L´élection présidentielle gabonaise vient de nous montrer pour la ènième fois que les élections, surtout présidentielles, constituent la bête noire des régimes de dictature. Elles sont un passage obligé pour les despotes qui cherchent à acquérir un semblant de légitimité et faire croire que la démocratie est en marche dans leurs pays.
Cette corvée que sont alors les élections pour les tyrans devient l´occasion où les sympathisants du régime de dictature rivalisent de génie pour contourner les règles du jeu, car la consigne c´est la victoire par tous les moyens pour leur protégé et protecteur.
Et après chaque élection de la honte en Afrique cette question récurrente revient sur toutes les lèvres: Faut-il encore organiser des élections sur le continent noir?
Il n´y a pas de démocratie sans élections, dit-on! Mais à voir ce qui se passe, il y a malheureusement encore beaucoup de pays en Afrique où les dirigeants semblent s´accomoder des élections sans démocratie.
À condition qu´elles soient bien organisées et que les règles qui les régissent soient mises sur pied et acceptées par tous, les élections constituent une garantie de justice et sont normalement le meilleur moyen pour départager de façon relativement juste tous ceux qui aspirent à représenter le peuple dans certaines instances nationales ou à le diriger.
Mais encore faudrait-il que tous les partenaires politiques puissent avoir l´honnêteté et la bonne foi de respecter les électeurs en se soumettant au verdict des urnes. Et c´est pourquoi en dehors des règles du jeu qui doivent être acceptées et respectées par tous, l´instance chargée de l´organisation, du suivi des élections et de la proclamation des résultats occupe une place primordiale. Car c´est souvent au niveau de cette instance que les chiffres définitifs sont retouchés et manipulés au profit du candidat du pouvoir. Qui a oublié la honteuse comédie d´un certain Taffa Tabiou au Togo en Avril 2015?
Mais pourtant tous les pouvoirs politiques en Afrique noire ne sont pas allergiques à la démocratie; il y a déjà beaucoup de pays où l´alternance au sommet de l´état tend à devenir une habitude. Dans ces pays, les élections, même si elles ne sont pas encore parfaites, ne sont plus synonyme de violence et les peuples semblent avoir appris à respecter ou à tolérer l´adversaire politique.
Dans cette courte liste de pays africains où la démocratie semble devenir une habitude, on peut citer pêle-mêle le Sénégal qui peut se targuer d´une vieille tradition dans ce domaine, le Bénin, le Ghana, le Mali, le Nigeria. Pour le Burkina-Faso il faudra attendre la fin des mandats réguliers de Roch Marc Christian Kaboré pour voir comment les choses vont évoluer. Il en va de même pour la Guinée.
Quant à la Côte d´Ivoire il serait trop tôt pour nous prononcer. Nous préférons attendre pour voir si notre « démocrate » à la justice à sens unique Allassane Ouattara aura l´élégance et surtout la sagesse de quitter le pouvoir à la fin de son deuxième mandat. Alors il aura su poser les fondements d´un vrai début de démocratie dans son pays.
L´exemple de ces pays où la démocratie est en marche fait mentir ces afro-pessimistes qui pensent que la démocratie à l´occidentale serait un luxe pour l´Afrique. Elle est belle et bien possible, mais à certaines conditions.
Les obstacles pour ne pas dire les dangers qui guettent la démocratie africaine sont plus nombreux dans les pays où l´ombre des anciens régime de dictature ne s´est pas encore totalement dissipée.
Soit le dictateur, arrivé au pouvoir par la force, donc dans le sang, ayant entre-temps commis d´autres crimes, a de la peine à se muer en démocrate, pour ne pas devoir rendre compte en subissant justement la rigueur de l´état de droit.
Dans cette lignée on peut citer entre autres Idriss Déby au Tchad, Sassou N´guesso au Congo Brazzaville,Robert Mugabe au Zimbabwé ou dans une moindre mesure Paul Biya au Cameroun.
Soit le fils a hérité de son père dictateur le régime de dictature avec tous les instruments du système de prédation, la plupart du temps en tuant ses concitoyens; et il a une double fonction qui consiste à continuer à gérer l´argent volé par son géniteur comme un bien familial, à essayer de monter des mensonges pour camoufler les crimes de son père en le présentant comme le père d´une nation qu´il n´a pas été capable de construire. C´est le cas de Faure Gnassingbé au Togo et d’Ali Bongo au Gabon.
Dans les deux derniers cas comme dans les cas où de vieux tyrans font encore la pluie et le beau temps, les raisons à chercher à s´éterniser au pouvoir sont presque les mêmes: la soif du pouvoir et surtout la peur de devoir devenir un citoyen ordinaire et avoir à rendre compte des crimes commis.
C´est pourquoi la plupart du temps les commissions électorales nationales flanquées de l´adjectif » indépendantes » sont instrumentalisées bien que des représentants de l´opposition siègent en leur sein. Ces derniers et les rares qui veulent faire jouer leur intégrité sont quasiment achetés par le pouvoir, et si la corruption ne marche pas on ouvre le tiroir des menaces pour leur faire peur. Car, dans de tels régimes la consigne consiste à organiser des élections pour préserver la démocratie trompe-l´oeil, et faire tout pour ne pas les perdre même si on sait qu´on est impopulaire. Et quand c´est le président de la CENI, la plupart du temps un proche du pouvoir,ou c´est le ministre de l´intérieur qui doit proclamer les résultats, comme c´était le cas il y a quelques jours au Gabon, nous voyons mal d´où il prendra son courage pour déclarer son employeur de président perdant des élections.
Au lieu de se maintenir par la force et la triche, ne vaudrait-il pas mieux qu´ils se décrètent présidents à vie de leurs pays pour qu´au moins, l´argent, inutilement dépensé pour des mascarades d´élections, serve entre autres, à réduire la pauvreté, à équiper nos mouroirs d´hôpitaux, et à construire des écoles dignes de ce nom?
Qui chassera Idriss Déby du pouvoir? Qui déboulonnera les moribonds Paul Biya et Robert Mugabé? Quel miracle amènera l´alternance au Togo? Qui fera partir Sassou N´guesso? Qui pourra dissuader Kabila II de faire réviser la constitution congolaise pour qu´il puisse se représenter? Entre la démocratie et la tyrannie héréditaire au Gabon, qui tirera son épingle du jeu?
Les pays dont je viens de citer les dirigeants,sans être exhaustif, sont les nations où la démocratie a encore de sérieux problèmes pour prendre son envol. Les dirigeants qui devraient montrer la voie et donner l´exemple sont devenus de véritables obstacles à l´épanouissement de leurs peuples.
C´est le prototype de régimes qui constituent de véritables obstacles à l´épanouissement de la démocratie et de l´état de droit et dont il faut se débarrasser.
La démocratie qui est synonyme d´élections libres, transparentes et d´alternance politique est possible en Afrique. Il suffit d´avoir la volonté politique et l´amour du peuple pour mettre sur pied des textes acceptés et respectés par tous. Les exemples béninois, ghanéens et burkinabè sont là pour étayer cette affirmation.
Comme Faure Gnassingbé il y a un an, comme le dictateur Idriss Déby il y a peu, Ali Bongo vient de nous prouver, comme s´il en était encore besoin, que l´alternance dans une dictature, de surcroît héréditaire ne s´obtient pas par des élections.
Alors que faire pour que les pays encore à problèmes puissent aussi organiser des élections présidentielles (car c´est elles qui causent problème en Afrique) dont les résultats seront proclamés dans le respect des électeurs?
Il faudrait créer les conditions où l´un et l´autre candidat ne se regarderaient plus en chiens de faïence , où ils n´auraient pas peur de perdre les élections et seraient prêts à retourner à leur vie de citoyens ordinaires sans aucune crainte.
Pour arriver à de telles conditions indispensables pour des élections apaisées et crédibles, il faudrait que les rancoeurs nées par la faute de l´ancien régime de dictature se soient atténuées pour qu´aucun des candidats n´aie de sentiments revenchards.
L´idéal serait une révolution à la ghanéenne ou à la burkinabè pour faire table-rase des systèmes politiques qui ont montré leurs limites sur tous les plans. Car il s ´agirait de permettre l´avènement d´une classe politique nouvelle sans oublier de recourir à l´expérience de certains anciens encore crédibles.
Mais comme les stratégies qui ont porté leurs fruits dans certains pays ne sont pas forcément exportables dans d´autres, il revient aux oppositions concernées de savoir mettre de l´eau dans leur vin pour explorer d´autres voies de sortie de crise.
Si on sait que c´est la peur de perdre le pouvoir et de devoir rendre compte qui fait que beaucoup de chefs d´état mal élus ou autoproclamés s´accrochent à leurs fauteuils présidentiels vaille que vaille, et si on prend l´exemple de notre pays le Togo où nous avons été jusqu´à présent incapables de trouver les moyens d´une vraie révolution, pourquoi ne pas penser par exemple à engager des négociations avec le dictateur avec la facilitation de personnalités crédibles locales ou étrangères? Pas pour signer des accords politiques et former des gouvernements d´union nationale qui sont un moyen pour les tyrannies de gagner du temps et de mettre en place des démocraties de façade.
Il s´agirait de préparer le départ du chef de l´état en l´assurant de sa sécurité et de celle de ses proches. En d´autres termes, pourquoi ne pas leur accorder une amnistie si c´est le prix à payer pour divorcer d´avec l´ancien système et jeter les bases d´une vraie démocratie?
Si on arrive ainsi à se débarrasser des régimes où la démocratie est restée au stade du tâtonnement et que les partenaires politiques dans ces pays s´entendent pour mettre sur pied une constitution et des textes de loi dans l´intérêt de leurs peuples, on ferait l´économie de conflits en périodes électorales et les immixtions étrangères déshonorantes pour l´Afrique, comme aujourd´hui celles de la France au Gabon, s´arrêteraient d´elles-mêmes. Car, c´est lorsque nous sommes incapables de nous entendre que certaines puissances étrangères qui souhaitent nous maintenir dans le désordre pour leurs intérêts, s´infiltrent pour soutenir l´un ou l´autre candidat, et bonjour les dégâts!
Si nous revenons à l´élection présidentielle au Benin il y a quelques mois où le candidat Zinsou était étiqueté « homme de la France », c´est Patrice Talon qui avait brillamment gagné et le candidat malheureux « de la France » avait appelé pour féliciter son heureux challenger; ça s´appelle maturité politique et ce comportement patriotique oblige toute puissance qui chercherait à destabiliser le Benin à rester sur sa faim.
En attendant le dénouement de la crise gabonaise et même si Ali Bongo arrivait à s´imposer par la force, le peuple frère de ce petit pays d´Afrique Centrale aura eu le mérite d´avoir exprimé son dégout pour l´injustice et la tyrannie.
Samari Tchadjobo
Allemagne
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