François Boko : « Le régime RPT n’a pour base électorale qu’à peu près 10% du corps électoral togolais et donc arithmétiquement ne peut pas gagner la présidentielle ».

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Valérie Heurtel :  Bonsoir à tous, merci d’être avec nous, nous sommes à trois semaines de l’élection présidentielle au Togo, une élection très attendue, vous vous en souvenez peut-être le dernier scrutin présidentiel de 2005 s’est soldé par des émeutes qui ont fait plus de 400 morts. Le président sortant Faure Gnassingbé va briguer cette année un second mandat. Nous allons voir dans quel contexte se prépare le scrutin. François Boko est avec nous, ex-ministre de l’Intérieur du Togo en 2005, Jean- Baptiste Placca, vous êtes journaliste, vous connaissez bien la situation au Togo. Est-ce que les dés sont jetés, est ce qu’on s’achemine vers une réélection de Faure Gnassingbé ?

François Boko : Les dés sont jetés, je ne le dirais pas. La situation est plus ouverte qu’on ne le pense à voir le contexte marqué de situation frauduleuse potentiellement. Néanmoins, de la capacité de l’opposition de présenter une alternative commune peut dépendre l’issue du scrutin.

Valérie Heurtel : vous êtes d’accord Jean-Baptiste Placca, c’est plus ouvert cette année ?

Jean-Baptiste Placca : Le problème des élections au Togo est toujours relatif à la transparence. Si les élections sont transparentes, je pense que ceux qui sont au pouvoir ont peu de chance de l’emporter tout simplement parce que les résultats qu’ils accumulent depuis des années sont tels qu’il n’y pas de raison au sein d’une population comme celle-là de les reconduire spontanément.

Valérie Heurtel :
Le père Eyadema Gnassingbé a fait 38 ans, le fils Faure vient de boucler 5 ans, est-ce qu’il a un changement. Quel bilan peut-tirer rapidement de ce quinquennat ?

François Boko : Fondamentalement rien n’a changé, mais il y a du vernis. Il y a un mode d’exercice beaucoup plus soft qui fait croire à ceux qui créditaient ce fils du Général Eyadema d’une capacité modernisatrice qu’effectivement le changement est possible. Mais dans la réalité c’est un leurre. Valérie Heurtel : Vous êtes d’accord ?

Jean-Baptiste Placca : Oui c’est à dire que quand vous avez parlé de plus de 400 morts, quand on a consenti autant de sacrifices pour arriver au pouvoir, on y est, on se demande pourquoi faire ? Et là justement, les Togolais ne voient pas ce que ce monsieur veut leur apporter, ce qu’il apporte et ce pourquoi il a pu se permettre de passer sur la vie de plusieurs centaines pour y arriver. Je crois que sans faire de comparaison malheureuse, on voit au Gabon quelqu’un qui a succédé à son père et qui depuis quelques mois essaye de donner quelque chose qui ressemble beaucoup plus à du vernis.

Valérie Heurtel : François Boko êtes-vous surpris de l’éviction de Kofi Yamgnane ?

François Boko : Je ne suis pas plus surpris que ça d’autant plus que le régime redoutait sérieusement la candidature de Kofi Yamgnane. Il est le nouvel arrivant sur la scène politique avec une capacité médiatique assez importante- on l’a vu tout au long de son parcours du territoire-avec aussi une capacité interne importante notamment par le fait qu’il vient de la même partie du Togo que Faure Gnassingbé, la partie septentrionale du pays.

Valérie Heurtel : Qu’est ce qu’il représente en termes de voix ?

Jean-Baptiste Placca : On ne le saura jamais. Koffi Yamgane a présenté un dossier pour être candidat à la présidence de la République. Je ne pense pas que dans ses dossiers, il y a ses documents français. Ça veut dire qu’on est allé chercher des fiches de polices à l’aéroport ou je ne sais où pour justifier cette éviction. C’est un peu triste, ça ressemble au Togo tel que nous le connaissons malheureusement. Je pense que Kofi Yamgane gênait effectivement, il a été utile à ce pays en 2005 au moment où les enfants d’Eyadema voulaient succéder à leur père sans passer par les procédures normales.

Valérie Heurtel : Vous êtes sceptiques sur les raisons de son éviction ?

Jean-Baptiste Placca : Parce qu’il ne peut pas y avoir deux dates de naissance, on est en train de faire allusion à des papiers français de Yamgnane qui ne peuvent pas se trouver dans son dossier de candidature.

Valérie Heurtel : Alors l’autre grand absent de ce scrutin c’est Gilchrist Olympio l’opposant historique, pour quelle raison ?
François Boko : Pour revenir un tant soi peu sur le cas Yamgnane. Et là, ceux qui pariaient sur la capacité de Faure Gnassingbé à moderniser son pays, à le mettre sur les rails de l’Etat de droit en prennent, excusez moi l’expression, pour leur gueule. Voilà une Cour Constitutionnelle qui a été financée par plusieurs partenaires en développement et on a misé sur elle, sa capacité de dire le droit et qu’est ce qu’elle nous a servi, juste des arguties pour entériner la volonté du régime d’exclure Kofi Yamgnane du scrutin politique. Sur Gilchrist Olympio, vous savez que sur le processus politique au Togo, il faisait une sorte de « chape » au plomb qui bloquait toute alternative.

Valérie Heurtel : Il n’a pas pu rentrer au Togo pour obtenir un certificat médical à cause un mal de dos.

François Boko : Officiellement c’est l’argumentation qui est présenté mais je crois qu’on peut aller plus loin pour dire que Gilchrist Olympio a compris que finalement c’est sur son dos que se jouaient les freins de l’alternance politique au Togo. Donc à mon avis, il s’est retiré de lui-même pour permettre à ce pays de connaître pour une fois dans son histoire ce qu’il n’a jamais connu. C’est pour cela que j’ose croire que les jeux sont ouverts. Certes, il y a la capacité de frauder de Faure Gnassingbé mais le fait que Gilchrist Olympio se soit retiré du jeu politique et le fait aujourd’hui que les forces en présence sont capables beaucoup plus qu’on ne le croit de se mettre ensemble, de mutualiser leurs moyens pour faire face au RPT, me fait croire que la situation est ouverte. Valérie heurtel : Vous pensez qu’on peut arriver à une candidature unique de l’opposition dans le cas actuel des choses ?

Jean-Baptiste Placca : C’est assez compliqué parce qu’il y a des gens qui préféreraient voir Faure Gnassingbé comme hier Gnassingbé Eyadema rester au pouvoir plutôt que de voir un autre qu’ eux même arriver au pouvoir. C’est une réalité.

Valérie Heurtel : Beaucoup d’égo chez les candidats ?

Jean-Baptiste Placca : Oui, et beaucoup de mesquinerie. Il arrive un moment dans la vie d’un Etat quand on voit son peuple souffrir comme le peuple togolais souffre, il faut accepter de s’effacer. Je ne crois pas que Gilchrist Olympio se soit effacé tout naturellement. Je crois qu’il y a eu une erreur politique grave parce que même si c’était une affaire de certificat médical, il aurait pu faire tout cela avant de partir en voyage. C’est une erreur grave, maintenant qu’il accepte qu’un membre de son parti soit le candidat de l’UFC peut changer quelque chose parce que les Togolais veulent d’abord le changement.

Valérie Heurtel : C’est une page qui tourne pour le Togo parce que c’est une nouvelle génération qui arrive sur la scène politique.

François Boko : C’est une véritable page qui se tourne et moi j’irai plus loin pour dire que c’est le système Eyadema qui est entrain de tomber totalement, de rentrer dans l’Histoire d’autant plus que Eyadema avait fait de Gilchrist Olympio pratiquement son « allié » pour justifier sa présence au pouvoir et jusqu’à présent, c’est ce qu’à utiliser son fils, c’est la peur de Gilchrist qui a fait que jusqu’à présent le processus était bloqué. Une page se tourne, Jean-Pierre Fabre incarne l’un des partis sinon le parti le mieux implanté avec 27 députés, avec pratiquement un million d’électeurs lors des législatives d’octobre 2007 et donc c’est une chance que l’opposition peut saisir pour mutualiser les moyens.

Valérie Heurtel :
François racontez nous comment vous avez réussi à quitter le pays suite à votre démission en 2005 ?

François Boko : J’étais recherché, le pouvoir n’acceptait pas que depuis plusieurs semaines, je tirais sur la sonnette d’alarme en expliquant aux généraux, en expliquant à la classe politique au pouvoir qu’on ne peut pas continuer à aller dans ce sens et que cela risque de se terminer dans un bain de sang. Et comme je n’ai pas été suivi, j’ai tiré ma révérence, j’ai démissionné et évidement le pouvoir considérait cela comme une trahison. J’étais donc recherché, des négociations ont eu lieu entre l’Union Européenne, l’Allemagne, la France et puis le pouvoir et finalement ils ont accepté que je puisse quitter le pays contre une résignation, un silence.

Valérie Heurtel :
Pourquoi vous aviez démissionné deux jours avant le scrutin. Vous saviez ce qui allait se passer ?

François Boko : Ecouter, quand on est dans une position du pouvoir comme la mienne ministre de l’intérieur, on ne peut pas ne pas savoir ou on peut feindre de ne pas savoir après coup. J’avais tous les éléments d’information à ma disposition, tous les services de renseignement étaient à ma disposition et donc je savais ce qui se tramait, ce qui se préparait. Les milices qu’on armait, la position des va-en-guerre qui a tout prix ne voulaient pour rien au monde céder ce pouvoir ou essayer d’aller dans un processus apaisant pour organiser des élections crédibles et quand vous êtes à l’intérieur et que vous essayer de convaincre et que vous n’êtes pas suivi, vous n’avez d’autres solutions que de démissionner.

Valérie Heurtel :
Vous avez occupé le poste de ministre de l‘Intérieur pendant plusieurs années, vous étiez au cœur du système, vous aviez cautionné ces fraudes.

François Boko : Mieux vaut tard que jamais. Est-ce que c’est parce qu’on a cautionné malgré soi une situation de fraude pour maintenir le général Eyadema au pouvoir, est-ce une raison suffisante pour faire pérenniser un système qu’on sait d’avance inique et injuste pour le peuple togolais ? A un moment donné, il faut stopper la comédie et on ne peut pas continuer comme cela. Je suis désolé ! Mais beaucoup de dignitaires de ce régime sont aujourd’hui dans cette situation où ils doivent pouvoir encore faire d’autres gymnastiques pour maintenir un régime qui n’a que pour base électorale qu’à peu près 10% du corps électoral togolais.

Valérie Heurtel : comment est-ce que Gnassingbé Eyadema hier et son fils aujourd’hui s’assure du soutien de l’armée ?

Jean-Baptiste Placca :
Je ne sais pas si c’est toute l’armée qui est derrière eux ou s’ils s’arrangent pour maintenir les éléments les plus opérationnels, les plus nocifs en l’occurrence. Je reviens deux secondes quand même sur François Boko, je pense que ce qu’il posé comme acte en 2005 est justement ce qui manque le plus pour ce continent-il ne s’agit pas seulement du Togo-et à un moment donné, accepter de renoncer à un certain nombre de privilèges parce que ce n’est pas dans l’intérêt de son pays-et il l’a fait au péril de sa vie. Le fait qu’il ait travaillé avec le général Eyadema est absous par ce genre de courage.

Valérie Heurtel : l’armée apporte toujours t-il autant son soutien au fils. Peut-on s’attendre à de nouvelles violences ?

François Boko : Potentiellement oui en ce sens que lorsqu’il s’agit de l’élection présidentielle, l’élection la plus importante au Togo comme dans la plupart des pays, le pouvoir ne veut rien céder. On l’a vu durant tout le long du processus que ce soit la révision des listes électorales, l’éviction de Kofi Yamgnan, le pouvoir montre clairement que pour rien au monde il n’est prêt à céder dans un contexte comme celui-là. Lorsqu’il s’agit des législatives, des élections de basse intensité, le pouvoir est prêt à faire des concessions et le tout est de savoir si la communauté internationale, particulièrement l’Union Européenne qui finance à plusieurs millions d’Euros cette élection, est prête à se satisfaire d’un scrutin chaotique au niveau de la présidentielle.

Valérie Heurtel : il y a eu 400 morts en 2005 selon les Nations Unies, est-ce que le pays est apaisé aujourd’hui ?

Jean-Baptiste Placca : Le pays n’est pas apaisé. Le Togo depuis 40 ans accumule les sources de frustration qui un jour ou l’autre déboucheront peut-être sur un carnage terrible. Ceux qui sont au pouvoir ne font non plus l’effort de réconciliation, d’apaisement qu’on aurait pu espérer d’eux. Je crois que pour ce qui est des fraudes, le fils, au pouvoir aujourd’hui, a pu compter en 2005 sur tout le clan familial et un certain nombre de gens et depuis ce clan est bien en lambeaux et donc on peut craindre qu’il n’y ait pas tout le monde derrière lui. Peut-être compte t-il sur la technologie informatique parce que malheureusement, il y a aussi des gens qui ne sont pas Africains et qui vendent aux gouvernements africains des méthodes pour gagner des élections, j’allais dire à travers des manipulations informatiques.

Valérie Heurtel : Est-ce à votre avis, il y a suffisamment de garde-fou pour limiter la fraude ?

François Boko : Les observateurs sont présents, on parle d’une centaine de l’UE, trois cent de la CEDEAO. Les garde-fous, il n’y a jamais assez. La fraude, elle est potentiellement présente, elle n’est pas seulement virtuelle, elle est réelle eu égard à tout ce que je viens de cous décrire au niveau de la révision des listes électorales. Ceci étant, de la capacité de l’opposition de se mettre en rang serré, de revendiquer la victoire et d’arracher l’alternance puisque, de toute façon, on sait qu’arithmétiquement le régime ne peut pas gagner. Si le régime va frauder ou pas c’est une évidence. Mais que va faire le peuple togolais y compris l’ensemble des leaders pour donner l’espoir, arracher l’alternance et faire en sorte que la vérité des urnes soit celle-là qui soit proclamée.

Valérie Heurtel : Je peux vous demander pour le mot de la fin quel candidat vous soutenez ?

François Boko : Je soutiens le candidat qui a les chances d’octroyer au peuple togolais l’alternance. C’est-à-dire le candidat du parti le mieux implanté et le mieux structuré, le plus à même de fédérer l’ensemble des forces de l’opposition. Ce n’est pas le candidat attitré que je soutiens mais la démarche. Pour obtenir l’alternance, il faut que les leaders se mettent derrière le parti le mieux implanté et j’en termine là c’est autour du parti le mieux implanté qu’il faut faire l’union.

Interview réetranscrit par Tultogo

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