Emmanuel Beth : « L’exfiltration de Blaise Compaoré a été réalisée à la demande de chefs d’Etat dont le président Ouattara »

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Il a été ambassadeur de France auprès du Burkina Faso, trois ans durant. C’est donc dire que le Général Emmanuel Beth connait très bien ce pays qu’il a quitté il y a seulement un an. Dans un entretien accordé à nos confrères de RFI, le « général diplomate » donne son analyse de la situation politique que vit le Burkina en ces moments. Nous vous proposons in extenso le contenu de l’entretien.

RFI : Général Emmanuel Beth, bonjour

Emmanuel Beth : Bonjour

 Le tandem Isaac Zida-Michel Kafando, qu’est-ce que ça vous inspire ?
Emmanuel Beth : Beh, écoutez, je crois que, en la matière, cette question appartient aux Burkinabè et notamment à toutes les équipes, qu’elles soient de l’opposition politique, de la société civile, peut-être aussi des militaires, d’avoir défini la charte sur les structures de la transition jusqu’aux élections présidentielles.

Il y a deux jours, tout le monde se félicitait de voir les militaires rendre le pouvoir aux civils, mais aujourd’hui, est-ce que ce n’est pas un peu la douche froide ?

Alors, je modulerai un peu vos propos puisque que je pense que cette combinaison et cette répartition des pouvoirs entre les différents acteurs a fait l’objet, avant même l’intronisation de Michel Kafando, d’un accord entre toutes les parties. Vous savez que cette charte a été largement discutée. Elle a fait l’objet de nombreux aller-retour. Je pense que ceci faisait partie des éléments de base de la transition.

Oui, mais si l’on apprend ce jeudi que les ministères de la défense et de l’administration territoriale sont également tenus par des militaires, est-ce que ce ne voudra pas dire qu’on a une transition militaire à peine déguisée ?

Emmanuel Beth : D’abord, je pense que, laissons-les gérer leurs problématiques internes. Sachant qu’à l’extrême, si ça devait se passer… mais je ne le pense pas à priori. On évoque d’autres scénarios, le président de la transition pourrait lui-même assurer les fonctions de ministres de la défense. Ces scénarios ont été joués dans d’autres pays notamment dans des périodes de transition qui n’ont pas duré plus longtemps que prévu.

Donc, il est important quand même de voir qui va occuper les postes clés de ministre de la défense et ministre de l’administration territoriale ?

Ça fait partie des postes effectivement sur lesquels il faudra effectivement regarder. Je vous rappelle qu’avant la situation du 30 octobre, il n’y avait pas de ministre de la défense au Burkina. C’était le président qui en assumait la responsabilité depuis la crise de 2011. Donc, je crois qu’aussi c’est effectivement des éléments importants, mais il faut les relativiser par rapport aux enjeux à venir du Burkina Faso.

Oui, mais un ministre de l’administration territoriale c’est important en période électorale ?

Certes, mais vous savez qu’il y a une institution très lourde au Burkina qui joue un rôle extrêmement dynamique et positif, c’est la CENI dirigée jusqu’ici par Me Barthélémy Kéré. Et, je pense que la plus grande part de responsabilité appartient à cette commission électorale.

Avant la révolution, le Lieutenant-colonel Zida était le n°2 de la garde présidentielle, quel souvenir en gardez-vous ?

Pour être très franc, je ne le connaissais pas du tout. Je ne l’avais jamais rencontré dans mes fonctions précédentes.

Donc, il n’était jamais venu par exemple à la réception du 14 juillet à votre ambassade ?

A priori non, même si vous savez que vous avez 2000 personnes chaque 14 juillet à l’ambassade et qu’il vous est difficile de vérifier les présents. A ma connaissance, il n’était même pas sur les listes d’invitation.

 Donc, c’était un homme de l’ombre ?

A priori, c’était un homme qui travaillait comme tout officier en second dans son régiment et on connaissait plutôt son chef, le colonel Kéré. On ne connaissait pas le lieutenant-colonel Zida.

Pourquoi les militaires tiennent-ils tant à co-piloter cette transition ? Qu’est-ce qu’ils peuvent craindre d’un gouvernement qui ne serait composé que de civils ?

Là aussi, je crois que c’est aux organismes de la transition, les autorités politiques et la société civile de répondre. Ma réponse rapide mais qui mériterait d’être confirmée, c’est que les militaires souhaitant comme ils l’ont prouvé jusqu’ici aller au plus vite et dans les meilleures conditions, aux élections présidentielles, se positionnent en garant de la république.

Oui, mais au Burkina Faso, les militaires sont au pouvoir depuis plus de 30 ans. Est-ce qu’ils ont acquis des avantages, des privilèges qu’ils auraient peur de perdre aujourd’hui ?

Je ne crois pas que le raisonnement est celui-là au regard de ce qu’on a constaté ces derniers temps quant à leur « républicanisme ».

Quand on est au pouvoir aussi longtemps, évidemment on acquiert une certaine fortune, peut-être que cet argent n’a pas toujours été amassé de façon très légale ?

Je ne crois pas que les officiers des unités militaires peuvent se targuer d’immenses fortunes, à priori.

Dans le régime précédent, les militaires n’étaient pas les plus corrompus ?

Dans le régime précédent, les militaires n’appartenaient pas à certains milieux affairistes.

Est-ce qu’on peut imaginer que le tandem Kafando-Zida, c’est un habillage pour permettre aux militaires de rester au pouvoir tout en échappant aux sanctions internationales ?

Je ne le vois pas comme ça à partir du moment où cette composition a été acceptée par l’ensemble des acteurs. On va attendre la composition du gouvernement et si Paris a des positions à définir, Paris les précisera en temps voulu.

Le 31 octobre, c’est la France qui a permis à Blaise Compaoré de s’enfuir par hélicoptère, puis par avion. Est-ce que ce n’était pas de l’ingérence dans les affaires intérieures du Burkina ?

Vous savez que dans toutes ces questions où la France peut être soupçonnée de telle ou telle attitude, il faut revenir à la cause de ces actions. Et, je vous rappelle que cette action a été réalisée à la demande de chefs d’Etat africains dont le président Ouattara et peut-être même d’autres. Donc, j’allais dire que c’est une demande africaine que la France a satisfaite.

Alors, c’est vrai qu’à l’origine, c’est à la demande du président ivoirien que la France a exfiltré Blaise Compaoré. Au Burkina Faso, certains pensent que l’ancien président devrait répondre devant le juge d’un certain nombre de crimes qui lui sont imputés, qu’en pensez-vous ?

Je crois que le président est parti finalement dans des conditions dont on peut se féliciter in fine puisqu’il a évité de faire couler le sang. Et, je crois ça a été une de ses motivations premières pour sa démission. Ensuite, je rappelle qu’il y a une loi d’amnistie présidentielle au Burkina, votée depuis juillet 2012. Et le dernier point qui est fondamental, dès lors qu’un pays a connu une crise, je crois qu’il faut surtout se pencher vers le futur à moins de vivre éternellement sur le passé qui ne règle rien et qui ne fait qu’exacerber les tensions éventuelles.

Général Emmanuel Beth, merci.

Entretien réalisé par Christophe Boisbouvier (RFI)
Retranscription : Moussa Diallo (Lefaso.net)

 

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