Dire Non ! Et dire Oui !

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J’avais une fois posé la question : Les législatives, si on en parlait ? C’était  le 14 janvier de cette année. Le temps approche et je vois que l’on se prépare à cette échéance, ou plutôt, que l’on fait semblant de s’y préparer. Quant à la réponse à ma question du 14 janvier, ce n’est pas une participation de certains partis d’opposition aux réunions du Cadre  Permanent de Dialogue et de Concertation qui en serait  une, qui nous satisfasse pleinement. Et pourquoi les partis d’opposition ne constitueraient-ils pas un cadre de concertation pour contrer l’arbitraire obstiné du régime? Si ceux qui ont boycotté ces réunions et ceux qui y ont claqué la porte sont sur la voie de la réponse qu’on pourrait attendre d’eux, il leur reste encore des étapes importantes à franchir. Il importe avant tout de se demander quelle est l’attitude de nos concitoyens sur ce sujet. Certains haussent les épaules pour signifier leur indifférence totale, pensant, non sans raison que ces législatives n’apporteront aucun changement dans leur vie quotidienne personnelle ou dans la vie nationale : la misère qui perdure dans le pays ne trouvera pas son remède et sa fin dans ces élections quelle qu’en soit l’issue. Certains aussi l’envisagent avec appréhension et même angoisse, compte tenu des expériences du passé, le scénario étant sensiblement le même à chaque édition : élection égale promesses démagogiques, fraudes, proclamation de faux résultats, protestations réprimées brutalement, morts, blessés, fuites, exil…

À ce propos, nous connaissons la solution qu’adoptent ceux de nos compatriotes qui, à l’approche d’une échéance électorale, quittent simplement le pays ou leur localité de résidence, pour ne pas assister, en spectateurs abrutis, à ces scènes de désolation ou pire, pour ne pas en être les victimes inutiles. Laissons de côté les messages hypocrites de félicitations des dirigeants étrangers et des organisations internationales, toujours adressés aux mêmes, c’est-à-dire aux fraudeurs toujours vainqueurs. Ceux qui nous félicitent en public, savez-vous ce qu’ils se disent en privé, avec condescendance et non sans un certain dédain à notre égard? Les Africains ne méritent pas mieux. Laissons aussi de côté les histoires de valises d’argent remises par tel ou tel dirigeant étranger à nos leaders pour les aider dans la campagne, pire, pour obtenir leur  désistement au profit de tel ou tel concurrent…,toutes les magouilles auxquelles, avec la complicité de certains responsables togolais, ceux qui ont intérêt à défendre le système actuel se livrent pour nous concocter des « élections » selon leurs vœux. Les mêmes sont prêts à se vanter d’être copains de tels présidents, de tels ministres africains, de telles personnalités africaines haut placées…De qui se moque-t-on?

 Restons-en à ce que nous sommes capables d’offrir nous-mêmes à nos populations. Si ce sont ces plats  indigestes que je viens de décrire que nous nous préparons à offrir à notre peuple, ou si nous devons assister impuissants à la répétition de ces scénarios connus, en notre âme et conscience, vaut-il encore la peine d’aller à de quelconques élections? Ou devons-nous nous résigner, nous avouer condamnés à ne rechercher que la viande, le maximum de profit matériel immédiat à tirer de ce scrutin?

Je dis toujours : réfléchissons. Nous participons aux élections ou nous n’y participons pas, le même pouvoir, le même système reste en place. Nous gagnons éventuellement quelques sièges à l’Assemblée Nationale, le même pouvoir, le même système destitue le nombre de députés qu’il veut pour disposer de la majorité qu’il  souhaite. Nous protestons, nous faisons même recours à la Cour de la CEDEAO qui condamne cette destitution, le même pouvoir, le même système reste sourd au verdict de cette Cour. À qui donc recourrons-nous la prochaine fois dans une affaire du même genre? Nous gagnons l’élection présidentielle, le même pouvoir, le même système  a les moyens de déclarer que nous avons perdu. Nous protestons, nous faisons recours en vain, nous organisons des marches hebdomadaires, puisqu’il ne  nous reste que cela; ces marches durent des semaines, des mois, une année, deux années…le même pouvoir, le même système cherche d’abord à nous intimider en s’acharnant sur les manifestants, puis vous laisse faire jusqu’à ce que le mouvement s’estompe de lui-même! Que nous faut-il encore pour savoir dire NON à tout cela?  Au lieu de répondre à cette question, l’on s’agite: au sein des différents partis, au sein de la société civile, individuellement, collectivement…un peu comme pour un évènement festif. Il va y avoir peut-être une fête, de la viande.

C’est cela les législatives? Je m’adresse, bien sûr, à ceux qui appartiennent au camp de l’opposition. De la viande,  vous en aurez, si ce n’est que cela : les indemnités parlementaires. Beaucoup de nos compatriotes sont possédés d’une telle soif d’amasser, de bouffer. Elã ƞti wo xanaȡo ȡuna yevi ( notre amour exagéré de la viande nous pousse à manger des asticots ).On dit aussi elã  sugbɔ mu gblena desio ( l’abondance de viande ne gâte pas  la sauce ) selon un adage populaire que moi je lis plutôt à la manière d’une anti-phrase, donc ironique.  Alors, Togolais, bouffez! Accumulez! Argent sur argent! Châteaux sur châteaux! Voitures sur voitures! Piscines privées sur piscines privées! Puisqu’il n’y a rien d’autre dans la vie. Tout ceci comme des îlots clinquants d’insolence et d’arrogance au milieu d’une mer immense, sombre de misère, de délabrement, de dénuement, de souci pour la nourriture de chaque jour. Une mer aux eaux dormantes en apparence, mais que sûrement, un jour, soudain, la tempête soulèvera en des vagues terribles, violentes, jamais vues.

La viande! C’est vrai, nous en  avons tant mangé   avec les asticots  que nous confondons ces deux choses, que nous avons la bouche pleine de vers, que nous sommes nous-mêmes rongés de vers sans nous en rendre compte. Et peut-être, le jour où nous nous en rendrons compte, ce sera trop tard. Législatives pour quoi? Pour la viande avec ses asticots? Je vais être clair au cas où   la métaphore échapperait à certains : pour participer à ce pouvoir qui n’offre que corruption aux corruptibles et aux déjà corrompus? Pour devenir, comme cela est déjà en voie, des vers de plus en plus nombreux de la société togolaise et détruire, puisque c’est là la vocation des vers? Pour devenir, le temps que l’actuel pouvoir le tolère, des députés qu’il pourra aussi destituer quand cela lui plaira?

En face de nous, nous avons des gens dont les objectifs sont clairs : se maintenir au pouvoir par tous les moyens, ne rien changer  au dispositif électoral, aux institutions…qui puisse leur ôter une partie du pouvoir, les meilleurs morceaux de viande. Et, au contraire, là où ils ont des doutes, là où ils ne sont pas sûrs de parvenir à leurs fins si les choses restaient en l’état, recourir à des manœuvres, à des experts en la matière pour procéder aux manipulations nécessaires afin que tout leur soit perpétuellement favorable. Si nos objectifs à nous sont d’avoir nos propres députés, de faire, individuellement, la simple démonstration de notre force politique pour obtenir des ministères, éventuellement un  poste de premier ministre, pour une cohabitation à la togolaise dont les Edem Kodjo et les Yaovi Agboyibo ont l’expérience, qu’ils sont seuls à pouvoir qualifier ou même comme les AGO en font l’expérience encore, des gens  qui n’auraient pas de pouvoir effectif, qui ne changeraient rien d’un système pourri, alors, nous pouvons  aller à la fête des législatives dans les conditions actuelles.

 Moi, je ne vois qu’un seul objectif prioritaire à ces législatives : réellement obtenir une majorité forte et unie, qui sera sans compromis pour le RPT ( ce n’est pas le changement de nom de ce parti qui modifierait quoi que ce soit ). Il faut que cette majorité se prépare dès maintenant, qu’elle prépare sa force dans la négociation pour obtenir les conditions de transparence et d’équité, qu’elle prépare dès maintenant sa dynamique pour que le peuple soit de son côté, voie et vive en elle une espérance nouvelle. Le meilleur moyen de perdre d’avance les législatives, c’est qu’elles se préparent comme l’APG que nous ne cesserons de dénoncer, au risque d’être traité de passéiste ( 2006 n’est pourtant pas si loin que ça et à ma connaissance, malgré les nombreuses violations de cet accord par le pouvoir, il n’y a pas eu une véritable autocritique de la part des opposants qui ont été floués et qui normalement, au moins un jour, une nuit, ont dû se mordre le doigt à ce sujet ). C’est, concentrés sur l’objectif prioritaire de changer le système, non pas de l’intérieur comme certains l’avaient pensé ( peut-être sincèrement au moment de la signature de l’APG ) mais en le prenant complètement en main, en l’englobant, en le dominant, que nous ferons œuvre d’avenir. Je vois bien Gnassingbé  encore à la présidence de la République ( une présidence par deux fois volée ) pendant un an au plus, mais sans aucun pouvoir, comme son père après la Conférence Nationale Souveraine, et surtout, sans la possibilité de préparer une réélection frauduleuse, ni de perpétrer un coup d’État, comme en 2005. Pour ceux qui veulent le changement au Togo, il n’y a pas d’autre vision. Mais pour ceux qui veulent manger de la viande, même pourrie, qu’ils y aillent. Il n’est surtout pas question de  demander à Gnassingbé de ne plus se présenter en 2015. Il ne vous écoutera pas. Son entourage non plus. Il faut d’abord qu’il reconnaisse qu’il a frauduleusement exercé deux mandats.

On m’a déjà demandé : «  Monsieur Zinsou, au nom de quel parti parlez-vous? » Si les partis et les mouvements, dans leur état actuel, depuis au moins dix ans, c’est-à-dire depuis le commencement du règne d’Eyadema II, divisés qu’ils sont, pouvaient résoudre le problème, nous n’en serions plus là! On m’a demandé aussi :« Vous roulez pour qui?»  Combien sont aujourd’hui déçus parce qu’ils roulaient pour tel ou tel leader? N’avons-nous pas compris que nous n’avons pas besoin d’un gourou? Que si un citoyen nous fait une proposition sensée, lance un appel aux leaders, aux hommes et aux femmes, aux jeunes, aux vieux que seule motive la volonté de changement et non la faim de la viande, cela nous suffit pour répondre et faire bouger notre pays?  L’initiative prise par François Boko, avant les élections présidentielles de 2010 qui a abouti à la création du FRAC était bonne et  nous étions certainement une majorité de Togolais à l’avoir applaudie. Mais aujourd’hui, avec le recul du temps, nous pouvons nous interroger sur ses forces et ses faiblesses, ses réussites et ses échecs. Ses faiblesses, ce n’était pas seulement parce qu’elle était venue tard, mais c’était aussi parce que tous nos leaders n’y avaient pas adhéré et avec la même sincérité, n’avaient pas tu leurs ambitions personnelles pour l’objectif commun. Quant à ses échecs,  chacun redoutait  que le FRAC, tel qu’il était né, fasse long feu. Les faux accords cachant mal les rivalités entre Agboyibo et Fabre, d’un côté, entre ce dernier et Gilchrist Olympio  de l’autre, fermentaient déjà en sourdine. Mais on voulait tous  croire au FRAC, puisqu’il n’y avait rien d’autre à quoi s’accrocher. Le pire, c’étaient les gens qui faisaient juste semblant d’y croire.   C’est au moment où je cherchais à mobiliser les compatriotes vivant en Allemagne pour un soutien au FRAC et après le hold up électoral pour une marche de protestation à Berlin, que certains m’ont demandé pour le compte de quel parti, quel leader je travaillais. Les réticences venaient aussi parfois de concitoyens qui se croyaient eux-mêmes une vocation de messies! Je n’appartenais( et n’appartiens toujours)  à aucune chapelle, n’avais reçu aucun mandat d’aucun parti, d’aucun leader pour ce faire. Seuls me motivaient mon sens civique de responsabilité et aussi, les encouragements des compatriotes qui me disaient qu’en tant que aîné, j’étais en position de coordonner la mobilisation. Chaque citoyen, homme ou femme de tout âge, dans sa position peut prendre les responsabilités qui lui incombent. Ni messie, ni gourou! Seulement des femmes et des hommes pour qui la viande n’est pas la valeur suprême!

Je me suis souvent demandé : si tous ceux qui ont été appâtés par la viande avaient dit non, si personne n’avait accepté d’être ministre ou premier ministre de Gnassingbé depuis le coup d’État de février 2005, en serions-nous là? Faure n’est fort que parce notre amour immodéré de la viande nous a poussés à aller nous remplir le ventre de vers. Faure n’est fort que parce qu’il nous croit tous faibles! Faure ne dort tranquillement que parce qu’il nous croit tous endormis! Réveillons-nous! Faure nous appâte avec la viande parce qu’il nous en croit friands! Nous devons lui dire  : NON !
Ce régime n’est fondé que sur la force brutale, l’argent, des institutions de la fausseté, y compris   la commission  dite de Vérité-Justice-Réconciliation. Il est temps que la nation togolaise soit fondée sur des valeurs de partage du pouvoir  sans lesquelles la démocratie est un vain mot, de partage équitable des richesses du pays, sans lequel notre viande est remplie de vers.
Qu’un pays qui regorge d’intellectuels, de talents, de gens compétents dans les différents domaines soit réduit à ce pâle tableau, fait mal quand on y pense. Et quelle est la cause de ce  comportement? Répondrons-nous, sans baisser la voix, de honte, sans fermer les yeux avec tristesse que c’est à cause de la viande?

Un homme politique togolais, qui appartient aussi à l’élite intellectuelle de notre pays avait dit un jour de1990, qu’il nous fallait d’abord chasser le renard de la basse-cour  avant de nous occuper des poulets morts. L’image était forte. C’était devenu une légende. Certains l’ont chantée. Nous crions tous : sus au renard (wɛtɛklɛ )! Mais que constatons-nous aujourd’hui? Le même renard cause les mêmes dégâts et nous assistons impuissants à ses ravages.

Ce que nous devenons, par suite de l’effondrement de notre volonté, de notre renoncement à la clairvoyance, de l’affaiblissement de notre capacité à dire NON et à nous lever comme un seul homme pour chasser le renard, est ce que le Chaka de Senghor décrit comme :«Une basse-cour cacardante, une sourde volière de mange-mil oui … luisant de graisse comme cuivre rouge»  Et la volière enfiévrée s’agite au bruit de la viande électorale, des grains électoraux, trépigne, virevolte, se bouscule, se bat, à la recherche de grains et de vers  dans la poussière de la basse-cour, en attendant d’être mangée elle-même par le renard! La volière gavée à dessein, encombrée de graisses inutiles, amputée d’une partie de ses ailes, donc incapable de  prendre vraiment son envol, rassure le renard qui sait qu’il peut en disposer perpétuellement. Mange-mil ou mange-riz Faure, pique-vers, nous rendons-nous compte  que le renard, d’année en année, est en train de dévorer, de manger notre rêve, notre ambition qui est de bâtir un État démocratique et un État de droit ?

Cependant, il ne s’agit pas simplement de dire NON. Il faut dire aussi OUI. OUI aux aspirations du peuple togolais. OUI à une plateforme commune de toute l’opposition pour écarter Gnassingbé du pouvoir, pour gouverner le pays pendant une transition qui permettra d’organiser des élections,  de réinstaurer un pouvoir républicain, sur la base de la Constitution de 1992. OUI à une plateforme commune de programme minimum de gouvernement dans les domaines prioritaires de la santé, de la réduction des inégalités sociales, du début de réparation des injustices flagrantes, de l’instruction publique, de l’amoindrissement de la précarité, celle de nos jeunes surtout, de la réduction de la misère dans nos villes et dans nos campagnes, de l’agriculture, de l’emploi, de la lutte contre la vie chère, du développement… Du retour des valeurs en lieu et place de la viande. Nous avions fait tout cela à la Conférence Nationale. Les documents de base existent qui peuvent être actualisés. Il ne s’agit pas d’un besoin nostalgique de retour aux années 90. Il s’agit de voir, aujourd’hui, en 2012, ce qui est nécessaire et prioritaire pendant une transition ne devant pas dépasser un an. Alors, et alors seulement on pourra parler de pardon et de réconciliation. Il s’agit avant tout de s’entendre  au sein de l’opposition. Il s’agit de nous projeter dans l’avenir, celui que nous préparons pour la jeunesse d’aujourd’hui, pour nos enfants et nos petits-enfants. Si nous ne sommes pas capables d’une telle entente, alors, ne faisons plus jamais de politique, car faire de la politique dans le contexte actuel du Togo, sans cette vision, c’est condamner nous-mêmes notre action à l’échec.
 
Il faut faire du vote aux législatives de 2012, un vote contre la monarchie héréditaire des Gnassingbé au Togo, car c’est là notre grand problème. Le peuple togolais n’a jamais été consulté au sujet du type de régime qu’il  souhaite, depuis le coup d’État de 1963. Penser ces législatives, autrement  que comme un moyen de mettre fin à cette situation dans laquelle nous sommes plongés contre notre gré, serait une faute grave que les Togolais pourraient, des décennies durant, regretter amèrement.

 Sénouvo Agbota ZINSOU

 

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