Côte d’Ivoire. « Les frustrés », un groupe armé issu des FRCI menace…

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La guerre postélectorale qu’a connue la Côte d’Ivoire n’a pas encore fini de livrer tous ses secrets. En tout cas, en ce qui concerne les tenants et aboutissants de la crise et surtout les acteurs actifs et passifs de l’embrasement.

Dans sa guerre frontale contre le pouvoir Gbagbo, le camp Ouattara a eu recours à tout. Y compris le recrutement massif de jeunes combattants volontaires. Au nombre desquels, les «frustrés», un groupe armé d’environ 500 personnes, spécialisé dans les armes lourdes. Formées et rompues au maniement des armes de toutes sortes qui juste après la fin de la crise, ont été rangées aux oubliettes, sans le moindre remords. «Ce n’est pas bien de faire des mouvements, mais si c’est la seule solution qui s’offre à nous, nous sommes prêts à risquer nos vies», disent-ils.

C’est au plus fort de la crise postélectorale qui s’est muée en guerre qu’ils ont été recrutés, formés. Près de 500 jeunes gens, obnubilés par le désir de voir Ouattara aux affaires et de se mettre plein les poches, ont mordu à l’appât et à l’alléchant projet que leur offraient Guillaume Soro et le Général Soumaïla Bakayoko. En tout cas, disent-ils, c’est au lendemain de l’échec de la prise de la Rti, le 16 décembre 2010 que, depuis le Golf Hôtel, Guillaume Soro a lancé l’idée de recrutement de jeunes «prêts à combattre».

Selon Mao, un des combattants que nous avons rencontré, ils ont été formés par vagues de 100 à l’Ecole des forces armées (Efa) de Bouaké sous le commandement du Commandant Vamoussa Ouattara. «C’est le premier ministre (Guillaume Soro, ndlr) qui a eu l’idée du recrutement des jeunes dans les dix communes d’Abidjan, juste après la marche – armée – sur la Rti. Voilà comment ils vont rentrer en contact avec des personnalités pour nous recruter dans les 10 communes. Nous avons été emmenés à Bouaké pour la formation accélérée. Nos instructeurs étaient des officiers de l’armée burkinabè. Nous avons été formés par vagues successives de janvier à la mi-février. Avant d’investir discrètement des communes d’Abidjan. Telles que Abobo, Anyama, Koumassi, Attécoubé…», explique Mao, un des porte-paroles des «recrues de l’Efa».

Quelques semaines après le début de la formation, poursuit-il, Guillaume Soro, accompagné du Général Soumaïla Bakayoko, du Cdt Chérif Ousmane et bien d’autres, sont venus les voir au sein de l’Efa de Bouaké. «C’est vous l’Ecomog. Vous allez intégrer l’armée sans conditions», a lancé Soro à leur endroit.

« On nous a transformés en machines à tuer »

Un autre combattant de ce «bataillon» très particulier qui répond au nom de M’Bouké a expliqué qu’on leur avait fait des promesses très claires depuis le Golf Hôtel. A savoir, une maison et plusieurs millions de FCFA à chacun (certains parmi eux avancent même le chiffre de 30 millions de Fcfa par combattant).

«C’est le commandant Tracteur lui même qui nous expliquait que l’Ecomog allait leur revenir trop cher, c’est pourquoi, ils ont préféré miser sur nous ; avec la promesse bien sûr de nous offrir après la crise une maison et des millions à chacun. On était un peu comme les forces spéciales. Nos instructeurs étaient de l’armée burkinabè, il y avait également l’adjudant Ouga Amidou, Tracteur, Tango, le Colonel Fofana… Nous avons été formés comme des monstres par les formateurs burkinabè. Nous avons été formés à l’Efa de Bouaké en instructions sur les tirs (Ist), au maniement des armes lourdes, des armes légères, comment désarmer quelqu’un. Ensuite, nous sommes allés à Katiola sur le champ de tirs des armes lourdes.

Là-bas, on nous a appris comment tirer des armes lourdes, comment les détruire, comment neutraliser un char même à l’aide d’une kalach. En somme, on nous a transformés en de véritables machines à tuer. Et aujourd’hui, les mêmes qui nous ont utilisés, nous ont abandonnés», fait savoir M’Bouké, qui se présente comme un spécialiste des mortiers. Après leurs différentes formations à Bouaké et Katiola, au mois de février, ces combattants sont déversés dans différentes communes d’Abidjan. D’abord à Abobo et au Pk 18, ensuite à Anyama et dans d’autres communes comme à Koumassi, Attécoubé, Yopougon.

«C’est Adams (un surnom certainement), aujourd’hui au ministère de la Défense, qui recevaient les instructions du Golf Hôtel sur les endroits où on devrait frapper à chaque fois. Une fois à Abidjan, c’est lui et Tracteur qui étaient nos interlocuteurs directs. Quand Chérif Ousmane entrait à Yopougon, il est tombé dans une embuscade, ils nous ont fait appel et c’est nous qui lui avons permis de rentrer sur Yopougon. Dieu seul sait combien d’éléments Chérif Ousmane a perdu ce jour-là. Nous n’avons peur de rien. La mort ne nous dit absolument plus rien», avoue «Pickas», un autre combattant de ce groupe armé.

« Nous avons été trahis… »

C’est très amers et révoltés que ces excombattants, cinq au total, se sont ouverts au Nouveau Courrier. Ils disent parler au nom de leurs camarades de la légion des «frustrés», plus de 400 combattants au total, se présentant comme rompus au maniement des armes lourdes, qui se sentent floués et trahis. Par un régime pour qui ils ont sacrifié leurs vies, femmes, enfants et boulots. Sans rien recevoir en retour, après avoir frappé à toutes les portes possibles. Ils disent avoir rencontré successivement le Cheick Boikary Fofana, le président de la Cdvr lui-même, Charles Konan Banny, Henri Konan Bédié par l’entremise d’un de ses proches. Qui leur a rétorqué qu’il (Bédié) ne se mêlait plus des affaires militaires depuis la fameuse mutinerie de décembre 1999. Aucune de ces personnalités rencontrées n’a donné d’écho à leur situation.

«Aujourd’hui (sous-entendu après la crise, ndlr), les promesses qu’on nous a faites n’ont pas été respectées. Non seulement, on n’a pas intégré l’armée sous prétexte qu’on est vieux d’après le Cema Soumaïla Bakayoko, mais on n’a reçu ni l’argent ni les maisons qui avaient été promis. Et plus grave, ceux qui n’ont pas pris part aux combats, qui n’ont rien fait, les protégés des commandants du Cema…, ce sont eux qui sont intégrés dans l’armée, ce sont eux qui mangent», se plaignent-ils. Fatigués d’être tournés en bourrique, après avoir fait le sale boulot pour le camp Ouattara, ces combattants se retrouvent dos au mur et haussent le ton.

Près de 500 « machines à tuer » menacent…

Ces combattants sont tellement amers et dépités qu’ils n’en reviennent pas. Le régime a tenté de manger ses «propres enfants». Selon les révélations qu’ils ont faites, c’est qu’après la crise, la mission de les éliminer a été confiée au commandant Jah Gao, sous le fallacieux prétexte que ces combattants seraient des éléments de IB.

«On se rend compte que c’est parce qu’ils ne pouvaient pas tenir leurs promesses qu’ils ont voulu nous éliminer. C’est le commandant Tracteur qui ayant appris cela a pris contact avec le ministre Hamed Bakayoko pour lui expliquer la situation, afin que qui de droit soit informé de la situation. Et c’est comme cela que l’opération visant à nous refroidir a été annulée. C’es grâce à Hamed Bakayoko que nous sommes encore en vie», révèle une des «recrues de l’Efa». Ces derniers disent avoir toutes les preuves (documents, éléments sonores et vidéos…) de cette affaire depuis le début, c’est-àdire en décembre 2010–janvier 2011 jusqu’à ce jour (certaines de ces preuves nous ont été présentées, mais ils ont refusé pour l’instant de nous les remettre).

Ce qui les écoeure le plus, disent ils, ce sont les propos de ceux qui les ont recrutés, formés et entretenus. «Nous n’avons plus affaire à vous», leur a lancé sèchement au téléphone Tracteur, en notre présence. Interrogé pour sa part, le commandant de l’Efa, le Commandant Vamoussa Fofana nous a demandé de nous référer à la hiérarchie à Abidjan. Malheureusement, aucune oreille attentive concernant ce dossier du côté de l’Etat-major. Des personnes interrogées au téléphone aussi bien à l’Etat-major qu’au ministère de la défense disent n’avoir pas connaissance de ce dossier.

Aujourd’hui, ces ex-combattants pensent qu’ils n’ont plus d’autres choix que de se faire entendre autrement. «Actuellement, ce n’est pas parce qu’on ne peut pas faire un mouvement qu’on essaie de frapper à toutes les portes. Ce n’est pas bien de gâter ce qu’on a fait. Mais, si c’est la seule solution qui s’offre à nous, nous sommes prêts à risquer nos vies pour nous faire entendre. Les gens se foutent de nous, parce qu’ils se disent qu’on ne peut pas faire de mouvement. Et pourtant, ils nous ont appris eux-mêmes à l’Efa que ce n’est pas la quantité qui compte mais la qualité. Et nous sommes prêts», font-ils savoir.

Gérard Koné

 

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