Lynx.info : Comment l’économiste Nadim Michel Kalife explique-t-il que, au lieu d’aller faire des prêts auprés de la Banque Mondiale, un pays riche comme les USA (ou la France) se tourne plutôt vers la Chine ?
Nadim M.Kalife: Il ne s’agit pas ici de prêts entre la Chine et les USA ou la France. C’est autre chose que les prêts du FMI aux pays africains.
En effet, dans les échanges commerciaux entre la Chine et les USA (ou l’UE), la Chine enregistre un excédent d’environ 50 à 100 milliards $ par an. Cela signifie que la Banque Centrale de Chine (BCC) détient dans ses écritures bancaires une créance de ce montant, en dollars et en euros. Et, pour ne pas laisser cet argent improductif sur ses comptes, elle le place en bons du trésor américain (ou européen), càdire en obligations d’Etat, qui lui rapporteront des intérêts variant de 3% à 6% selon la période : de cette façon, cela servira à accroître les réserves de la BCC en augmentant donc la dette finale des USA (ou de l’UE) envers la Chine.
Avant la démonétisation du $ en 1971 (et donc de l’ensemble des monnaies qui se définissaient toutes par rapport au US $ depuis 1945 dans le système du GES, Gold Exchange Standard, convenu à Bretton Woods en 1944), sous la présidence de Nixon, la Chine aurait pu, à tout moment, exiger des USA de convertir les dollars détenus par la BCC en or, au taux de 35$ l’once d’or, taux fixé en 1944 dans les accords de Bretton Woods. Mais avant 1971, la chine vivait en vase clos, sous Mao Tsé Toung qui animait la politique des Mille fleurs et Gardes rouges, ignorant l’économie mondiale sous l’emprise de l’impérialisme américain.
La Chine a accepté de s’ouvrir à l’économie capitaliste, à petits pas, à partir de 1978, en concédant des implantations d’usines américaines sur certaines parties de son territoire, sous forme d’entreprises « franches », moyennant un impôt forfaitaire de 15% sur les bénéfices. Ces entreprises exportaient sur le marché américain et européen à bas coûts et donc à bas prix, et leurs exportations croissantes ont procuré de plus en plus de devises en dollars à la BCC. Ensuite, dans les années 1990 et suivantes, ce sont les grandes entreprises européennes qui ont imité leurs homologues américaines en délocalisant leurs usines en zones franches chinoises, où elles créèrent toutes des dizaines de millions d’emplois chinois alors que le chômage va augmenter dans leurs pays respectifs, faisant pression à la baisse moyenne des salaires.
Et c’est grâce aux exportations croissantes de toutes ces entreprises étrangères installées en Chine (relayées depuis lors par des entreprises à capitaux chinois), que la BCC a pu accumuler les plus grosses réserves de change du monde, 2200 milliards $, soit plus du tiers des réserves des banques centrales dans le monde. C’est pourquoi la Chine se retrouve associée aux réunions du G8, malgré son classement parmi les pays à revenu intermédiaire. En effet, ses imposantes réserves de change pourraient déstabiliser les marchés financiers si le gouvernement chinois les convertissait en « Fonds souverains », qui pourraient perturber les bourses à travers toutes les places du monde, puisque l’OMC impose partout la libre circulation des capitaux.
ll faut aussi savoir que, dans son propre intérêt, la Chine ne se permettra pas de convertir ses réserves de dollars en euros (2.200 milliards $ en ce moment !), sinon le cours du dollar chuterait aussitôt à plus de 2 dollars pour 1 euro, renchérissant ainsi considérablement l’euro qui deviendrait la seule monnaie- refuge. Ce geste déséquilibrerait aussitôt toute la production européenne qui deviendrait trop chère à l’exportation, ce qui pousserait l’UE à prendre des mesures de sauvegarde de son économie en taxant lourdement ses importations pour protéger ses fabricants et producteurs, pour éviter un chômage massif entraînant une révolution sociale menée par l’ensemble de 50 millions de chômeurs qu’elle connaîtrait alors…
Parallèlement, il faut savoir que la Chine n’a pas intérêt à agir de la sorte, car ses réserves, étant libellées principalement en $, diminueraient en valeur réelle. Et, pire encore, sa propre monnaie, le YUAN ou Renminbi, étant rattachée au dollar américain, il s’ensuivrait la dépréciation de sa propre monnaie nationale, ce qui
renchérirait tous ses prix d’importation et notamment les matières premières pour ses industries. Son économie serait alors soumise à une inflation très forte, faisant courir de gros risques pour sa stabilité politique, compte tenu de ses multiples tensions ethniques et régionales existantes et qui harcèlent déjà le pouvoir central…
Et pour revenir à votre question, le FMI et la Banque Mondiale ne disposent pas de 2.200 milliards $ pour se substituer à la BCC en prêtant aux USA l’équivalent des obligations d’Etat détenues par la Chine et autres placements chinois aux USA. Et surtout, ce n’est pas le rôle du FMI ni de la Bm de financer les déficits du commerce extérieur d’un pays aussi riche et ne respectant aucune discipline monétaire, comme c’est le cas des USA. Ce n’est pas à ces institutions financières (crées à Bretton Woods en 1944 pour venir en aide aux pays dévastés par la seconde Guerre Mondiale), de souscrire des obligations de l’Etat Fédéral Américain pour financer ses guerres à l’Etranger, en Irak, en Afghanistan, au Pakistan ou en Corée ni au Vietnam… Elles doivent financer le développement économique et non pas la guerre.
Lynx.info: Un pays africain, comme le Togo par exemple, est plus familier de la BM, du FMI, des Club de Paris ou de Londres, ainsi que d’autres institutions financières. Pensez-vous qu’à long terme ces prêts soient préjudiciables pour les Togolais ou bien nos dirigeants ont-ils mis des gardes-fous pour que les générations futures n’en souffrent pas?
Nadim.M.Kalife: Il faut savoir que le Club de Paris regroupe les créanciers publics, càdire des Etats, comme la France, les USA, la RFA, l’UE, …etc. Ces pays, constatant que le Togo est incapable de rembourser, même à long terme, ont décidé d’effacer leurs créances sous conditions,notamment de respecter les droits de l’homme et de contribuer à l’assainissement de la gestion des finances publiques. C’est ce qui a permis de diminuer notre dette extérieure, la ramenant de plus de 800 milliards FCFA en 2005 à 680 milliards FCFA en 2008. Et cela s’est renforcé depuis la réunion de Bruxelles en octobre 2008.
Quant au Club de Londres, il regroupe les créanciers privés des Etats africains qui y sont regroupés ; ce sont des institutions financières privées composées de 2 catégories :
-les unes, des banques sérieuses, avaient acceptées de céder leurs créances à la BM ou au FMI, certaines à moitié prix, d’autres au quart du montant d’origine, puisqu’elles avaient déjà provisionné ces créances douteuses, composées presqu’exclusivement des intérêts de retard, le capital principal ayant été remboursé peut-être 2 à 3 fois.
– les autres, sont des agences financières privées, probablement complices des montages financiers de tous ces prêts criminels et sur-gonflés, (où les dirigeants politiques de l’époque avaient dû percevoir tout ou partie des montants surfacturés par leurs intermédiaires impliqués dans la réalisation des « grands travaux »). Comme je les avais dénoncés dès 1988 [dans un article retentissant, publié par ECOMAGAZINE et intitulé « Pour ou Contre la Dévaluation du FCFA », où je réclamais, avant même l’existence du TPI créé en 1994 pour les génocides, la création d’un Tribunal Economique International ( le TEI, siégeant à La Haye) punissant ce genre de crimes économiques commis à l’encontre des pays pauvres), ces criminels économiques avaient vite fait de disparaître juridiquement en cédant leurs créances à d’autres aigrefins (probablement eux-mêmes, déguisés sous l’appellation de nouvelles sociétés financières) qui ont pu renégocier directement la cession de ces créances au sein de ce Club de Londres. Et dîtes-vous bien que, parmi ces créanciers du Club de Londres, il y en a qui avaient racheté la dette initiale du pays africain à 1% de son montant final, et ils se sont permis de la revendre à 25% ou 40% ou même 50% au FMI et autres, ce qui leur a permis de réaliser 25 fois ou 40 fois ou même 50 fois leur mise ! Ah ! je vous assure que dans ce monde de la finance, que nous pensons être respectable dans leur beau costume et leur bureau feutré avec un accent condescendant, il y en a, des arsouille !, et le plus grand d’entre eux s’est dévoilé tout récemment sous le nom, devenu mythique, de Bernard Madoff… ô Saint Bernard qui avait renoncé aux richesses de ce bas monde, Priez pour nos pays pauvres…
ll faut savoir que l’ensemble constitué par les dettes extérieures, aurait été remboursé si on ne leur avait pas appliqué des taux d’intérêts exorbitants, qui n’auraient pas lieu d’être appliqués si les prêts étaient vraiment destinés à financer de vrais projets de développement du pays. En effet, dans ce cas, la Bm, la BOAD, la BAD, le FED, et les diverses banques internationales de développement auraient accepté de financer ces projets en prêtant au taux de 0,75% au lieu des 18% qui leur ont été appliqués. Ce taux de 18% a doublé le montant à rembourser en 4 ans, le quadruplant en 8 ans et l’octuplant en 12 ans de retards, alors qu’au taux de 0,75% les intérêts auraient été insignifiants, et la dette extérieure togolaise aurait été de seulement 300 milliards au lieu des 1500 milliards FCFA qui nous pendaient au nez en 1994, au lendemain de la dévaluation du FCFA.
C’est que nos chefs d’Etat africains ont sûrement été surpris par l’ampleur de l’effet multiplicateur des retards de remboursement des dettes qu’ils avaient contractés : ils n’avaient pas dû y penser à cause de leur orgueil qui les aveuglait, les empêchant d’envisager que les cours mondiaux (qui avaient si bien augmenté durant 7 années de vache grasse entre 1973 et 1980), pouvaient tout aussi bien chuter, et pour plus longtemps encore, entre 1981 et 1993, soit durant 12 ans. Or, au cours de cette période des vaches maigres, les retards de paiement ont multiplié par 2, 3 ou 4 les montants impayés, selon les taux d’intérêt pratiqués pour les divers emprunts. Le ridicule de ces actes irresponsables, c’est qu’ils savaient combien ils allaient percevoir sur les « grands travaux », mais ils n’avaient pas mesuré l’impact des intérêts à payer sur leur surfacturation, ni pensé que les générations futures de leur peuple allaient être plongées dans la misère qu’il subit à présent ! Cette insouciance prouve bien que tous ces despotes déifiés se moquaient royalement de leur peuple soumis dans la peur ! Chhhhouan ! En fait, pour mémoire et pour mieux comprendre la situation financière désastreuse de nos populations innocentes, il faut savoir qu’en 1975 le Togo avait remboursé toute ses dettes extérieures grâce aux recettes provenant des recettes d’exportation des phosphates qui venaient d’être nationalisées le 2 février 1974. Et les finances publiques togolaises étaient réputées parmi les plus saines de tous les pays africains de la zone Franc.Malheureusement pour nous, alors que le président Eyadema était devenu le plus populaire de tous les hommes d’Etat togolais en 1974, ce sont des conseillers spéciaux étrangers (à l’abri des regards des nationaux) qui l’ont amené, comme tous les autres dictateurs africains, à adopter la politique dite des « grands travaux », où ces conseillers maléfiques savaient monter une mécanique de tromperie par le haut, en établissant des coûts surélevés de ces projets, truffés de fausses factures et de commissions exorbitantes. Ces surfacturations ont eu pour effet direct de tripler, quadrupler, quintupler ou même de sextupler le prix réel des grands travaux réalisés durant les années 1975-1982. Et pour les financer à crédit, ces « mauvais génies » s’adressaient à des intermédiaires financiers véreux, obscurs et complices, sans appels d’offre, car il y avait le pouvoir absolu qu’aucun citoyen ne pouvait critiquer sans grave problème de survie. Ces conseillers économiques détenaient le monopole des conceptions et réalisations de ces « grands travaux » qui symbolisaient la grandeur du régime, écartant de force tous les intrus concurrents qui se présentaient pour concourir et accéder auprès du chef de l’Etat.Tous ces financements « arrangés » obtenaient la caution des principales entreprises publiques qui étaient très solvables à l’époque, en l’occurrence l’OPAT et l’OTP au Togo, en plus de la garantie de l’Etat togolais avec son tout puissant chef d’Etat. A cette époque-là, Eyadema était courtisé par tous les Chefs d’Etat occidentaux qui le soutenaient publiquement car il était leur associé exemplaire dans la Guerre Froide qui les opposait à l’URSS. L’Occident n’était pas encore intéressé par la défense des droits de l’homme dans les pays africains, préférant donner leur priorité à la lutte anti-communiste.
Or, face aux montages douteux de ces grands projets, les grandes institutions internationales (comme le FMI, la BAD, la BM, la CFD ou le FED) n’acceptaient guère d’entrer dans leurs combines de surfacturation et de rétro-commissions : ils refusaient de les financer à faible taux d’intérêt, car ils ne contribuaient pas au développement du pays.
Tous ces « grands projets » étaient donc condamnés d’avance à la faillite, en endettant le peuple togolais pour toujours, car, jamais nous n’aurions pu rembourser ces dettes s’il n’y avait pas eu leur effacement volontaire de la part de nos grands bailleurs de fonds, sous forme de dons. D’ailleurs, il faut savoir que la plus grande partie des 600 milliards FCFA d’aide obtenus à Bruxelles à l’occasion de la Table Ronde d’octobre 2008, est constituée d’effacements d’une partie de nos dettes extérieures : et c’est cette partie-là qui a été débloquée en premier par le FMI, la BM, l’UE, le Japon, la France et l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, le Danemark et la Norvège, …etc, avant le déblocage en cours de certains dons en argent frais, pour réhabiliter les routes de Lomé, les relais électriques de la CEET, les extensions du réseau de distribution d’eau potable de la Régies des Eaux, etc…
Mais, est-ce que cette fois-ci l’on peut espérer que ces nouveaux travaux publics soient confiés à de vrais professionnels du métier, au lieu de subir à nouveau la honte pour les loméens qui avaient assisté, sous leurs yeux et leur nez, aux vilains travaux de réfection des caniveaux. Savez vous que ces travaux mal faits avaient contribué à répandre le choléra à Lomé l’an dernier, en 2008, parce qu’ils avaient été réalisés par des tâcherons, inexpérimentés et sans professionnalisme, répandant sur la chaussée et donc en l’air, les saletés infectieuses extraites des caniveaux ? Et combien ces mauvais travaux avaient-ils coûté ? Et sur quels fonds avaient-ils été financés ? On n’en sait rien : il n’y a pas de transparence… Pourquoi ? Devinez donc.
Et pour conclure votre question, c’est toujours le peuple qui paie la mauvaise gouvernance et la piètre gestion de l’économie du pays par ses dirigeants, pas les responsables
Interview réalisée par Camus Ali