Faut-il envisager la perspective d’une participation à l’élection présidentielle de 2015 ? Cette question occasionne de nombreux débats, souvent houleux, au sein de l’opposition ivoirienne. En particulier au sein du Front populaire ivoirien (FPI), où un courant d’idées développe la thèse selon laquelle le seul et unique combat qu’il est digne de mener en l’état actuel des choses est celui de la libération du président Laurent Gbagbo et de tous les autres prisonniers politiques. Il faut tout de même admettre que, d’un point de vue tactique, cette dernière posture rend les choses plutôt confortables pour le régime ivoirien. A l’usage de l’opinion internationale – la seule qui compte pour lui –, il peut dire : « Nous sommes de bonne volonté mais nos adversaires nous demandent ce que nous ne pouvons pas leur accorder ; dans la mesure où le sort de Gbagbo n’est pas en notre pou- voir.» La direction actuelle du FPI, en acceptant le principe d’un dialogue politique centré sur la préparation des prochaines élections générales, brise l’isolement dans lequel le pouvoir et une partie de la communauté internationale l’a confinée. Et pourrait finir par démontrer devant l’Histoire que la « Ouattarie » est engagée dans un processus de rétrogradation politique et institutionnelle. Autrement dit, dans la remise en cause de la quasi- totalité des acquis démocratiques de ces deux dernières décennies.
Le consensus qui irrite… Dans ce contexte, on pourrait résumer le discours du FPI à l’attention de la communauté internationale comme suit : « Vous avez choisi, après la présidentielle de 2010, d’utiliser la force des armes pour installer Alassane Ouattara au pouvoir en dépit de nos lois et règlements. Aujourd’hui, vous considérez qu’en tant qu’opposants, nous devons accepter ce fait accompli et nous insérer dans ce que vous appelez un processus démocratique. Soit. Mais une opposition peut-elle exister alors qu’un grand nombre de ses animateurs vivant en Côte d’Ivoire, sous la domination du pouvoir Ouattara sont soit en prison, soit dans un statut de liberté provisoire ouvrant la voie à tous les chan- tages ? Une opposition peut-elle exister alors que les maisons de ses animateurs sont occupées et leurs avoirs systématiquement gelés ? Peut-on parler de démocratie alors que le principe du financement des partis politiques par l’Etat central est remis en cause, quand des forces non conventionnelles comme les dozos sèment la terreur, quand la Commission électorale est entre les mains du pouvoir et de ses affidés ? Oui, nous voulons aller aux élections ! Mais il faut que les conditions minimales d’exercice de la vie démocratique soient réunies ». Face à ce positionnement de l’opposition à Ouattara, la partie la moins « corrompue » de la communauté internationale fait des propositions de bon sens pour que les choses avancent. Elle préconise le dialogue et le consensus – ce qui irrite prodigieusement un régime adepte du passage en force systématique. Quand elle se hasarde à quelques préconisations, les « grognards » du RDR ruent dans les brancards et font assaut de vio- lence verbale. C’est ainsi que Joël N’Guessan, porte-parole du parti ouattariste, s’est fendu d’une déclaration depuis Rotterdam (Pays-Bas) accusant Doudou Diène, expert indépendant des Nations unies, de cultiver « une tendance de plus en plus forte à s’immiscer dans les débats politiques ivoiriens » et d’avoir « des attitudes partisanes » au profit des « bourreaux » (entendez du FPI). C’est ainsi qu’Hamed Bakayoko a brutalement rejeté toute élaboration consensuelle de la future Commission électorale, en choisissant de rédiger un texte en catimini puis de le soumettre à un Parlement aux ordres. Objectif ? Perpétuer la domination écrasante du RHDP, la coalition au pouvoir, sur une institution déjà large- ment instrumentalisée de la pire des manières en 2010.
Contre-révolution Encouragé par la complicité du silence – et de la honte – des médias internationaux qui l’ont porté à bout de bras en diabolisant tous ceux qui ont dirigé la Côte d’Ivoire à la suite de Félix Houphouët- Boigny, Alassane Ouattara met en œuvre une véritable contre-révolution visant à faire à nouveau de la Côte d’Ivoire un pays soumis. Une « démocrature » françafricaine où les élections n’ont aucun sens et ne font que traduire la réalité de l’hégémonie administrative de ceux qui sont au pouvoir avec la bénédiction de ce qu’on appelle la « communauté internationale». Le logiciel se déploie devant nos yeux. Il s’agit d’affaiblir l’opposition en « criminalisant » ses chefs et en les maintenant structurellement dans des procédures judiciaires sans fin. Il s’agit de persécuter la presse proche de l’opposition en la sou- mettant à des sanctions disciplinaires qui, étrangement, ne touchent jamais les médias qui « collent » au pouvoir comme s’ils étaient des citadelles de profession- nalisme jamais prises à défaut. Sous Gbagbo, le financement des partis poli- tiques représentatifs était un acquis. Désormais, on n’en parle plus pour pouvoir mieux proposer, à quelques mois des élections, des « miettes » qui feront accourir des candidats servant de faire-valoir et sans illusions sur leurs chances de gagner. En acceptant la discussion en dépit de tout, en prenant à témoin les représentants locaux du système onusien – qui avancent sans bénéficier du soutien de l’ex puissance coloniale, laquelle partage en réalité les objectifs d’éradication du FPI, qu’elle considère comme son ennemi –, Pascal Affi N’Guessan et ses cama- rades démontrent à ceux qui se font des illusions (ou feignent de s’en faire) que c’est bel et bien le régime qui ne veut pas procéder à une vraie ouverture politique. Dans le contexte d’écrasement général de toute voix opposée à Ouattara, c’est toujours ça de pris.
Théophile Kouamouo