des modèles exogènes qui nourrit à juste titre depuis les années 60 la longue fronde des patriotes et alternatifs africains.
Enfin, la plupart des pays africains de la zone franc se sont déclarés favorables à la création d’une monnaie commune panafricaine dans le cadre de la construction de l’Etat fédéral africain. Il est impensable qu’un tel horizon, depuis longtemps plébiscité par les peuples africains à la suite de leurs leaders charismatiques et visionnaires, soit dégagé par une monnaie d’origine coloniale. C’est bien d’un système monétaire actif au service des économies locales et africaines, porté par des signes monétaires en phase avec les attentes socio-culturelles des utilisateurs que les économies africaines ont besoin. Un système monétaire adossé à une vision et une perspective endogènes rompant avec les vieux schémas extravertis.
Au vu de tout ce qui précède, les signataires de cette pétition exigent :
Le déblocage immédiat des réserves africaines, leur rapatriement et leur mobilisation dans le financement des économies africaines, dans un environnement transparent et démocratique à clarifier,
La fin de l’arrimage fixe et exclusif des monnaies de la zone franc à l’euro et l’instauration de contrôles sur la transférabilité des capitaux dans cette zone,
L’adoption d’une politique monétaire souveraine au service du développement économique et social des pays africains,
La levée immédiate des obstacles politiques à la création de la monnaie unique dans la CEDEAO, ou au sein d’autres dispositifs à envisager en Afrique centrale, comme étape majeure vers la création d’une monnaie continentale,
Le soutien au projet de l’Union africaine de créer des institutions de gouvernance économique et monétaire souveraines au service du continent.
Zé Belinga
Signez la pétition içi: http://www.zone-franc-libre.org/