Plusieurs fois nous avons tenté au journal Mutations de prendre quelques impressions de cet analyste politique, journaliste et rédacteur en chef du journal en ligne Lynx Togo. Info, afin qu’il nous parle de son pays le Togo. Cette fois-ci, le journaliste a bien voulu parler des élections du 25 Avril 2015 au Togo et de tous les opposants qui y ont participé. Je profite de l’occasion pour un colloque à Bruxelles et la ville de Lièges sera notre point de rendez-vous. Le journaliste arrivera en voiture flanqué de sa fille. Le restaurant oriental « Numidie » à Lièges nous sert de lieu pour cette interview. Lecture !
Mutations : On a observé un silence incompréhensible de votre part avant les élections d’avril 2015. Vous avez refusé de nous accorder une interview…
Camus Ali : Il fallait laisser les nouveaux composants aller faire leur propre expérience. Nous savions très bien qu’il y avait des choses dangereuses et un opportunisme ambiant qui se tramaient sur le dos du peuple. Il ne fallait pas surtout être à quelques mètres de Jean-Pierre Fabre et des héritiers de 70 millions de Francs-CFA du contribuable togolais de peur de se souiller les mains dans cette conspiration contre le peuple.
Que retenez-vous de la victoire de Faure Gnassingbé ?
Nous retenons que Jean-Pierre Fabre et les autres conspirateurs de la république qui l’ont suivi dans ce bourbier nous ont rendu la lutte plus difficile. Pour être franc, il nous sera difficile voire très difficile de chasser Faure Gnassingbé du pouvoir à moyen termes.
Pourquoi ?
Le seul repère pour mettre les cartes sur table et aller dans une élection d’égal à égal était l’Accord Politique Global (APG) signé à Ouagadougou. Dans cet accord ; il était question de réformes institutionnelles et constitutionnelles avant toutes élections au Togo. Vous voyez, dans l’avenir Faure Gnassingbé et ses mille et un conseillers Français comme Togolais revenir sur ce qui a l’a toujours opposé avec le peuple togolais concernant la limitation des mandats, le fichier électoral et les juges neutres chargés de trancher sur les contentieux électoraux…?
Finalement, l’opposition togolaise s’est elle-même tirée la balle dans le pied ?
Non ! Il n’y a pas d’opposition au Togo. L’ancien ministre de François Mitterrand, Kofi Yamgnane parle d’un cartel d’opposants. Moi je parle d’un conglomérat d’opposants composé de faux opposants, de tribalistes, de composants, d’opportunistes, de receleurs et de malhonnêtes qui ont tous pour référence Faure Gnassingbé. C’est lui qui tient la bourse donc ; il est le financier de tous. Nous sommes loin des « Barbus » sud-américains avec à leur tête Ernesto Che Guevara dans les forêts amazoniennes pour une indépendance totale de leurs peuples. Nous sommes loin, très loin de Maximilien Robespierre et ses « Sans culottes » qui voulaient en finir avec la Commune. Nous sommes loin des « Patriotes » de Laurent Gbagbo qui ont failli de peu remettre en cause les indépendances factices données aux Africains. Non ! L’opposition togolaise ne s’est pas tiré la balle dans le pied. Tous les opposants savaient ceux qu’ils faisaient. Je suis journaliste. Je connais beaucoup, j’ai interviewé d’autres et a écrit à certains pour leur demander s’ils savaient tout le mal qu’ils faisaient au peuple togolais en allant à une élection sans garantie et gagné d’avance .
Faure Gnassingbé dans une interview accordée quelques jours avant les élections par nos confrères de Jeune Afrique disait qu’il ne voulait pas rester longtemps au pouvoir…
(Rires. Il boit sa bière et souffle). Au Cameroun vous croyez en la parole d’un Gnassingbé ? Nous au Togo nous savons que toutes les fois qu’un Gnassingbé ouvre la bouche, c’est pour mentir. Le père avait juré devant Jacques Chirac et le monde entier qu’il ne se présenterait pas pour un troisième mandat. Venu le moment de quitter le pouvoir, il a royalement ignoré sa parole. Les paroles d’ivrognes des Gnassingbé sont connues de tous au Togo. Vous savez, Gnassingbé père et fils totalisent actuellement cinquante ans de pouvoir. Le fils est à son troisième mandat. Si je comprends bien, c’est possible qu’il fasse trente-sept ans au pouvoir. Il n’aurait pas au moins pas menti sur la durée d’autant plus que son père a fait trente-huit ans de pouvoir. Vous voyez un félin comme Faure Gnassingbé tenir parole ? Il ne sait pas ce que vaut une parole d’honneur. Mieux, il faut remarquer qu’il ne dit pas l’année qu’il veut quitter le pouvoir. Cette filouterie politique n’engage que ceux qui croient en la parole d’une famille dans laquelle mentir s’apparente à un projet de société.
Vous dites avoir interviewé et écrits à certains opposants avant les élections…
Dans ma vie de journaliste, j’ai eu à interviewer une fois Jean-Pierre Fabre, la seule fois je crois en 2007. La deuxième fois, il voulait une interview comme droit de réponse au Dr. Jean Yaovi Dégli à qui nous avions accordé une interview et qui évoquait les relations amoureuses entre sa mère et feu Gnassingbé Eyadema, le père de Faure. Il voulait à tout prix une interview avec Lynx.info. La rédaction n’a pas jugé nécessaire de lui en accorder. Dans l’interview que nous lui avions accordée en 2007 il disait qu’au Togo, le pouvoir marchait sur la tête. Comment expliquez-vous que : celui ; qui regrettait de voir un pouvoir autiste à leurs revendications se résolve aussi à marcher sur sa tête en participant à une élection en 2015, enjeu qu’il savait perdu avant même le match ? La seule fois que, j’ai eu l’un des candidats, le plus jeune Gerry Taama au téléphone, au lieu de me parler du Togo, je l’ai entendu me dire comment une famille française avait organisée une grande fête ô combien si grande en son honneur à la fin de son cycle d’étude à l’école de guerre de St-Cyr. Vous voyez l’étoffe et surtout la légèreté de celui qui veut diriger le Togo ? Comment expliquez à Gerry Taama que chaque officier africain qui fréquente une école de guerre en France est tenu par une famille qui joue à l’agent secret ? Comment expliquez à Gerry Taama que tous les officiers Syriens qui sont passés par St-Cyr ont tous trahis leur pays dans la guerre contre l’Occident avec le Général Manaf Tlass en tête ? J’ai écrit directement au candidat et Pr Aimée Gogué, le seul que je respectais. Le seul qui était à mes yeux encore honnête mais pas forcément le plus populaire. Souffrez que ; je vous dise que j’ai été déçu, très déçu du professeur.
Pourquoi êtes-vous déçu de celui qui pour vous semblait être le plus honnête de tous ceux qui allaient à cette élection ?
Scrutez bien le regard du Pr Aimée Gogué, vous verrez qu’il est honnête et bien éduqué comme d’ailleurs assez de Moba, son ethnie. Discutez avec lui, échangez avec lui. Vous remarquerez cette humilité rare chez un intellectuel africain de surcroît agrégée en économie. Avant les élections, nous lui avions accordé par trois fois des interviews. Quand je relis les interviews que nous lui avions accordées, j’ai pu remarquer qu’il esquivait toujours sur la question qui fâche ?
Laquelle ?
Iriez-vous aux élections sans les réformes constitutionnelles et institutionnelles ? Avec le temps, j’ai compris que, le ver était depuis dans le fruit.
Que lui aviez-vous dit dans votre écrit ?
Grosso modo, je lui ai cité une citation de Jean-Paul Sartre tiré de son livre Les Mains sales. En filigrane, je lui ai dit ceci : « Comme tu tiens à ta pureté, mon petit gars ! Comme tu as peur de te salir les mains. Eh bien reste pur ! (….) Moi j’ai les mains sales jusqu’aux coudes. Je les ai plongées dans le merde et le sang ».
Vous a- t-il répondu ?
Je vous ai parlé d’un homme humble à la limite un peu trop humble dans ce monde très violent. Le Pr et moi échangions. Je profite pour dire qu’il m’appelle chef.
Que vous a t-il dit ?
Que vous êtes très curieux confrère ! Le Pr m’a traité de défaitiste. Pour lui, il y avait une minime chance qui se profilait à l‘horizon pour qu’il parvienne au pouvoir. Il voulait saisir cette chance. J’ai même fait l’erreur de croire qu’il avait été trompé par le Dr Nagbandja Kampatibe, son conseiller spécial quand, je me suis ravisé dans les recoupements après les élections du 25 avril 2015.
C’est à dire…
De nos recoupements et appuyés par des informations de premières mains, le Pr Aimée Gogué aurait eu un échange très dur avec Jean-Pierre Fabre. L’orgueil du Moba qu’il est, l’a poussé à vouloir dire sous une autre forme à Jean-Pierre Fabre qu’il n’a pas le titre foncier d’opposant avec lui. Fait immédiat, il a voulu montrer au président de l’ANC qu’il a formé des tas de Togolais et qu’il avait lui aussi le profil d’un présidentiable au Togo. Ce que les Togolais doivent aussi comprendre est que, l’égo qui avait poussé Gilchrist Olympio à ne pas adouber en 1993 Edem Kodjo lors des élections présidentielles contre feu Gnassingbé Eyadema pour une banale histoire de dessous de jupes s’est reproduit en 2015. Ici, c’est le Pr qui croit dur comme fer que, l’arrogance de Fabre devrait avoir des limites. Malheureusement c’est le peuple Togolais qui est sorti encore perdant lors de cette bataille d’égos surdimensionnés.
Vous n’avez pas parlé du quatrième opposant Me Tchassona Traoré…
C’est un rigolo à la limite un gigolo. Il voulait empocher gratuitement 70 millions de Francs-CFA. Il a atteint son objectif. Très dangereux pour la démocratie au Togo. Passons.
Pour vous, Faure Gnassingbé est parti pour rester longtemps au pouvoir ?
Mais…Il a l’une des armées les plus claniques d’Afrique avec lui constituée à 70% des membres de son ethnie, les Kabyè. Il est assis sur une fortune qui fait même rêver les blancs. Cinquante ans de pouvoir de père en fils, les régies financières ont fini par tomber dans leurs escarcelles et en toute impunité. Il a le lobby des Francs-Maçons, des illuminati, des banquiers de ce monde et est devenu sur le tas Franc-maçon au vu et au su de tout le monde lors d’une initiation par le Frère Denis Sassou N’guesso dans sa ville à Kara ; bien qu’il aurait sa bible il paraît à côté de son oreiller droit. Il a un carnet d’adresses épais laissé par son défunt père. Il a la France avec lui voire les Etats-Unis et l’Allemagne, lequel dernier pays vient de signer son retour fracassant aux côtes des Gnassingbé. Surtout il n’y a plus d’opposition en face. A sa place vous quitterez le pouvoir sous les tropiques ? Faure Gnassingbé s’ennuie faute d’une opposition à son pouvoir. D’ailleurs, Jean-Pierre Fabre le reconnait et dit à qui veut l’entendre que : « Faure, c’est son père en pire ».
Jean-Pierre Fabre participe avec son parti l’ANC à toutes compétitions électorales et est reconnu comme le seul opposant qui fait peur à Faure Gnassingbé ?
(Rires) Fabre fait peur à Faure Gnassingbé ? Je crois savoir que la maman du premier était l’amante du père du second. Si tel est le cas, en quoi l’un peut avoir peur de l’autre ? Imaginez-vous la mère de Marine le Pen avoir une liaison amoureuse avec le père de François Hollande et dire après que l’un est opposant à l’autre ? Arrêtons cette jérémiade ridicule à la limite révoltante et de mauvais goût sur le dos du peuple Togolais. Dites-moi le commerce, et les florissantes affaires que faisait la maman de Jean-Pierre Fabre au Togo pour que, ses enfants héritent de deux appartements à Paris et d’une villa à la caisse, ce coin chic de Lomé après la mort de cette dernière? Je vais être franc avec vous : Jean-Pierre Fabre vient droit de ces familles au Togo où les enfants ne connaissent pas ce que veut dire pauvreté. Avec Faure Gnassingbé il se retrouve dans cet espace fermé. Dans leur univers à eux. Bien remarquer que, chaque opposant togolais se bat pour renter dans ce cercle fermé. Ils se partageront le Togo avec Jean-Pierre Fabre dans le rôle de « second best » à toutes les joutes électorales aussi longtemps que le peuple ne se lèvera pas pour dire non à l’infamie. Cette stratégie a d’ailleurs aussi bien payé à son mentor Gilchrist Olympio. Vous voyez qu’au soir de sa vie, Gilchrist Olympio ne se fait aucun souci sur le plan financier ?
Du côté du pouvoir, vous aviez sûrement aussi écrit…
Oui. Le jour des élections, le 25 avril j’ai envoyé un SMS à Gilbert Bawara alors ministre de l’Administration du Territoires et des Collectivités Locales quand j’ai remarqué que le plan B avec le logiciel SUCCES se préparait au cas où la Francophonie les imposait une transparence dans le décompte des voix. Je lui ai dit dans mon SMS qu’il venait d’organiser des élections sans goutte de sang versé et qu’il revenait aux Togolais de dire celui qui a gagné aux élections.
Vous a- t-il répondu ?
(Rires). Après cinq minutes
Que vous a-t-il dit ?
(Il relit le SMS). Epoustouflant Gilbert ! Il est même le type que, chacun voudrait avoir comme ami dans les relations humaines. Faute de ces hommes constants et fidèles dans tout ce qu’ils font au sein de l’opposition, vous voyez bien que nous ne cessons de naviguer à vue ? L’homme et ministre de son état qui me répond par un SMS a un chef appelé Faure Gnassingbé un parti politique et se battait pour que son chef gagne et que son parti UNIR l’emporte. Au même moment, le CAR et l’UFC aussi se battaient que le parti au pouvoir emportent les élections bien qu’ils soient de l’opposition. Vous voyez le paradoxe au Togo ? Pour être franc, je préfère l’amitié d’un Gilbert Bawara à celle d’un opposant comme nous les voyons au Togo.
Faure Gnassingbé vous verse aussi de l’argent par le truchement de Gilbert Bawara ?
(Rires…) Trop cher pour UNIR. Ils savent qu’ils ne peuvent pas m’acheter. Gilbert Bawara aussi sait que je tiens aux valeurs et a des principes. Je répète qu’il n’est pas mon ennemi mais un adversaire politique.
Pourquoi l’opposition togolaise ne réussit-elle pas à évincer les Gnassingbé comme leur voisin du Burkina-Faso ?
Il faut faire le constat que, le Burkina-Faso est un pays pauvre sinon très pauvre et sincèrement pas stratégique pour les Occidentaux. Même Alassane Ouattara pourtant citoyen burkinabè reconnait au micro de RFI que, c’est un pays pauvre. Aussi, et contrairement aux Togolais, il y a l’esprit d’un révolutionnaire comme Thomas Isidore Sankara qui habite en tout un Burkinabè. Chez nous, il n’y a pas si longtemps ; quand nous nous retrouvons devant les ambassades à Paris, Berlin, Londres ou Milan pour dire non à la dictature des Gnassingbé, le nom de Sylvanus Olympio était l’esprit qui nous habitait. Son fils Gilchrist Olympio par son comportement en se ralliant aux tueurs de son père nous a fait comprendre que, son père n’avait jamais été le père de la lutte pour l’indépendance du Togo encore moins l’esprit de lutte qui doit habiter chaque Togolais pour une indépendance totale. Résultat, c’est une opposition qui erre, qui se cherche, s’entredéchire et sommeil dans une bouffonnerie et dans une tartufferie révoltante. Faute de repère, faute d’esprit d’un lutteur en eux, tous les opposants et drainant le peuple avec se sont résolus et d’un commun accord à rendre Faure Gnassingbé toujours plus « Faure ». (Camus Ali insiste que nous écrivons Faure comme il nous l’écrit sur un bout de feuille). Au Togo, c’est un peu l’inversement des rôles, des valeurs : c’est Faure qui est désormais héros, le démocrate avec son opposition dans le rôle d’abjects petits dictateurs et d’hors la loi. D’ailleurs, il le confirme dans Jeune Afrique lors d’une interview : « Je respecte M. Fabre. Son comportement a évolué. Il est plus respectueux des institutions de la République. Quand il m’écrit, je lui réponds. Quand il demande à me voir, je le reçois ». Vous voyez bien que, celui qui avait pris sur lui en 2005 de faire trois coups d’état en un jour et à marcher dans des flaques de sang de ses compatriotes au nom du pouvoir est devenu en moins de 10 ans celui qui donne des leçons de démocratie et de civisme à son opposant ?
On parle d’une certaine presse qui fait le lit de Faure Gnassingbé ?
Jeune-Afrique tient la palme d’or comme chasseur de primes à la présidence togolaise. En 2010, nous avions dit au directeur de Forum de la Semaine de cesser de jouer au malin en tirant le Togo vers le bas avec des articles qui noyaient et affaiblissaient la lutte. Au bord des larmes, il voulait même s’innocenter avant d’être rattrapé par ses menteries. Vous voyez bien qu’à part deux ou trois journaux qui semblent décrire le lot quotidien, fait de souffrances indescriptibles, de misère, tous les confrères se sont rangés du côté de Faure Gnassingbé. C’est à côte du prince que chacun peut tirer sa pitance. Actuellement, il y a ceux qui roulent dans les carrosses, élèvent des murs en béton avec pas plus de 100 exemplaires vendus et ceux qui se battent pour être acceptés par le prince. Pour être franc, on ne construit pas un pays digne de ce nom avec des journalistes comme on le voit au Togo. Demandez à dix journalistes togolais, le diplôme, le titre, le certificat l’éducation qui fait d’eux des journalistes sérieux, sincères et engagés. Vous comprendrez la misère morale et intellectuelle qui les habite.
Votre livre de chevet…
Eclipse sur l’Afrique ! Du Dr Jean-Ping, ancien secrétaire de l’UA.
Entretien réalisé Par Lamine
Mutations
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