Dr Yves Ekué Amaïzo : Au fond, le FMI permet au Gouvernement de ne pas sombrer et à Faure Gnassingbé de continuer à mal-gérer.

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Kanal K : Dr. Yves Ekoué Amaïzo, vous êtes le Directeur du groupe d’influence Afrocentricity Think Tank. Vous êtes également Consultant international. Vous venez de lancer un réquisitoire sans appel sur le FMI, Fond monétaire international (FMI) dans un article intitulé le FMI : pyromane et pompier au Togo et en Côte d’ivoire paru sur votre site www.afrocentricity.info. Pourquoi ce violent réquisitoire contre le FMI. Y-a-t-il vraiment panique à bord ?

Dr Yves Ekué Amaïzo : Merci pour l’invitation. Vous parlez de « réquisitoire » alors que je n’ai fait que vous dire la vérité à partir des dernières statistiques officielles du 31 octobre 2012 du Fond monétaire international. Vous parlez de « violent réquisitoire ». En quoi, une analyse de la situation structurelle d’endettement d’un pays comme le Togo ou la Côte d’Ivoire peut être violente alors que les décisions du FMI sont radicales, font retourner la classe moyenne dans la pauvreté et les pauvres dans la subsistance et finissent par mettre à la rue des peuples entiers. Vous semblez oublier certains faits. Avez-vous oublié les émeutes de la faim dans plusieurs pays africains alors que le FMI exigeait le paiement sans délai d’arriérés cumulés de déficit budgétaire d’Etats africains ? Voyez ce qui se passe en Grèce, un pays de l’Union européenne étranglé par son incapacité à rembourser sa dette et pris en tenailles entre les créanciers privés notamment les banques, les créanciers publics comme l’Union européenne et le FMI ? Est-ce faire un « violent réquisitoire » que de démontrer qu’il n’y a pas toujours de corrélation entre une croissance économique positive, un déficit croissant du solde budgétaire externe d’un pays et le bien-être des populations ? Pourquoi le FMI continue-t-il à fournir des financements de court terme à un pays comme le Togo qui a passé ses dépenses militaires de 9 % à 13 % des dépenses du Gouvernement entre 2005 et 2010 alors qu’au Bénin voisin, ces dépenses militaires sont à la baisse passant de 8,1 % à 6,8 % au cours de la même période. Les prêts de court terme du FMI servent-ils aussi indirectement à légitimer de tels mauvais choix de gouvernance politique et économique ? Pourquoi, sous couvert d’une langue de bois, appelé langage diplomatique, le peuple togolais doit-il être désinformé quand le ministre des finances de ce pays croit avoir décroché le paradis dès lors que le FMI lui octroie quelques crédits alors que depuis 10 ans, le Togo n’arrive pas à réduire sa dette à partir de ses ressources propres. Le pays est-il mal géré pendant que le FMI joue à celui qui n’a rien vu ?

Je crois que le FMI continue à financer une mauvaise gouvernance au Togo parce qu’il s’est assuré que les remboursements (capital et intérêts) seront prélevés en priorité directement à partir des recettes du port du Togo, bien avant que le Togo n’utilise ses fonds pour la santé, l’éducation, les droits humains, le financement des petites et moyennes entreprises ou même pour constituer un fond d’investissement avec la Diaspora.  Pourquoi le FMI acceptet-il que le Togo dépense seulement 7,7 % du Produit intérieur brut du pays (dont la moitié payée par les populations directement), soit moins de 4 % des dépenses gouvernementales pour la santé des Togolais alors que ce même Gouvernement dépense 13 % du budget pour aller frapper, envoyer des milices et autres militaires et gendarmes pour empêcher la population de manifester pour retrouver la vérité des urnes. La question est de savoir pourquoi le FMI finance un gouvernement illégitime au Togo alors que le Togo ne cherche pas à résoudre son endettement structurel.

Le FMI ne varie pas dans ses méthodes et ses pratiques malgré tout un travail de communication et de modifications des termes économiques utilisés. Le FMI se tait et laisse le Togo devenir un Etat défaillant alors que l’accumulation de l’endettement ne fait que s’empirer et que le FMI viendra imposer ses conditionnalités draconiennes, violentes et inhumaines, je pense que le peuple togolais se rappellera qu’il aura au moins été prévenu. Je ne vois donc aucune violence dans mon article et vous conseille d’aller demander au FMI de s’expliquer. D’ailleurs, pourquoi le FMI s’est-il organisé pour ne rencontrer aucun économiste sérieux et compétent du Collectif Sauvons le Togo ? Peut-être que d’autres vérités auraient été révélées. Aussi, le rapport du FMI ne pouvait pas conclure que tout va « globalement bien » au Togo. C’est donc contre la désinformation que cet article a été écrit et validé par les membres du groupe d’influence Afrocentricité. Je ne sais donc pas s’il y a panique à bord du Gouvernement. Mais, ce qu’il y a de sûr est que ce gouvernement gère mal le pays, très mal même puisque si cela devait continuer, le peuple togolais doit s’attendre à subir, tôt ou tard, les programmes d’ajustement de cheval, que dis-je, d’éléphant qu’imposent le FMI et l’Union européenne à la Grèce.

Pourquoi avoir justement décidé de cibler deux pays de l’Afrique de l’ouest notamment le Togo et la Côte-d’Ivoire ?

Pourquoi pas ?  En fait, il se trouve que Alassane Ouattara qui a été mis à la tête de la Côte d’Ivoire est le Président en exercice de la CEDEAO (Communauté économique et de développement des Etats d’Afrique de l’Ouest) et que Faure Gnassingbé qui a été mis à la tête du Togo, est le Président en exercice de l’UEMOA (Union économique monétaire ouest-africain). Mais l’exemple est valable pour bien d’autres pays africains où le FMI intervient.

Alors que la croissance économique du Togo est estimée à 5 % en 2012 et 5,3 % en 2013 par le même FMI, la balance du solde extérieur courant du gouvernement togolais n’a jamais été excédentaire depuis 2005.

Cela veut dire que ce Gouvernement ne cherche pas à sortir le Togo de son endettement, au contraire. Le FMI est donc bien un complice car il vient au secours d’un Gouvernement alors qu’il sait que rien ne vient améliorer la mauvaise gouvernance. Au fond, le FMI permet au Gouvernement de ne pas sombrer et à Faure Gnassingbé de continuer à mal-gérer. Le FMI, lui, engrange de substantiels bénéfices sur ces prêts de court terme sans compter les retombées des privatisations pour les pays membres du conseil d’administration du FMI. En 2013, la moyenne de l’Afrique subsaharienne du solde extérieur courant des gouvernements africain sera de -3,3 % du PIB alors que le Togo est à -9,1 % du PIB (IMF- REO-SSA, 2012 : 107). Les pays comme le Gabon, l’Angola, le Nigeria, le Botswana pour ne citer qu’eux gèrent mieux que le Togo avec un solde extérieur positif en 2013. Mais le solde de la balance commerciale des biens du Togo est déficitaire depuis 2005 et est estimé, par le même FMI, à -15,8 5 en 2012 et -16,0 % du PIB en 2013. Je rappelle que la moyenne de l’Afrique subsaharienne est positive avec 4,1 % en 2013.

Un de vos propos pourrait interpeler la conscience d’un Africain de Côte-D’ivoire et du Togo. Vous affirmez donc, je cite : « Avec le FMI, c’est l’atiékè sans poisson en Côte-d’Ivoire et la sauce sans viande au Togo ». Que voulez-vous dire à travers ses propos ?

Quand on regarde de près les dépenses du gouvernement, celles-ci ne font qu’augmenter depuis 2005 avec Faure Gnassingbé aux commandes.  De 19,3 % du PIB en 2005, ces dépenses sont passées à 29,2 du PIB en 2012. A ce propos, la dépendance de l’aide est passée de 14 $US par habitant en 2005 à 84 $US en 2010. Le pays ne fait que s’endetter et c’est le peuple qui souffre et va souffrir encore plus dans le futur puisque le Gouvernement s’engage sur le futur dont il ne rend pas compte. Comment le FMI peut dire que le Togo va globalement mieux alors que depuis 2005, date de la prise de pouvoir de Faure Gnassingbé, sa gestion a conduit chaque togolais moyen à rembourser non plus 14 $US mais 84 $US. Comme personne ne pourra payer, alors le FMI décide de récupérer tout ce qui peut être récupérable par des opérations de privatisations qui profitent aux sociétés multinationales les plus influentes et originaires des puissants pays membres du conseil d’Administration du FMI. Bref, la croissance économique du Togo ne veut rien dire pour la population. C’est pour cela que j’expliquais qu’au Togo, c’est manger la « sauce sans la viande » et en Côte d’Ivoire, c’est manger l’atiékè sans le poisson. Et en réalité, la sauce et l’atiékè sont achetés à crédit.

Vous parlez de la crise financière créée par l’Excès de dérégularisation des dirigeants Occidentaux. Pouvez-vous expliquez aux novices en économie le thème de dérégularisation et ses conséquences ?

Oui, ce sont les politiques du Président Donald Reagan des Etats-Unis et de Mme Thatcher du Royaume Uni qui ont lancé le mouvement. La dérégulation est une politique du « laisser-faire » et le marché s’équilibrera de lui-même. Mais c’est faux. L’Etat a besoin d’intervenir pour organiser les acteurs privés. Mais la dérégulation consiste donc à empêcher l’Etat ou tout autre acteur d’intervenir pour réguler un secteur économique ou une profession. L’objectif sous-jacent est de favoriser la libre-concurrence et l’innovation en postulant que la dynamique  naturelle des marchés et des acteurs économiques privés repose sur une forme d’autorégulation. En réalité, c’est mettre un caïman, un homme, un lion et un agneau près d’un marigot et dire que chacun pourra librement aller boire de l’eau. La réalité est que ce n’est surement pas l’agneau qui s’en sortira vivant de cette histoire. Le problème est que l’agneau, c’est justement le peuple africain. Dans la pratique, il s’agit de réduire au maximum les interventions de l’Etat dans l’économie, d’où les préceptes comme la privatisation des entreprises publiques, l’assouplissement des règlementations. Mais la vérité est que lorsque la crise financière est intervenue aux Etats-Unis et qu’une grande société privée comme General Motors (Cadillac, Chevrolet, Buick, Pontiac, etc.) avait mal géré et était en banqueroute, c’est l’interventionnisme de l’Etat de Barack Obama qui a sauvé cette société, non sans avoir mis dehors les mauvais gestionnaires. En Afrique, on ne met jamais dehors les mauvais gouvernants. Alors c’est l’éternel recommencement de la mauvaise gestion. Au niveau des entreprises, la dérégulation consiste aussi à faire reculer les acquis sociaux et à faire la course des salaires vers le bas. C’est-à-dire zéro… Ce n’est rien d’autre que de l’esclavage des temps modernes.

On constate que les pays émergents comme la Chine et le Brésil qui ne sont pas sous le joug du FMI réussissent leur développement. Si ces pays sont des modèles à suivre, qu’est-ce qui empêche donc les pays africains de suivre l’exemple de ces pays ?

Ce n’est pas seulement que ces pays ne sont pas sous le joug du FMI, c’est que les dirigeants de ces pays ont compris que les orientations et les intérêts que défend le FMI va à l’encontre de l’intérêt de leur peuple. Je vous invite tous à lire le programme du nouveau Président chinois qui rappelle qu’ il est question de doubler le salaire et donc le pouvoir d’achat des Chinois, qu’il est question de stopper la corruption… Qui en Afrique tient des discours pareils ? Cherchez en occident. Personne. Regardez les Etats-Unis ou l’Europe où il est question de réduire ou de supprimer les retraites et les cotisations sociales. Personne ne parle d’améliorer le pouvoir d’achat des pauvres. Savez-vous qu’il y a 14 millions de pauvres en France ? Alors si la gouvernance menée depuis des décennies dans les pays dits riches ne crée que des poches de pauvreté en augmentation ainsi que la précarité, ce n’est pas la vision que j’ai pour les Africains. Il faut revenir aux valeurs ancestrales de solidarité mais aussi de justice, d’équité, de liberté et de capacité à rendre des comptes aux populations.

Certains dirigeants Africains panafricanistes visionnaires ont essayé de frapper monnaie et ont été assassinés. On peut citer entre autres le cas du Premier Président du Togo et tout récemment Laurent Gbagbo qui termine son parcours politique à la Haye. Est-il vraiment dangereux de frapper monnaie en Afrique ?

Le problème n’est pas que cela soit dangereux. La vraie question est de savoir si les peuples africains notamment ceux des pays francophones souhaitent rester sous la coupe de la France où ils remettent plus de 50 % de leur réserves. Avec les difficultés de la France au plan économique et une croissance très faible, il n’est pas impossible que la notion de « solidarité » mise en avant par l’actuel régime politique signifie une forme d’aide de l’Afrique à la France.  La vraie question est de savoir si les peuples des pays souhaitent aller vers leur souveraineté monétaire. La réponse est généralement oui. Le problème, ce sont les dirigeants de ces pays qui ne le souhaitent pas et font semblant de s’en plaindre. Vous seriez étonnés si les dirigeants de la zone franc décidaient collectivement de créer leur monnaie, que la France ne pourrait pas s’y opposer, seule qu’elle est dans le conseil d’administration de la zone franc.  Pour revenir au cas du 1er Président du Togo Sylvanus Olympio qui a été assassiné le 13 janvier 1963 alors que fin décembre 1962, il annonçait la création de la monnaie togolaise, ou encore le cas de Laurent Gbagbo qui a annoncé à la fin de son mandat qu’il décrochait du Franc CFA, ils ont en commun d’avoir décidé de quitter le Franc CFA de manière isolée. Cela veut dire que d’autres dirigeants de la zone ne partagent pas leur point de vue, voir les ont trahi. Pour quitter une telle zone et créer sa propre monnaie, il y a lieu de réussir la convergence des principaux indicateurs macro-économiques qui indiquent que les économies sont en train de « converger ». Autrement dit, pour que l’ensemble soit viable, on ne peut avoir des pays structurellement déficitaires et ne respectant aucun des critères de convergence et espérer que les pays les mieux disciplinés monétairement et riches payent pour la mauvaise gouvernance des autres. Ce point n’étant pas résolu au sein de la zone franc, « battre monnaie » comme vous dites en étant isolé, peut être dangereux puisque la ou les puissances qui n’en veulent pas, vont vous en passer l’envie. Bref, les chefs d’Etat africains de la zone franc ne sont pas collectivement intéressés à quitter une zone tant que la France ne leur « donnera » pas le feu vert. La France de François Hollande a choisi d’intégrer les deux zones (ouest et centrale). Mais, l’Afrique centrale, avec pratiquement que des pays pétroliers, ne souhaite pas payer pour les déficits de la zone de l’ouest. On peut donc voir que l’unité des dirigeants africains  fait défaut. En fait, cette unité existe, mais autour de la France. C’est une forme de postcolonie monétaire.

Au regard de cet horizon sombre sur l’économie africaine et particulièrement de ces deux pays d’Afrique de l’ouest, le Togo et la Côte-d’Ivoire, que proposez-vous concrètement à l’Afrique pour relancer son économie ?

je l’ai exposé dans un de mes livres intitulé « Crise financière mondiale. Réponses alternatives de l’Afrique » (éditions Menaibuc, 2010 – www.chapitre.com) en plus de 200 pages. En quelques mots, l’Afrique ne peut continuer à fonctionner comme des Etats mais doit s’organiser au niveau régional pour peser. Il faut absolument améliorer l’infrastructure de communication, transports, internet mais aussi la santé et l’éducation, sinon l’Afrique n’aura pas de capacité d’absorption et deviendra le prochain centre de la production de bas de gamme utilisant une main d’œuvre abondante avec des salaires faibles. Enfin, il faut une marge de manœuvre économique et une souveraineté qui conduit à gérer sa propre monnaie. Il faut donc nécessairement sortir du FCFA pour la zone franc et aller vers des monnaies communes. Mais sans une discipline budgétaire et une convergence fiscale et monétaire, l’Afrique des dirigeants continuera à organiser le mal développement avec des fossés de plus en plus importants dans l’inégalité et la corruption. Cela ne pourra pas continuer indéfiniment. Soit ce sera la recolonisation sous des formes modernes que le FMI ne semble pas empêcher, soit ce sont les pays émergents comme la Chine ou d’autres qui prendront le contrôle de la plupart de nos capacités productives. Bref, enfin, les dirigeants des petites et moyennes entreprises africaines doivent comprendre que ce n’est pas en restant dans l’informel et en payant des salaires ridicules aux populations que le pouvoir d’achat augmentera. Il faut donc nécessairement faire appel à l’expertise africaine du dedans comme du dehors afin qu’ensemble, on dresse la feuille de route pour éviter de ne plus être propriétaire de l’Afrique. Car personne ne doit en douter.

Tout le monde aime l’Afrique tant que c’est un marché émergent. Mais certains aiment encore plus l’Afrique sans les Africains… si les moustiques et la malaria ont épargné certains d’entre nous, les politiques d’endettement de certains de nos dirigeants risquent de « transférer gratuitement des pans entiers des richesses » africaines à des propriétaires non africains. Bref, le système de rente de situation qui a prévalu depuis les indépendances africaines risque de se terminer brutalement si l’industrialisation ne prend pas la relève avec à la clé, de la création d’emplois en Afrique pour les Africains avec des salaires décents. C’est cela que j’appelle dans mon livre : l’économie de proximité et l’économie du solidarisme.

Je vous remercie pour l’invitation.

Interview réalisée par Amos Kanal K

 

 

 

 

 

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