Vrai ou faux dialogue: Va-t-on continuer de faire l’opposition démocratique en bourique ?

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Les freins fondamentaux au processus de démocratisation engagé voici plus de quatre décennies ont pour nom l’Armée, la Constitution de 2002, la Cour constitutionnelle, la HAAC, la nature et la structure de l’Administration centrale… Tant qu’ils seront maintenus et continueront de fonctionner de la même manière que depuis 1996, aucun dialogue ne pourra ouvrir la voie à une franche alternance politique.

La franche alternance politique, c’est ce changement qui permet de créer les conditions politiques et sociales exigées par la mise en place des nouvelles institutions et des nouvelles structures qui sont de nature à faire du Togo un Etat démocratique. Depuis quelques temps avant le limogeage inattendu de Gilbert Houngbo, l’appel au « dialogue » et à « l’apaisement » est revenu en force dans le discours politique, de part et d’autre. « Dialogue » et « apaisement » pour, dit-on, arriver à « des élections paisibles ».

Comme nous l’avons déjà souligné à plusieurs reprises à la CDPA-BT, personne ne s’oppose au principe du dialogue comme procédure possible de résolution des problèmes politiques. Et personne ne dénie au principe des élections la forme la plus républicaine de désignation, par le peuple, de ceux auxquels il confie la gestion des affaires publiques.

Mais le drame dans la situation particulière du Togo (et elle est vraiment particulière !), c’est qu’avec cet appel quasi unanime au « dialogue » et à « l’apaisement », le pays se retrouve une fois de plus devant le même problème, celui de faux dialogues qui consolident sans cesse le régime et le font perdurer.

Depuis 1991, les Togolais ont vu passer en effet une bonne douzaine de ces types de dialogues, sans compter tous ceux qui se sont déroulés dans le Cadre permanent de dialogue et de concertation (CPDC), dans le « CPDC rénové » de Pascal Bodjona et ailleurs encore. Dans tous ces cas, il s’est agi à chaque fois de faux dialogues, en ce sens que le pouvoir n’a jamais vu dans ces rencontres qu’une manœuvre pour rouler dans la farine ceux qui y ont, à chaque fois, pris part en tant qu’opposants. Aucun de ces faux dialogues n’a ainsi débouché sur la création des conditions requises pour une franche alternance politique. Tous ont, par contre, toujours servi le régime en prolongeant sa durée de vie, et en mettant l’opposition toute entière dans une situation de piétinement sans fin.

Il en est de même du principe des élections. De part la nature réelle du régime, toutes les élections organisées depuis 1993 se sont, à chaque fois, révélées un moyen frauduleux et/ou antidémocratique de légitimation du pouvoir despotique. Et l’on entonne à chaque fois le discours de « l’apaisement politique » après chacune de ces mascarades électorales, si on ne déclenche pas bruyamment un montage politique appelant à la « réconciliation nationale », pour flouer l’opinion. Pendant ce temps, le régime ne se prive pas d’user de la violence d’Etat pour intimider la population, ou étouffer dans l’œuf toute velléité de manifestation, quelle que soit la catégorie sociale impliquée. La répression des récentes manifestations du CST le montrent bien. Mais soulignons, en passant, que cet usage de la violence d’Etat ne date pas des marches de protestation du CST ou du FRAC. Il est dans la nature même du régime.

Quand on fait tous ces constats, on est surpris de voir aujourd’hui cet unanimisme, quasi national, à en appeler encore au dialogue ; et cette tendance désastreuse à faire croire qu’il suffit d’en faire un énième de plus pour arriver à résoudre le problème politique togolais dans une situation où les conditions politiques et sociales sont toujours, pour l’essentiel, restées les mêmes qu’hier, et où les mêmes acteurs politiques (ou leurs descendants) tiennent toujours les commandes de l’Etat depuis des décennies.

On se sent d’autant plus mal à l’aise que ceux qui en appellent encore au dialogue dans ces mêmes conditions, tant du côté du pouvoir (la main tendue !) que de l’opposition, entretiennent l’opinion dans le floue, en ne disant pas clairement sur quoi va porter le dialogue ; qui doit y prendre part et pourquoi ; au nom de qui les participants opposants éventuels vont-ils parler ; sur quel programme commun vont-ils se mettre d’accord avant d’aller s’asseoir à la table de négociation ; avec quel mandat…

La CDPA-BT continue de l’affirmer : La question de la franche alternance politique (le changement démocratique autrement dit) repose sur un problème de rapport de force. Dans le contexte politique actuel, le rapport est évidemment en faveur du régime à tous les égards. C’est de la fanfaronnade inutile ou de l’inconscience politique que de proclamer le contraire. Ce rapport de force inégal en défaveur de l’opposition traduit depuis des années la faiblesse de celle-ci. Il tient au fait que les partis de l’opposition démocratique n’ont toujours pas trouvé la forme d’organisation alternative, qui doit faire de la masse de tous les opposants une force politique réelle.

C’est pour cette raison que la CDPA-BT n’a pas cessé de dire, depuis des années, qu’il est impératif que les partis d’opposition (ou ceux qui le veulent parmi eux) acceptent de se mettre ensemble, sur la base d’une plateforme politique (à ne pas confondre avec un cahier de charges), pour se donner cette forme d’organisation capable, par son sérieux et sa cohérence politiques, de modifier le rapport des forces en faveur de l’opposition démocratique. Cette forme d’organisation ne saurait émerger sans une implication réelle de la masse de tous les opposants dans l’action politique, quelles que soient leur appartenance partisane ou associative.

La CDPA-BT avait proposé cette forme d’organisation depuis 2002 : une organisation d’envergure nationale regroupant tous les opposants organisés ou non (syndicats, organisations associatives de la société civile, individus) autour d’un noyau dur formé d’une alliance durable de partis d’opposition sur la base d’une plateforme politique commune. (Voir au Secrétariat à l’information et à la diffusion, CDPA-BT, BP 13963 : Le FAO, Une force alternative d’opposition pour mettre fin à la dictature et instaurer la démocratie au Togo, 40 pages, décembre 2002 ; Le MFAO, Synthèse et plateforme d’adhésion au Mouvement ; Août, 2007 ; 54 pages)

Dans tous les cas, les partis d’opposition sont tenus de se donner une forme d’organisation cohérente et durable pour mettre le rapport des forces en faveur de l’opposition démocratique. C’est une exigence incontournable pour créer les conditions d’une franche alternance politique. La réalisation de cette exigence ne passe pas par le spontané, mais par l’organisé.

Eyadema avait créé des institutions pour bétonner son régime afin de le maintenir de générations en générations. Les plus importantes de ces institutions sont l’Armée et les forces dites de l’ordre, la Constitution de 2002, la Cour constitutionnelle, la HAAC, la nature et la structure de l’Administration centrale. A ces institutions s’ajoutent le mode de scrutin (le scrutin à un tour) et la CEN (qui deviendra la CENI sans changer  de fonction). Ce sont là les véritables obstacles au processus de démocratisation.

Faure Gnassingbe a hérité de ce régime avec tous ces attributs antidémocratiques. S’il avait l’intention (la bonne volonté comme on dit si couramment) de démocratiser pour faire de l’Etat togolais un Etat de droit et un véritable cadre de développement et de progrès, il aurait reformé ces institutions en profondeur pour les rendre démocratiques.

Mais ce n’est pas le cas. La composition du nouveau gouvernement montre bien qu’il tient au contraire à s’appuyer sur ces institutions antidémocratiques pour se maintenir au pouvoir et maintenir le régime en place le plus longtemps possible. Dans ces conditions, comme les dialogues passés, celui que l’on réclame encore avec tant de verve aujourd’hui, sous l’aiguillon des législatives et des locales à venir, ne parviendra pas à faire bouger ces freins structurels pour ouvrir la voie à la franche alternance politique.

Aussi, la CDPA-BT demande-t-elle à ses membres et à l’opinion toute entière de ne pas se faire des illusions. Il n’est pas possible de faire disparaitre ces freins par un nouveau faux dialogue. La franche alternance démocratique n’est cependant pas un objectif inaccessible. A condition que l’opposition démocratique parvienne à se donner une nouvelle forme d’organisation qui soit réellement capable de modifier le rapport des forces en sa faveur.

Fait à Lomé, le 5 Août 2012.

 Pour la CDPA-BT

Son Premier Secrétaire

 

Pr. GU-KONU

 

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