Violences électorales, fraudes, refus des réformes, refus du vote des Togolais de l’étranger, suprématie numérique de principe d’une ethnie dans l’armée nationale…
Beaucoup de citoyens togolais, selon certaines rumeurs, vont déjà louer des chambres, ou même, pour les plus fortunés, acheter des terrains et se faire construire des maisons au Bénin et au Ghana, à l’approche de ces élections présidentielles qui ne comportent qu’une certitude, la „ réélection“ de Gnassingbé et beaucoup d’incertitudes, notamment l’ampleur de la violence suite à une éventuelle contestation du résultat qui, plus probablement que jamais, ne sera pas conforme au verdict des urnes, au vu d’une préparation frauduleuse déjà dénoncée par plusieurs responsables politiques. C’est, bien sûr, pour être nuancé que je parle de rumeurs. Ces agitations de certains concitoyens et leurs mouvements éventuels vers les pays voisins ne sont pas confirmés.
Cependant :
1) De tels mouvements avaient déjà eu lieu par le passé,
2) Il est normal que des Togolais, craignant pour leur vie et leur sécurité, cherchent un lieu de refuge pour ces moments de trouble que sont, d’expérience, les élections au Togo,
3) Certaines des personnes qui se préparent à quitter le territoire togolais pendant la période électorale avouent que c’est pour ne pas assister à cette nouvelle insulte à leur intelligence, à des « choses ignominieuses et horribles ».
Je ne crois pas que les rumeurs de ce genre soient inconnues de nos responsables politiques, surtout de ceux qui sont au pouvoir, et je ne crois pas non plus qu’elles les inquiètent outre mesure. Nous sommes habitués, dans notre pays, au fait que des centaines de milliers de citoyens quittent le territoire, surtout à certaines échéances et donc ne votent pas aussi, ou qu’ils soient purement et simplement écartés du scrutin malgré eux. Nos responsables sont-ils, tant soit peu, sensibles à ce genre de problème? Reconnaissent-ils simplement qu’il s’agit là d’un problème ? Cas du même genre: depuis longtemps des voix s’élèvent pour réclamer le droit de vote de la diaspora. Quelles mesures ont été prises, ou sont en voie d’être prises, pour répondre à leurs préoccupations?
Mais, ce n’est pas du droit de vote des Togolais de l’étranger, droit que nous réclamons depuis au moins dix ans, que je veux parler ici . J’ai bien l’impression que nos réclamations son tombées dans l’oreille d’un sourd et que nos voix sont maintenant sommées de se taire, en attendant la fin du règne des Gnassingbé. Ces derniers sont sourds à toute revendication qui leur semble susceptible de nuire à leur volonté de rester au pouvoir, de s’imposer comme les seuls hommes à disposer de nos sorts, à décider de ce qui est bon pour tous les Togolais, à en décider quand ils le veulent et comme ils le souhaitent. Hors de cette préoccupation, le Système me semble incapable de mener une réflexion sur la situation présente et le devenir de la nation togolaise. J’attends et j’entends bien la justification, et du refus du droit de vote aux Togolais de l’étranger, et de l’absence d’inquiétude des responsables actuels face à une éventuelle émigration passagère de nos compatriotes : « Les premiers n’ont qu’à revenir au Togo, s’ils veulent être recensés, inscrits sur les listes électorales et voter. Et quant aux seconds, ceux qui s’en vont pendant la période électorale, tant pis pour eux, ce sont eux qui ont choisi de ne pas voter, on ne va pas les y obliger, d’ailleurs…ce sont de faux Togolais ! ». L’argument des faux Togolais, je l’ai entendu depuis plusieurs décennies, non seulement de la bouche des membres du RPT, dans les slogans et chansons d’animation, mais aussi de la bouche de ceux qui, même étant de l’opposition, une fois parvenus au pouvoir, ou à une portion du pouvoir, du moment où ils ont à justifier ce qui les dépasse, mais qui en fait est la conséquence de leur irresponsabilité, l’utilisent, peut-être pas mot pour mot, à la virgule près, mais en biaisant. Dans le fond, cela revient au même.
C’est ainsi qu’en 1992, un très haut responsable togolais, issu de l’opposition et plus que cela, un homme nanti de diplômes universitaires, argumentait sur les raisons qui avaient poussé des centaines de milliers de personnes qui, fuyant les fusillades de l’armée togolaise, étaient allées chercher refuge au Bénin, au Ghana, au Nigeria, au Burkina Faso : ces personnes seraient toutes des étrangers qui rentraient dans leurs pays respectifs.
La justification, sœur du mensonge et de la mauvaise foi ! Si je voulais en user, je dirais :« Tous ceux qui pourraient avoir des choses à me reprocher ont tort; il faut qu’ils aient tort pour que moi, je sois toujours irréprochable, pour que j’aie toujours raison ». Un esprit moins étroit et véridique aurait cherché, dans le cas d’espèce, à éviter le raccourci, l’amalgame, car, s’il est vrai que parmi les gens qui partaient, il y en avait qui portaient des noms à résonance dahoméenne (béninoise) ou ghanéenne ou burkinabé (voltaïque), ou nigériane, il n’est pas moins raisonnable de faire le distinguo.
Parmi ceux, même portant des noms à résonance étrangère, qui traversaient les frontières, beaucoup avaient la nationalité togolaise, depuis une, deux, trois générations, sans compter ceux qui, aux siècles où les frontières coloniales n’existaient pas encore, circulaient dans la sous-région et s’installaient où ils pouvaient et où ils voulaient. Sans compter ceux qui, depuis des générations, ont leurs maisons, leurs familles, leurs champs, leurs dieux, leurs pirogues, leurs filets…de part et d’autre de nos frontières, mais qui, tout compte fait, ont choisi une seule nationalité, la togolaise.
Mais, en traversant en 1992, les frontières du Ghana, du Bénin, du Burkina, certaines personnes aussi ne savaient même pas où se rendre, ne sachant pas exactement de quelle localité venaient leurs parents ou grands-parents, ou arrière-grands-parents installés au Togo. Quelques fugitifs avaient vaguement entendu parler d’un oncle, d’un grand-oncle, d’une tante, de cousins qu’ils recherchaient à l’occasion.
Quelques-uns voulaient rejoindre un ami, un ancien camarade de lycée ou d’université.
Les pouvoirs publics faisaient semblant d’oublier que certains des « étrangers » supposés avaient délibérément choisi d’être naturalisés Togolais et devraient pouvoir jouir des droits que la loi togolaise, par cet acte, leur conférait, de la même manière qu’ils étaient astreints à des devoirs de citoyens.
A supposer même que tout ce monde-là fût uniquement constitué d’étrangers, les pouvoirs publics ne devraient-ils pas s’inquiéter de ce que, en masse, tant de personnes vivant et travaillant dans le pays, payant leurs impôts, contribuant donc à la vie économique, culturelle, administrative… quittent subitement le territoire, emportant parfois leurs biens, en tout cas leur intelligence et leur savoir-faire, alors qu’ils ne l’avaient pas voulu?
Mais la nécessité de justifier suffisait pour justifier l’amalgame.
Je reviens sur le fait que ce genre d’amalgame n’est pas l’apanage des membres du RPT. Cela, pour montrer à quel point, politiquement, nos mœurs ne sont pas très différentes de celles que pratique le Système. Le Système est un tout, qui nous englobe facilement, qui nous inculque ses réflexes, ses pratiques, dont la façon de réagir peut déteindre sur nous, si nous ne faisons pas un effort mental pour nous en distancier.
Il y a, tant du côté du pouvoir que de celui de l’opposition une forme de justification relevant de l’étroitesse d’esprit qui, avant, m’irritait mais a fini par m’amuser. Si l’on posait la question à certains de nos politiciens de savoir sur quoi ils fondent leur légitimité de leaders, ils répondraient, sans crainte du ridicule dont peut couvrir un homme la vanité, que c’est sur la maîtrise de leur science politique. Et cette science, ils la doivent aux diplômes universitaires dont ils sont nantis. Ils sont en effet maîtres, docteurs, professeurs, « hauts cadres de la nation ». Ce dernier titre, flatteur pour ceux qui l’arborent, était surtout en vogue au temps d’Eyadema. Les moqueurs, ironisant là-dessus, les appellent « Cadres et Fenêtres de la nation ». Mais, à bas les jaloux! Hauts cadres de la nation donc, et pas portes ni fenêtres, bien fermés, bien affermis, ils ne doutent de rien et, surtout, ils détestent que l’on puisse leur faire douter d’eux-mêmes. Récemment, l’un de ces hauts cadres de la nation, au cours d’un débat, assénait à son contradicteur, verrous fermement tirés, sans peur d’étouffer soi-même, péremptoire, magistral : « Je suis professeur de droit constitutionnel à l’université. Si vous étiez mon étudiant, je vous collerais zéro pour ce que vous venez de déclarer ». Ce puissant coup-là devrait abattre définitivement l’adversaire!
Mais, la vraie question demeure, à laquelle l’homme de la rue, comme moi, n’a pas encore trouvé de réponse : pourquoi toute cette science politique des hauts cadres de la nation ( apprise à l’école Eyadema, même à notre corps défendant) n’a-t-elle pas permis d’atteindre nos objectifs de changement? Peut-être, cette science est-elle bonne pour servir le Système et pas du tout pour le remettre en cause. Encore moins le renverser. Nous devons y réfléchir.
Or, l’étroitesse est la caractéristique principale de ce Système : pour s’en convaincre, il n’y a qu’à se rappeler la période où, pour un oui ou un non, l’État faisait creuser une tranchée ou installer des fils de fer barbelés entre le Togo et le Ghana. Ailleurs, c’était du gari, c’était du maïs que douaniers et policiers zélés arrachaient des mains des revendeuses, et n’hésitaient pas à jeter dans le fleuve Mono, pour les empêcher d’aller nourrir les « étrangers », alors que Kérékou et Eyadema se querellaient et que chaque « peuple » devait se ranger derrière son président, son champion. Avec ses bagages et marchandises, bien sûr. Si vous dites que ces scènes relèvent du passé et ne se reproduiront plus, je vous répondrai que je ne cherche qu’à en être convaincu. Bien entendu, cette étroitesse d’esprit, ce rétrécissement symbolisé par la fermeture de frontières, n’a pas empêché le régime d’aller recruter hors du territoire, des électeurs d’occasion, de vrais faux citoyens payés pour voter en sa faveur.
D’autres questions qui nous permettront de réfléchir sur l’étroitesse d’esprit du Système uniquement préoccupé par sa propre survie :
– comment accepter que la majorité des effectifs de l’armée, surtout des officiers détenant le commandement appartienne à une même ethnie ? N’est-ce pas une étroitesse que de réduire l’armée nationale, pour l’essentiel, à une seule ethnie ?
– comment dans une démocratie, peut-on concevoir que seul un clan ait le droit de détenir le pouvoir, que les élections, les institutions qu’on multiplie à l’infini, les notions d’unité, de perspectives d’avenir, vision etc. n’aient de sens que vues dans cette optique de conservation du pouvoir par ce clan?
Violences électorales, fraudes, refus des réformes, refus du vote des Togolais de l’étranger, suprématie numérique de principe d’une ethnie dans l’armée nationale, tout cela provient d’un même entêtement, d’une même étroitesse d’esprit.
Ceux qui ont dit que les élections présidentielles de 2015, pas plus que les précédentes, ne résoudront pas la crise togolaise ont raison. C’est à cette étroitesse d’esprit où nous réduit le Système Gnassingbé qu’il nous faut nous attaquer. Et cela demande plus qu’une mobilisation des populations pour aller voter.
La question primordiale me semble être : à quelle instance doit-on, peut-on recourir? Lorsque je vois dans les médias l’image de notre Cour Constitutionnelle, en tenue d’apparat rouge flamme, propre à éblouir, à aveugler quiconque voudrait y fixer trop longtemps son regard, en vérité, elle ne m’inspire aucune confiance et elle m’impressionne encore moins. Pour ne pas les mettre à nu, ces hommes, par souci de décence, volontiers j’appliquerai sur leurs habits d’apparat, en surimpression, les actes et discours passés et récents : on verrait bien à quel point ces actes et ces discours jurent avec leurs fonctions supposées. On a tous vu cette Cour Constitutionnelle recevoir, sans scrupule aucun, le parjure de Gnassingbé, après qu’il a perpétré son coup d’État à la mort de son père Eyadema. Et qui, dans son for intérieur, a vraiment cru qu’il était réellement démocratiquement élu en 2010? Cette Cour Constitutionnelle n’a-t-elle pas reçu son parjure pour la deuxième fois?
Quelle garantie avons-nous donc qu’il n’y aura pas un troisième parjure? Jamais deux sans trois, dit-on. Mais si nous pouvons éviter le troisième parjure, je crois bien que ce sera aussi dans l’intérêt de Gnassingbé lui-même, quoiqu’il l’ignore, comme il ignore beaucoup d’autre chose.
En l’absence de cette instance qui pourrait nous éviter ce que certains Togolais appellent l’ignominie, je comprends les compatriotes qui implorent les évêques de s’impliquer d’avantage dans la vie politique du Togo : les religieux, même tous ensembles, constituent-ils vraiment une instance que Gnassingbé écouterait? Évêques, pasteurs, imams, hounons…s’ils peuvent dire à Gnassingbé ce qu’il veut bien entendre, à savoir que le pouvoir ne lui échappera pas, il les écoutera volontiers. En dehors de cela, nul n’a la force nécessaire pour briser l’étroitesse d’esprit de Gnassingbé.
Je comprends aussi ceux de nos compatriotes qui ne jurent que par les puissances occidentales, l’Union européenne en particulier. Il y a, certes, des raisons qui pourraient justifier nos espoirs tournés dans cette direction-là : en 2005, le Parlement européen avait voté une résolution condamnant les violences consécutives à la fausse élection de Gnassingbé, mais, quel effet cette résolution a-t-elle eu sur le cours de la vie politique du Togo? Et, les vrais pouvoirs exécutifs occidentaux, n’ont-ils pas soutenu et ne soutiennent-ils pas le régime usurpateur du Togo ? Tous ne contribueraient-ils pas tôt ou tard à sa consolidation? Qu’on les prenne à témoins, qu’ils nous assistent même dans une certaine mesure, je suis d’accord. Mais la tâche essentielle nous incombe.
Je ne dirai pas que cela m’amuse quelquefois de constater l’acharnement et même la rivalité avec lesquels nos responsables de partis courent vers les chancelleries, les représentations, les ambassades des grandes puissances. C’est à peine si chacun ne disait pas à ses supposés rivaux : « Eh, ne me volez pas mes ambassadeurs, mes soutiens diplomatiques ! ». Mais que l’on me permette d’être sceptique : qu’y gagnerons-nous? Et si, au bout du compte nous n’y gagnons rien?
Et quelle leçon tirons-nous des élections législatives de juillet 2014 auxquelles un ambassadeur et un évêque (représentant donc les deux instances qui nous paraissent détenir la solution à nos problèmes) ont, par leurs soins conjugués, amené gentiment, religieusement et diplomatiquement nos responsables de l’opposition? Il est vrai que ce n’était pas par des cordes nouées autour des reins que l’on a entraîné nos leaders de l’opposition aux négociations ou prétendues telles, qui ont débouché sur ces législatives, mais la sagesse populaire ne conseille-t-elle pas de ne pas tomber deux fois dans le même piège ? à moins que…
Les populations togolaises suffoquent dans les étroitesses du Système Gnassingbé.
Il n’y a, en vérité, qu’une seule instance pour briser toutes ces étroitesses, pour trancher dans la crise que vit le Togo : c’est le peuple togolais. Et ce n’est pas des urnes que le vrai verdict du peuple togolais sortira. Du moins, pas dans l’état actuel des choses.
Sénouvo Agbota ZINSOU