Vers une liquidation programmée des cadres de Bassar des postes de décision au Togo

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Il y a des indices qui trompent…

Un de mes amis m’a confié ceci un jour : « Vous ne pouvez imaginer ce que l’adhésion des Bassar à la diversité d’opinion dans notre pays a fait changer sur l’image que les gens avaient de ce peuple. De l’autre coté, les parutions dans la presse libre, depuis quelques mois, sur des événements dans Bassar ont apporté beaucoup … Plus rien n’est comme avant… » Voici venu le temps de briser les tabous, dans un monde globalisé où le Printemps arabe devrait pouvoir, plus que jamais, inspirer et guider chacun de nos pas.

L’environnement politique togolais est fait de ces décors savamment orchestrés et même dosés pour donner l’impression d’un pouvoir républicain (du latin « res publica » = chose publique) dans lequel toutes les composantes nationales se reconnaîtraient. Tout cela est dénué de vérité.
Le citoyen que je suis a été surtout frappé par la réduction des services de l’Etat à des mangeoires dont se délectent quelques citoyens, les tenants du pouvoir, les seuls privilégiés ; ceux dont les bouches alimentent les ventres de tous les autres Togolais. Mais le fait est que, dans leur grande hypocrisie, les togolais ont peur de poser clairement le problème de l’ethnicisme qui mine les rouages de toute l’administration ; et pourtant c’est cela la racine du mal qui couve. Pour paraphraser le célèbre ethnologue, anthropologue et philosophe Claude Lévi-Strauss, dans Race et histoire (1952) , on dirait qu’une frange de la population togolaise « vit dans un âge d’or où les postes et les nominations se cueillent comme des fruits et des fleurs ».

Un fait a fini de me résoudre : une étudiante sortant d’une formation en BTS m’a dit ceci, il y a peu : « Monsieur, que me conseillez-vous ? Un poste à … ou plutôt à …. ? » Mademoiselle Prénam (c’est son nom) était dans l’embarras… J’ai en même temps pensé à ma nièce qui traîne, depuis 7 ans, son diplôme de BTS en Secrétariat de direction… fatiguée des nombreux stages et lassée des concours : elle en a passé au moins 4, sans succès. Oui ! Ils sont en effet nombreux, ces candidats « togolais » admis à toujours échouer, puisque le hasard a voulu qu’ils n’aient pas de « bras longs », ou qu’ils ne soient pas …
C’est le lot de beaucoup de citoyens aujourd’hui, notamment ces jeunes qui, malgré la pauvreté ambiante bien entretenue et savamment acclimatée, et dans le contexte d’un LMD difficile à digérer, bataillent pour obtenir leurs diplômes, mais dont les noms ne disent rien à personne. Certains peuvent compter sur des bras, puisque c’est de cela qu’il s’agit. Mais que dire de ces jeunes qui ne savent plus à quel Saint se vouer ?

Cette situation est celle que traversent aujourd’hui les jeunes diplômés de Bassar : depuis qu’une stratégie de liquidation systématique s’est abattue sur les cadres du centre-ouest du Togo, les jeunes sont déroutés et la plupart rechignent à poursuivre des études universitaires. Le désarroi prend de l’ampleur à la veille des divers concours de recrutement. Ce n’est un secret pour personne : après le dépôt de dossiers, vient la phase des « affaires », le seul vrai examen « écrit » qui soit, puisqu’on peut toujours réussir sans avoir composé ! Ces jeunes se découvrent de nulle part…  livrés à eux-mêmes, c’est-à-dire condamnés à toujours échouer. L’un d’eux s’est confié : « depuis 6 ans, je traîne ma licence en Lettres modernes ; j’ai passé 3 concours du CREA (Concours de Recrutement des Enseignants Auxiliaires – la trouvaille du Régime), mais rien. On vient d’en lancer encore un. Je ne sais qui « voir » pour m’aider… Je vais sûrement jeter une fois encore l’argent en l’air… J’ai regardé partout, mais personne pour m’aider… » Je cherchai à lui indiquer des personnalités, mais je me rendis à l’évidence.
Un coup d’œil sur le paysage administratif actuel du centre-ouest révèle en effet que, depuis un certain nombre d’années, le régime en place a extirpé pratiquement tous les ressortissants de Bassar des postes de responsabilité au Togo, une façon de couper les ailes à la jeunesse montante : aucun directeur général, aucun directeur de cabinet, aucun secrétaire général ; là où il en existe, ce sont des trompe-l’œil. Un tour d’horizon sur les « débarquements » des Bassar, aussi bien dans la hiérarchie civile que dans l’armée, permet de saisir au juste la portée de la purge dont sont victimes ces populations dans l’administration togolaise ; les enjeux de cette purge seront mis en perspective pour éclairer les enjeux d’une liquidation totale qui ne dit pas son nom.

Le mouvement de liquidation s’est même amplifié sous Faure. Un retraité a souligné ceci : « depuis que Abass BONFOH a retourné, sur un plateau d’or, le pouvoir à Faure, des nominations qui ont suivi en 2005, il n’y eut aucun Bassar. Mieux, les quelques directeurs de sociétés et directeurs centraux ont tous été débarqués. » Débarqués ! C’est bien le mot. Et cela n’est pas faux : on pense à ALI Nadjombé, débarqué du Port et remplacé par un GNASSINGBE ; Kpandja Ismaël BINGUITCHA-FARE, débarqué de la TDE ; le docteur SONHAYE débarqué de la direction de l’élevage. Les deux derniers ont été renvoyés à Ouagadougou, tout comme le ministre écrivain Charles Kondi Madjome AGBA, au MAEP. A ce rythme, bientôt un quartier « bassar » dans la ville de Ouagadougou !

Voilà la trouvaille du régime RPT pour les cadres de Bassar, l’expatriation … La stratégie consiste à éloigner au maximum ceux qui peuvent « essayer » d’aider les leurs. Les directions dans lesquelles Faure a confiné deux pauvres de Bassar relèvent toutes du sport : un « directron » des sports et un autre au cabinet ; le département le plus pourri et le plus problématique. Les citer nommément ne sert à rien, tant les deux sont incapables de dénouer les ficelles des pattes d’un poussin ! Point n’est besoin d’ailleurs de les lister tous … Avant même la fin de la lecture de ces pages, un autre cadre peut encore être débarqué… Et les faits nous ont donné raison… Nous envoyions les présentes lignes sous presse quand le régime RPT venait justement de refuser le renouvellement du mandat de M. Kpandja Ismaël BINGUITCHA-FARE à l’UEMOA. L’homme serait l’un des rares Togolais à n’avoir fait qu’un seul mandat à l’UEMOA. Il a fallu donc corriger le présent texte …

Dans les sociétés d’Etat, le constat est des plus amers : ils sont relégués au second plan. Il semble que des Togolais leur reconnaissent pourtant certaines qualités : ils aimeraient leur travail ; il semble aussi qu’ils soient fidèles, tels des chiens ! Et c’est là que le bas blesse : le fait est qu’aujourd’hui une fidélité aveugle, telle que celle qui caractérise ces gens, s’apparente à de la bêtise (pas de mot français pour rendre l’idée voulue ici) ; ça enlève à l’homme qui voue fidélité toute envie et tout désir de s’affirmer, de s’épanouir ; il est confiné dans l’ombre de son mentor, tel un enfant. Voilà ce que peu de Togolais sont enclins à leur pardonner, avec raison. Mais de jour en jour, on commence à comprendre que les deux cadres de Kabou ne sont que des innocents : on peut être un Chef d’Etat, sans un pouvoir réel… comme on peut toujours être Chef d’Etat Major, sans connaître la clé du magasin d’armes !
Dans l’armée, c’est plus délicat. Nous noterons simplement l’humiliation infligée au Général Charles Zoumaro GNOFAM au CNOT. C’est la première fois que deux Généraux ont été opposés dans un scrutin ouvert : l’homme a été laminé par le Général NABEDE ; une vraie et authentique humiliation au sein de la grande muette ! Avait-on besoin de ce scénario ? Avait-on besoin d’en arriver là ? Mais cela est arrivé. Des nominations ont été faites récemment dans ce corps. Comme dans un examen, quand on nomme un, c’est qu’on « recale » tous les autres de la même « classe ». Il suffit de savoir aussi lire parmi les « recalés », à chaque nomination dans la vie militaire comme dans la vie civile. D’importants enseignements s’y cachent et qu’il faut tirer ! Nous invitons le lecteur à savoir suivre nos regards.
Au regard de tout ce qui précède, la seule lecture que l’on puisse faire de la purge imposée par Faure et al. aux Bassar, c’est que le nouvel élu aurait choisi de « sanctionner » tous ceux de la région d’un concurrent : l’homme n’aurait pas digéré qu’un homme du groupe des « alliés » puisse vouloir accéder à un trône « dynastique ».

Voilà qui explique, dans une certaine mesure, la liquidation des cadres de cette partie du Togo. Conséquence : de jeunes diplômés qui, de plus en plus nombreux, ont du mal à s’insérer, dans un pays où seul le « mendèfrèrisme » (c’est-à-dire le népotisme) est érigé en règle, et la compétence se trouve être l’exception. Un ami, Patayodi (et c’est doublement symbolique !) m’a confié : « chaque mois, nous nous réunissons pour réfléchir sur comment renouveler les cadres. Nous savons qui doit être nommé au poste de X ou Y à sa retraite ; et ainsi de suite… ». Voilà un pays à deux vitesses, une République sans « res publica »! Il suffit de bien tendre l’oreille à chaque nomination pour s’en convaincre.

Un cadre RPT Bassar s’est plaint en ces termes : « on nous met en première ligne ; mais quand nous demandons quelque chose pour nos populations, on nous le refuse … c’est le cas de l’électricité. Et quand  la presse  en parle, c’est pour nous insulter… Voilà la triste réalité ». On comprend le désarroi de ces gens, condamnés à suivre et à obéir, tels des moutons de Panurge. Ainsi fonctionnent les « alliances » sans contreparties.

Le problème du Togo, c’est que le Togolais a toujours cru qu’il doit être « sauvé » par un homme ; et cela complique tout. Cette foi aveugle en des individus a créé des monstres politiques de l’opposition qui, au jour le jour, ont révélé leur face réelle. Tantôt à la mangeoire, tantôt opposant, selon que les vents sont favorables ou non. Dans ces conditions, est-on plus opposant quand on passe du pouvoir à l’opposition … moins opposant, quand on va de l’opposition au pouvoir ? De l’autre côté, est-on moins opposant quand on passe du pouvoir à l’opposition… plus opposant quand on va de l’opposition au pouvoir ? Moins ou plus opposant quand on est toujours resté dans la ligne de l’opposition ? Ces interrogations exigent qu’on s’entende sur la notion d’«opposant ». Le paysage politique togolais est la somme de tout cela.

Voilà pourquoi le changement tarde : c’est des individus et des individualités qui sont en jeu, avec leurs appétits et leurs égos ! Depuis longtemps, le Togolais a aussi pu inférer que, pour beaucoup de ces pseudo-opposants, la bouche est plus près du ventre que du cœur (pour paraphraser l’un deux). La dernière et ultime déception est celle de Gilchrist Olympio qui « fouette » aujourd’hui ses amis d’hier. Et il en sera ainsi tant qu’on croira que ce sont des individus qui doivent nous libérer ! Les Togolais avaient cru trouver, en cet homme, « leur christ » (Remarquez la présence du mot « christ » dans le nom) pour les sauver. On parle aussi de l’« olympe» comme étant « le séjour des dieux ». Tous les ingrédients sont réunis dans un seul nom… Mais quelle désillusion !

Les Arabes ont vu, compris, et dépassé cela : ce n’est pas un homme politique qui sauve un peuple. Il faut seulement savoir lire et capter les étincelles, les occasions que la Nature offre ; savoir exploiter les déclics ! Le temps « des Moïse » est dépassé… La démocratie, c’est « le gouvernement (pouvoir) du peuple, par le peuple, et pour le peuple ». C’est au peuple de réaliser qu’il est et qu’il a un pouvoir qu’il revendique, et qu’il exerce, et ce jusqu’à… Des ministres ont été démis au Maghreb sur insistance de la rue. C’est la leçon à tirer du Printemps arabe. Rien d’autre ! Le peuple exerce ce pouvoir en lieu symbolique (souvenez-vous de la place Tahrir = liberté). En Egypte, c’est bien en milieu du mouvement que des gens ont pensé à Mohamed El Baradéi (le prix Nobel) pour représenter et canaliser le mouvement. Cela n’a même pas marché !

Une autre leçon importante : les Arabes ont occupé, jours et nuits, pendant des semaines, voire des mois… C’est le salaire à payer. Et chacun a son rôle à jouer, par sa simple présence permanente, et au soleil !

Le peuple bassar, plus que quiconque au Togo, devrait pouvoir s’approprier l’élan démocratique qui anime le peuple togolais. Les yeux de beaucoup devraient s’ouvrir à la lecture de ces pages ; ils devraient pouvoir comprendre ce qui leur arrive et en prendre conscience. Il est temps que des conditions soient créées pour faciliter l’émergence d’un pôle démocratique dans ce coin du Togo. Par exemple : bientôt les législatives. Le Togo compte déjà beaucoup de partis, du moins sur papier. Il urge que des voix locales voient le jour, et qu’elles canalisent les énergies de ce milieu vers une vision prospective. Pourquoi ne pas susciter candidatures indépendantes et sérieuses, de vraies ? Cinq députés pour les préfectures de Bassar et Dankpen, c’est déjà un groupe parlementaire, dans la configuration actuelle de notre Assemblée nationale. A la lumière de ce qui précède, les Rptistes chevronnés devraient pouvoir comprendre où se trouve, en réalité, leur intérêt ; et de quel côté mettre la balance.

Le printemps arabe a une source : l’immolation d’un ingénieur au chômage. Le sacrifice de ce jeune semble avoir touché le cœur miséricordieux de la Nature. De ces déclics, le Togo n’en a connu que deux, à mon sens : le premier a porté du fruit ; le second n’a pas été « capté » comme ça se doit. Le premier, c’est le 5 octobre 1990 : nous devons au procès de ces étudiants de ce vendredi les maigres avancées démocratiques qui décorent le régime en place.  Le second aura bientôt un an ; il risque même de passer inaperçu (puisqu’on ne l’a pas compris) : il s’agit du soulèvement qui a suivi la plus forte augmentation des produits pétroliers (en juin 2010) que le Togo a connue. Comme on le voit, c’est dans la douleur qu’un peuple se réveille de sa léthargie, de son somnambulisme. Il comprend alors que les refrains suivants sont plutôt source d’apathie, d’indolence : « qu’allons-nous faire ? » ; « Dieu est là » ; « ça va aller » ; « ça ira » ; « tu vas dire quoi ? » ; « tu vas faire quoi ? » ; le peuple se réveille alors à l’idée qu’il faut agir.

A quand le prochain déclic ? Nul ne peut le dire. Mais une chose est sûre : à partir des régimes secoués aujourd’hui de par le monde, on peut inférer que tous « les guides éclairés concernés …. sont au pouvoir depuis … années ». Voilà la cause véritable ! Apprenons à lire les signes ! Un proverbe de chez moi dit : « quand un grillon est bien repu, c’est à coups de (ses) pattes qu’il se crève l’abdomen ».

Diwaar KPANDJA

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