FPI-PDCI : jeu en eaux troubles

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Depuis quelques temps, les deux partis politiques que sont le FPI (Front Populaire Ivoirien), principal parti d’opposition et le PDCI (Parti Démocratique de Côte d’Ivoire), se livrent – c’est le cas de le dire – à un jeu des plus troublants.

D’un côté, on lance un appel sans vraiment aller son destinataire. De l’autre, on se fait désirer, en n’osant dire clairement « oui » ou « non ». Naturellement, un tel schéma ne peut qu’ouvrir une voie royale à toutes sortes de supputations et de sous-entendus, dont des esprits mal inspirés pourraient se servir.

Certes le jeu d’alliances fait partie du jeu politique. Mais très souvent en Afrique, ces alliances entre partis politiques, finissent par se muer en guerres de tranchées entrainant parfois avec elles les différents groupes ethniques « affiliées » à ces partis.

En Afrique, même si, la démocratie est le principal système politique adopté par nos jeunes Etats au sortir de la colonisation, soit plus d’une cinquantaine d’années plus tard, l’on s’accorde à dire que des progrès restent encore à faire, notamment dans le domaine de l’éducation des populations à la culture politique et démocratique, de sorte à éviter les fréquentes guerres dont l’enjeu majeur est le contrôle du pouvoir, preuve que la politique n’est toujours pas le jeu noble qu’il devrait être et que nous devons sans cesse veiller à ce qu’il n’y ait pas de débordements en la matière.

Par ailleurs, si l’on s’accorde à admettre que la politique est un jeu, voire un art, elle ne peut l’être pleinement et réellement que lorsqu’elle se déroule entre personnes consciencieuses et soucieuses du respect des règles. Or, dès lors qu’il y a violence et mort d’hommes, peut-on encore parler de jeu politique ?

En Côte d’Ivoire, l’élection présidentielle de 2010, et son corollaire d’alliances entre partis politiques, ce que l’on a cru être de la politique nous a conduit à un chaos sans précédent. Un chaos si profond que les mémoires en sont encore fraiches: fracas de tirs lourds et nourris ; bruits de chars, de canons et d’hélicoptères de combat ; nuits effroyables ; déluges de feu ; cris, pleurs et douleurs ; cœurs battants la chamade ; rues souillées de sang et de cadavres en putréfaction, psychose générale…

C’est pourquoi, l’histoire douloureuse et récente de ce pays commande à chacun d’avoir un regard attentif sur toutes les tractations de nos hommes politiques et surtout, elle nous amène à exiger d’eux, franchise, clarté et transparence, tant que demeure au centre de ces tractations, l’avenir des populations et du pays qu’ils aspirent à diriger.

Cela nous pousse donc à nous intéresser de près, à l’appel lancé par le FPI au PDCI. Quelles peuvent en être les enjeux pour les différents acteurs impliqués, mais aussi et surtout pour un pays ravagé par plusieurs décennies de crises et trimbalé en eaux troubles par un « capitaine » pratiquement dépassé par l’ampleur de la tâche?  Que peuvent encore espérer les ivoiriens d’une nouvelle « combinaison » d’alliance, là où les précédentes ont lamentablement échoué ?

Enjeux pour le FPI

Extrait de l’appel du FPI au PDCI : « (…) Frères et sœurs du PDCI, le moment du grand sursaut national est venu. Resserrons nos rangs pour faire barrage aux prédateurs. Rassemblons-nous, pour défendre la Nation en péril. Nous n’avons que cette Patrie, alors défendons-là ensemble, au risque de disparaître tous ensemble, quand l’on nous demande de vivre ensemble chez nous, sans nous ».

« Défendre la Nation en péril », ainsi pourrait se résumer l’appel du FPI au PDCI. Mais au-delà, que peut bien cacher cet appel ?

Pourquoi donc, le FPI chercherait-il à s’allier au PDCI de Konan Bédié ? Serait-ce pour fragiliser l’alliance RHDP afin de mieux se positionner ? Ou alors, est-ce pour éjecter tout simplement Ouattara du fauteuil présidentiel ? Ou encore, serait-ce un aveu de reconnaissance du poids du PDCI dans l’accession d’Alassane Ouattara au pouvoir ? En somme, le FPI n’est-il pas en train de se fragiliser en montrant aux yeux du monde qu’il a nécessairement besoin du PDCI pour « vaincre » Ouattara ?

Reconnaissons qu’à première vue, pour un parti qui s’est toujours réclamé vainqueur de la présidentielle de 2010 face au RHDP (Rassemblement des Houphouétistes pour la Démocratie et la Paix), coalition politique au sein de laquelle figure le PDCI, une telle démarche ne peut que susciter des interrogations. Tout compte fait, au parti à la rose, aguerri à l’art de la « subtilité politique » – à l’image de son mentor Laurent Gbagbo – cet appel n’a pas fini de livrer tout son contenu.

Enjeux pour le PDCI

Au PDCI, la récente réunion du Bureau politique, a levé un coin de voile sur la réaction de ce parti face à l’appel du FPI l’invitant à sortir d’une alliance en soutenant que le RDR : « nous demande de vivre ensemble chez nous, sans nous ». Et le PDCI de répondre – par la voix de Konan Bédié – : « (…) faut-il, pour cela, revenir sur la parole donnée et quitter une alliance parce que des éléments de l’association n’ont pas réussi à se maitriser ? Faut-il oublier ce que cette alliance a apporté à chaque membre et qu’elle a permis de débarrasser le pays d’un tyran ? Que le RHDP ne fonctionne pas, comme nous l’aurions souhaité est un fait, mais ne faut-il pas plutôt chercher à l’améliorer, que de la quitter ? ».

Dès lors, l’on penserait les carottes cuites pour l’appel du FPI au PDCI. Ce qui n’est pourtant pas le cas si l’on s’en tient aux déclarations de Kouadio Konan Bertin, dit KKB, président de la jeunesse du PDCI : « Le FPI n’est pas notre ennemi ». Et le Bureau politique qui ne semble pas non plus, avoir dit le dernier mot. « Alliance PDCI-FPI ? », s’interroge le principal quotidien proche du PDCI à sa Une, avant de répondre : « ni oui… ni non ! ». De quoi donner – au passage – des sueurs froides à son allié, le RDR (Rassemblement des Républicains) d’Alassane Ouattara.

C’est un secret pour personne, le PDCI se met désormais dans la peau du « sauveur » de la Côte d’Ivoire, car c’est – selon lui – son président Konan Bédié qui a permis de « sauver la Côte d’Ivoire ».

En adoptant une telle posture, en faisant d’avantage languir ses « prétendants », le PDCI ne caresserait-il pas – lui aussi – le secret espoir de se servir de sa position de « courtisée », pour revenir au pouvoir ou, à défaut réclamer d’avantage à son allié, le RDR, de plus grandes parts du gâteau ?

Enjeux pour le RDR

A les voir s’agiter dans tous les sens,  on comprend aisément que l’invite du FPI au PDCI à quitter le RHDP pour le rejoindre, vient sans doute, troubler le sommeil des républicains. Et pour cause…

Même allié au PDCI, le RDR a-t-il pu faire le poids face à la coalition politique dénommée LMP (La Majorité Présidentielle), qui supporta la candidature de Laurent Gbagbo ? A ce jour, rien n’atteste que ce parti ait réussi à remporter l’élection présidentielle de 2010, en dehors – bien sûr – des bombes de l’armée françaises. Le PDCI reste donc le seul accessoire de légitimité dont peut encore se revêtir le RDR d’Alassane Ouattara aux yeux de l’opinion publique.

Ainsi, au RDR, la question de « la mort du RHDP » demeure un sujet absolument tabou. Il suffit de remarquer comment, ce parti s’acharne à combattre tous ceux qui déclarent la mort de l’alliance des houphouétistes pour s’en rendre compte. Anaki Kobenan, président du MFA (Mouvement des Forces d’Avenir, parti politique membre (?) du RHDP) et Kouadio Konan Bertin dit KKB – pour ne citer que ces deux là – en ont déjà fait les frais.

Au RDR, la consigne est claire : mettre tout en œuvre pour ne pas perdre le PDCI, pour ne pas que le parti de Konan Bédié réponde favorablement à l’appel du FPI, pour qu’une alliance FPI-PDCI, jugée d’ores et déjà comme « explosive », ne voit le jour ; mettre tout mettre en œuvre, y comprit une campagne médiatique visant à faire croire à l’opinion que: à ceux qui « manœuvraient dans l’ombre pour déstabiliser l’alliance (RHDP, ndlr) », « Bédié ferme la bouche (…) ». Alors qu’en réalité, il n’en est rien.

Et, quand l’attitude du PDCI, face à l’appel du FPI, ne semble pas les satisfaire, les républicains n’hésitent pas alors à le traiter d’« allié douteux ».

En somme, l’appel du FPI au PDCI, est au RDR ce qu’est dans un camp adverse, une grenade dégoupillée, lancée par l’ennemi.

Enjeux pour  la Côte d’Ivoire et les ivoiriens

Pas besoin d’être devin pour savoir que le souhait de tout ivoirien, reste avant tout de voir son pays sortir du cycle de violences ; de voir s’éloigner de lui, le spectre de la haine, des frustrations gratuites ; de pouvoir célébrer la fin de la justice sélective ; de voir enfin s’estomper la confiscation et l’expropriation des biens, le désordre et l’insécurité, l’animalisation d’une catégorie d’ivoiriens au profit d’une autre…, bref, de sortir de cette période trouble que lui impose Alassane Ouattara et son clan.

Pour l’ivoirien qui ne sait plus à quel saint se vouer, bien au-delà de ce jeu de cache-cache entre le FPI et le PDCI, il importe que l’intérêt de la nation soit la priorité des priorités. En cela, le FPI et le PDCI, ont le devoir de définir clairement leur position, de prendre leurs courages à deux mains, d’assumer leurs responsabilités devant l’histoire et les hommes, de montrer aux ivoiriens qu’ils aiment leur pays, en le défendant, au-delà même de toute considération politique ou de tout avantage matériel.

Sinon, que ces partis politiques sachent bien que l’heure n’est plus au jeu, mais à la restauration de la cohésion sociale, de l’unité nationale pour ensemble affronter les défis majeurs qui s’annoncent dans les années à venir pour la Côte d’Ivoire. Au-delà du FPI et du PDCI, puissent-ils être nombreux ces ivoiriens qui saisiront la portée d’un tel défi.

Marc Micael La Riposte

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