Depuis le 11 Avril 2011, le gouvernement Ouattara, récoltant les fruits des efforts du gouvernement GBAGBO, a vu notamment l’atteinte du point d’achèvement du processus PPTE. Le peuple a pensé, à juste titre, que la pluie de milliards allait le mettre à l’abri des besoins sociaux.
Sur le terrain social, le régime de Ouattara s’est révélé comme une calamité pour les ivoiriens. Certes, l’égalité des chances, la promotion du bien être des ivoiriens et de la justice sociale, considérés comme des valeurs de gauche, ne sont pas dans les préoccupations des partis du RHDP qui ont porté Ouattara au pouvoir. Toutefois, son discours démagogique lors de la campagne de l’élection présidentielle de 2010 (assurance maladie à 1000 F, puis gratuité des soins, des emplois à gogo pour les ivoiriens, des logements sociaux pour tous, une université par an, donc 5 universités à la fin de son mandat, en plus des milliards qui devaient pleuvoir sur toutes les régions de CI), certains ont rêvé à une nouvelle politique sociale pour cette coalition.
La réalité est là, triste et désolant, un échec social patent (augmentation de la pauvreté, qui touche à présent plus de 51% de la population ivoirienne, le chômage croissant et le rattrapage ethnique, la cherté de la vie, l’insécurité endémique et généralisée, la faillite de l’école et de l’enseignement supérieur, le délabrement et le manque de médicaments dans les CHUs, les hôpitaux et centres de santé, l’arrêt de la construction des infrastructures scolaires et sanitaires, le bâillonnement et la répression aveugle des travailleurs et autres syndicalistes, des journalistes et des associations de la société civile non soumis, etc.). Et cela, malgré l’atteinte du point d’achèvement de l’initiative PPTE dès juin 2012 et un afflux sans précédent de fonds extérieurs au cours de ces 4 dernières années.
Cette réflexion examine l’histoire de l’échec social annoncé du régime Ouattara.
1- Les fruits de la croissance se font toujours attendre au niveau des populations
Les années Ouattara ont été caractérisées par des taux de croissance flatteurs à partir de 2012 (10.7% en 2012, 8.7% en 2013 et 8% en 2014 et au-delà), essentiellement dus au rattrapage mécanique suite à l’effondrement économique de 2011 (-4.7%), à la levée des blocages imposés sur les financements extérieurs sous l’Administration Gbagbo et à l’impact de l’atteinte du point d’achèvement du PPTE. Cette croissance reste fragile car elle est extravertie et repose sur des ressorts temporaires (le rattrapage économique mécanique et les effets de la réduction du stock de la dette extérieur). Elle est exclusive et génère la pauvreté, l’endettement et l’inflation.
Le Gouvernement a tout de même reçu des fonds considérables sur ces 4 dernières années. En effet, à partir du TOFE tiré du rapport de la revue du programme de janvier 2015 par le FMI, il apparait qu’entre 2012 et 2015 le gouvernement ivoirien aura reçu des ressources totales se montant à la somme de 14,781 milliards de F.cfa (dont des recettes propres de 11 881.6 milliards et des financements extérieurs de 2,863.4 milliards). Il convient d’ajouter à ces dernières les dettes contractées entre avril 2011 et juin 2012 (1,362 milliards) et le financement intérieur (190.5 milliards en 2012 et 2013). Soit un total de 16,333.5 milliards de F.cfa, c-à-d une moyenne annuelle de 4,083.4 milliards. C’est sur la base de ces ressources considérables que des budgets records de l’Etat sont annoncés chaque année (plus de 3000 milliards en 2013, plus de 4000 en 2014 et plus de 5000 milliards en 2015).
Au lieu d’accorder une priorité au social avec toutes ces ressources reçues, dans un pays sortant de plus de 10 ans de crise et d’une guerre postélectorale meurtrière, le Gouvernement va plutôt se lancer dans une casse sociale incompréhensible et aux antipodes de la réconciliation nationale qu’il chante pourtant à longueur se journée. Là où il s’est essayé au social c’était pour récupérer maladroitement les idées de l’Administration Gbagbo (AMU devenu CMU, programme de logements sociaux, école gratuite, distribution de manuels, etc.), sinon la volonté a été de revenir constamment sur les acquis de l’équipe de Gbagbo et de régler les comptes à des franges entières de la population comme s’il voulait se venger et punir les ivoiriens pour leur refus de lui accorder une légitimité.
De fait, on assiste avec Ouattara au pouvoir à l’organisation méthodique d’une casse sociale d’une ampleur sans précédent dans notre pays. Ceux qui sont le plus touchés ce sont les populations les plus faibles et sans défense, le petit peuple et tout ceux, qui, laissés pour compte par le système, se débrouillent comme ils peuvent.
2- Le régime Ouattara organise la casse sociale
Les déguerpissements par la destruction physique des commerces en bordure des rues et des quartiers précaires sans dédommagement.
Tout a commencé avec le prétexte de la volonté d’assurer une grande salubrité dans Abidjan : les abords de toutes les rues ont été dégagés sans ménagement, des marchés ont été détruits (Cocody marché des fleurs et des objets d’art puis fermeture du marché lui-même; à Adjamé, Nangui Abrogoua a été dégagé, à Yopougon, la rue princesse; etc..). Puis ont suivi la destruction des quartiers précaires suite aux inondations à Abidjan (Gobélé, Washington à Cocody, Boribana à Attécoubé, Karamokokoupé au Banco, etc.) et l’expulsion effective ou projetée des occupants de sites vendus à des opérateurs économiques (cité RAN Plateau et Zone4, Marcory Canal au bois, le marché Gouro à Adjamé, la zone d’Adjoufou-Gonzagueville jusqu’au premier carrefour d’Azureti, le long de la mer, la bordure du boulevard de Marseille, les places Figayo et CP1, etc.), etc..
C’est un ballet de bulldozers accompagné de détachements impressionnants de forces de l’ordre, prêts à casser de l’humain après la casse du béton par les machines.
Les normes internationales imposent des solutions de rechange pour des populations expropriées et expulsées de leur lieu de résidence. Ces normes ont été simplement ignorées par le régime Ouattara qui les a réduit à la condition de sans abri et de sans emploi malgré la pluie de milliards.
Cherté de la vie
L’autre boulet de l’évolution économique et sociale actuelle de la Côte d’Ivoire c’est la cherté de la vie, qui mesure en fait le degré d’appauvrissement des populations. Le gouvernement dit que le taux d’inflation est faible depuis 2012 (autour de 2% l’an en moyenne). Mais, paradoxalement les populations continuent de vivre les affres de la vie chère. La réalité réside dans l’explosion des prix de 2011 (plus de 14% d’inflation en une seule année, soit un taux d’inflation de près de 5 fois la norme communautaire et du taux d’inflation habituelle autour de 3%).
Une fois le niveau des prix atteint cette crête, la seule façon de ramener les prix à des niveaux supportables c’est une baisse en niveau des prix grâce à une normalisation progressive de l’offre et à un retour à des marges de distribution raisonnables. Le fait d’avoir des taux d’inflation plus faible sur des prix qui ont déjà atteint le plafond ne résout donc pas le problème de la cherté de la vie. Le pouvoir ivoirien est incapable de résoudre ce problème; ou bien il ne le comprend pas, ou bien il n’ose pas s’attaquer aux vrais causes du phénomène puisqu’elles impliquent ses soutiens (les distributeurs et commerçants et les forces de « l’ordre », notamment les FRCI). Et c’est la population qui paie cette incurie des gouvernants.
Les dernières hausses du prix du carburant et de l’électricité, fortement inducteurs de tensions inflationnistes puisqu’affectant tous les secteurs économiques, vont aggraver la cherté de la vie et accentuer l’appauvrissement des populations.
Remise en cause des acquis sociaux et mise en panne du dialogue tripartite : gouvernement-travailleurs-patronat
Le gouvernement a suspendu tous les concours administratifs (ENA, ENS, Police et Gendarmerie, Censeurs Assistants sociaux, etc.) tout en se livrant à des recrutements directs hors concours dans la fonction publique et dans toutes ces administrations des ex-combattants et ressortissants du nord principalement, dans le cadre d’une politique connue sous l’expression de rattrapage ethnique. Le gouvernement a également procédé au recrutement de personnes n’ayant pas la qualité au sein des forces armées dans le même esprit.
On a également assisté à une remise en cause des indemnités et primes dans certains ministères (Economie et Finances, Fonction Publique, Commerce, etc.). Dans le même temps, on a procédé à des licenciements massifs dans certaines sociétés d’Etat (RTI, SPDC, Sotra, etc.) et l’administration après une parodie de recensement et à des recrutements simultanés au rabais, ici aussi par rattrapage ethnique.
Il y eu enfin un report à répétition du déblocage des avancements, pourtant réalisé en partie pour certaines catégories de fonctionnaires par l’Administration Gbagbo (50% pour les enseignants du supérieur, chercheurs et cadres supérieurs de santé, adoption de profil de carrière enseignants du secondaire et du primaire avec une revalorisation des salaires à valoir sur le déblocage des avancements, institution de statuts particuliers pour les membres du corps diplomatique, du corps préfectoral et les greffiers avec une revalorisation des salaires à valoir sur le déblocage des avancements), dans des conditions financières bien plus difficiles. Jusqu’à ce jour le déblocage des avancements n’est pas effectif et l’achèvement des effets financiers des réformes engagées dans la fonction publique depuis des années est toujours attendu.
La faillite des secteurs de l’éducation et de la santé est une traduction de cette politique d’abandon social du régime Ouattara. En effet, le secteur de l’éducation est simplement sinistré : éducation nationale-réhabilitation hâtive des écoles endommagées pendant la crise et arrêt des construction d’écoles primaires, de collèges et de lycées avec l’arrêt du transfert des compétences et des ressources aux collectivités décentralisées telles que les conseils généraux, désordre dans l’organisation des programmes, des examens et concours, réhabilitation des université bâclée et pas de construction d’universités nouvelles, arrêt de la réforme des universités, désordre dans les enseignements et attaques contre les organisations des étudiants et des enseignants. Au niveau du secteur de la santé il y a très peu de nouveaux hôpitaux et centres de santé, ceux existant sont à l’abandon, dépourvus de médicaments, même les CHU ne sont pas mieux lotis. On parle de plan d’urgence de remise en état des services des urgences, tandis qu’on est obligé de fermer certains CHU.
Pour empêcher toute contestation face à cette situation désastreuse le gouvernement a plombé les syndicats en orchestrant partout des conflits internes, qui n’ont même pas épargné l’UGTCI, le syndicat maison du RHDP, suscités à dessein pour les fragiliser et mettre en panne le dialogue tripartite gouvernement-travailleurs et patronat.
Insécurité, confiscation des libertés et répression des mouvements sociaux
Face à tous ces problèmes les ivoiriens sont réduits au silence par l’insécurité organisée et la répression policière et judiciaire.
L’insécurité généralisée est congénitale à ce régime, qui est arrivé au pouvoir sous les bombes et le crépitement des armes automatiques et fusils de chasse des diverses milices tribales qui le portaient. Pendant plus d’un an après l’avènement du régime Ouattara les ivoiriens ont vécu dans l’angoisse des enlèvements avec ou sans demande de rançon, les menaces et les attaques violentes de toute sorte et les assassinats gratuits. Même si on peut dire qu’aujourd’hui cette époque de la violence inouïe est passée, il n’en demeure pas moins qu’il ne se passe de jour dans ce pays sans que des faits d’agressions armées ne soient rapportés. L’insécurité endémique et permanente sur l’ensemble du territoire, entretenue par les dozos, les frcis, les ex-combattants insérés ou non, les coupeurs de route, les microbes, les gnamgbros, etc., reste le premier souci des populations ivoiriennes.
La cohabitation entre les gendarmes, policiers et forces de sécurité normalement entrainés pour cette tâche, avec des désœuvrés en arme faisant office de force de sécurité, ne permet pas d’assurer efficacement la sécurité des populations.
Pire, aujourd’hui cette insécurité semble être instrumentalisée pour effrayer et faire taire les populations et les leaders d’opinions. On a pu constater qu’un jeune blogueur a été abattu chez lui devant des membres de sa famille et que des enseignants grévistes ont été agressés chez eux par des hommes en armes au cours du dernier mouvement de grève de ces derniers. On ne compte plus le nombre de manifestations des partis d’opposition et de certaines associations de la société civile qui ont été dispersées sans ménagement, les leaders étant systématiquement arrêtés et jetés en prison. Le gouvernement crée ainsi un climat de terreur et se livre à une politique de confiscation des libertés.
Ce gouvernement se montre incapable d’assurer la sécurité des biens et des hommes sur l’ensemble du territoire national. C’est une grande déception, surtout pour ceux qui ont pensé qu’en laissant le pays aux mains des fauteurs de trouble on récolterait la tranquillité. Au contraire le pays semble maintenant totalement pris en otage et les ivoiriens dans une prison à ciel ouvert.
3- Conclusion
Au bout de 4 ans de pouvoir de Ouattara, les ivoiriens constatent avec amertume que le compte n’y est pas, notamment au plan de la justice sociale, du bien-être des populations et des libertés, malgré les ressources considérables engrangées du fait de la croissance et des effets de l’atteinte du point d’achèvement de l’initiative PPTE. Il y a peut-être eu une pluie de milliards, mais certainement pas dans les poches et au bénéfice des populations.
La réalité est là, triste et désolante, un échec social patent. La question qui reste posée est celle de savoir si ceci s’explique par l’incompétence ou la carence des dirigeants, par un manque de volonté ou par pure méchanceté. Car on ne peut douter un seul instant que les dirigeants actuels de la Côte d’Ivoire savent ce qu’il faut faire pour rendre les ivoiriens heureux. Cette interrogation ne donne – t – elle pas raison aux ivoiriens qui taxent souvent l’actuel régime d’une méchanceté extrême.
La conséquence la plus grave c’est que cette situation éloigne la Côte d’Ivoire de la réconciliation nationale et du progrès social partagé, seuls gages d’une paix durable et d’une croissance soutenable et génératrice de développement. Le débat sur l’évolution de la Côte d’Ivoire devrait désormais mettre en top priorité la justice sociale et le progrès pour tous.
Jean Charles TIEMELE, Expert Economiste Financier